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Billet de blog 27 février 2025

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NAGA - Recueil Travail du Sexe en 2025 - Reconstruire le Monde

Entre janvier et février 2025 à Nice, nous avons interviewé des dizaines de travailleurs.euses, afin de leur permettre d’oraliser leurs existences, de lâcher la vérité bien trop souvent cachée. Nous vous proposons ainsi, des discours bruts, des voix différentes et un vrai lâcher-prise. Voilà un regard sur le Travail du Sexe en 2025 avec les mots de celles et ceux qui peuvent le mieux en parler

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Reconstruire le Monde – Travailleurs.euses du Sexe

Illustration 1
Laura Hurt

Ici, nous sommes très loin d'un modèle préfabriqué, empreint de fausse réalité. Dans ce recueil, on ne ment pas, tout est vrai (sous couvert d’anonymat). Ce texte est créé à partir de matières orales, journalistiques. Entre janvier et février 2025 à Nice, des dizaines de travailleurs.euses ont été interviewées, afin de leur permettre d’oraliser leurs existences, de lâcher la vérité bien trop souvent cachée. De fait nous entendons et découvrons sous le couvrant, des discours bruts, des voix différentes et un vrai lâcher-prise. Ainsi en résulte une parole réellement expressive, spontanée et terriblement concrète.

Les mots sont fidèlement mis en lumière, la parole est pure, intime, implacable, sans fard, brutale, sincère. Faire sens où il n'y a pas de cohérence. Une histoire commune, la vie. Ce sont des personnes se définissant en tant que Femme ou non, d’origines sociales différentes, de différentes cultures, de différents âges, pour aller vers la vérité d’une situation réelle qu’il ne faut plus ignorer.

En guise de conclusion, le philosophe Stéphane François apportera sa vision de l’entreprenariat intime et la façon dont le capitalisme de plateforme a changé certains codes de la prostitution.

Une urgence ressort de ce recueil, une nécessité d’un changement, d’une prise de conscience. Voilà un regard sur le Travail du Sexe en 2025 avec les mots de celles et ceux qui peuvent le mieux en parler, nous ne sommes pas dans la théorie mais dans la vérité de leurs existences. Voici leurs histoires…

Vous pouvez télécharger l’ensemble du recueil gratuitement sur notre site : 

https://www.nagapanik.fr/nagazine/

Retrouvez le podcast de la parole de Léa sur YouTube : https://youtu.be/UwQvzB8tTDg?si=WOE54Ly3Uuf0w6U_

Voilà quelques extraits :

Témoignage de Léa

"Je m'appelle Léa, j'ai 21 ans, et je vis à Nice depuis trois ans. Mon entrée dans le travail du sexe n’a pas été quelque chose de planifié, c’est arrivé petit à petit, presque sans que je m’en rende compte. Tout a commencé sur les réseaux sociaux. J'avais 18 ans à l'époque et je cherchais un peu ma voie. J'étais très active sur Instagram et Twitter, je postais des photos, comme beaucoup de filles de mon âge. Un jour, un homme m’a envoyé un message. Il me disait que j'étais jolie, qu'il aimait mon style, et qu'il serait prêt à me "récompenser" pour des photos un peu plus osées.

Au début, j'ai trouvé ça bizarre, mais il proposait beaucoup d'argent pour quelque chose qui, à mes yeux, ne semblait pas si grave. J’ai accepté, pensant que ça resterait ponctuel. Mais après, ça s'est enchaîné. D'autres hommes ont commencé à me contacter, parfois via des groupes privés sur Snapchat ou Telegram. Certains voulaient des vidéos, d'autres des rencontres en personne. Au début, je posais mes limites, je ne voulais pas aller trop loin. Mais quand j’ai vu combien je pouvais gagner en une seule soirée, c’est devenu difficile de dire non. Je venais d'arriver à Nice pour mes études, la vie est chère ici, et ça me permettait de payer mon loyer sans galérer avec des petits boulots mal payés.

Ce qui semblait être un choix au départ est vite devenu une sorte de piège. Plus je gagnais de l'argent, plus je m'y accrochais. Mais ce n’est pas juste une question d’argent. Les réseaux sociaux créent une illusion de contrôle : tu choisis tes clients, tu décides des limites… mais en réalité, tu n’es jamais vraiment protégée. Certains clients ne respectent pas les règles, d’autres te menacent de dévoiler tes photos ou vidéos si tu refuses de les revoir. J'ai été victime de "revenge porn" une fois : un gars a diffusé des photos de moi sans mon accord. Ça a été un choc. J'avais l'impression que ma vie était foutue.

Le pire, c’est la double vie. Mes amis ne savent rien, ma famille non plus. J’ai arrêté mes études parce que je n’arrivais plus à tout gérer. Mentalement, c’est épuisant de toujours devoir mentir, de prétendre que tout va bien. Et même si je voulais arrêter, je ne saurais pas comment. C’est devenu une habitude, un mode de vie difficile à lâcher. Et puis, qui voudrait embaucher une fille avec ce genre de passé ?

Parfois, je me dis que j’aimerais retourner en arrière, avant que tout ça ne commence. Mais je sais que ce n’est pas si simple. Aujourd’hui, j’essaie de trouver un équilibre, de reprendre mes études à distance. J’aimerais pouvoir me sortir de ce milieu un jour, mais pour l’instant, c’est encore flou. Ce que je voudrais, c’est qu’on arrête de juger les filles comme moi. Ce n’est pas toujours un "choix facile", et même quand ça l’est au départ, ça peut devenir beaucoup plus compliqué que ce qu’on imagine."

Illustration 2
© Laura Hurt

Témoignage de Sophie, 38 ans, responsable d’une association à Nice (extrait) :

 « La drogue joue un rôle énorme dans cette dynamique. Elle est omniprésente dans ces milieux : ça commence par un peu d’ecstasy ou de cocaïne pour se détendre en soirée, et ça finit par des dépendances qui les rendent encore plus vulnérables. Les filles pensent qu’elles maîtrisent, qu’elles peuvent arrêter quand elles veulent, mais la réalité est plus compliquée. La drogue devient un outil de contrôle, et ça les enferme dans des cercles où il est très difficile de sortir, surtout quand des dettes commencent à s'accumuler.

 Ce qui est nouveau et inquiétant, c’est aussi la façon dont les réseaux sociaux amplifient le phénomène. Les filles se présentent comme des « entrepreneuses », elles parlent de leur business, mais cette façade cache souvent des réalités bien plus dures. Certaines finissent par être harcelées ou menacées quand elles veulent arrêter. Les proxénètes traditionnels n'ont pas disparu, ils ont simplement changé de méthodes. Aujourd'hui, le contrôle se fait à distance, avec des pressions psychologiques et financières.

 Nous, on essaie de leur offrir des alternatives, un soutien psychologique, mais surtout un espace où elles peuvent parler sans jugement… »

La pensée du philosophe Stéphane François (extrait) :

« La prostitution comme reflet du capitalisme extrême

Pour François, la montée en puissance des réseaux sociaux a profondément reconfiguré la manière dont la prostitution est perçue et pratiquée. Il ne s'agit plus seulement d'une activité marginalisée, cantonnée à l'ombre des rues ou des bordels, mais d'un phénomène qui s'intègre de plus en plus dans les logiques du marché et de l'entrepreneuriat individuel. Des plateformes comme OnlyFans ou Instagram permettent à certaines jeunes personnes de se présenter non plus comme des victimes d'un système oppressif, mais comme des entrepreneuses maîtrisant leur image et leur "marché". Cette auto-perception est, pour François, le symptôme d’un capitalisme qui colonise l’imaginaire : la marchandisation du corps devient non seulement acceptable, mais valorisée comme un modèle de réussite économique. Le philosophe parle ici d'une aliénation consentie, où les individus croient exercer leur liberté alors qu'ils ne font que s'inscrire dans les injonctions du marché. Cette logique est d'autant plus pernicieuse qu'elle se drape dans le langage de l'empowerment : l'illusion de l'autonomie cache la réalité d'une exploitation subtile. 

La prostitution et la normalisation entrepreneuriale

Dans un contexte de capitalisme avancé, François pourrait interpréter la montée en puissance de la prostitution 3.0 (camgirls, Mym, etc.) comme une extension logique des logiques néolibérales. Le capitalisme tend à absorber des sphères autrefois marginales ou stigmatisées en les reconfigurant sous des termes valorisants : ici, la figure de l'entrepreneuse indépendante.

Des jeunes femmes (et parfois des hommes) se revendiquent désormais comme des travailleuses du sexe auto-entrepreneuses, valorisant leur autonomie financière et leur contrôle de leur image. Mais selon François, cette autonomie est peut-être illusoire, car ces individus restent insérés dans des structures économiques qui les exploitent subtilement via des plateformes numériques. Ces dernières prélèvent des commissions importantes, dictent les règles de visibilité, et imposent des standards implicites de performance et d’apparence.

Réseaux sociaux : vitrines du capitalisme intime

Les réseaux sociaux, selon François, jouent un rôle fondamental dans cette transformation. Ils servent de vitrines où la vie privée devient un produit à vendre. L’exposition de soi, autrefois perçue comme une atteinte à l’intimité, est aujourd'hui normalisée, voire encouragée… »

Illustration 3

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