Naji El Khatib (avatar)

Naji El Khatib

Professeur et chercheur en sociologie

Abonné·e de Mediapart

8 Billets

0 Édition

Billet de blog 21 novembre 2025

Naji El Khatib (avatar)

Naji El Khatib

Professeur et chercheur en sociologie

Abonné·e de Mediapart

La Constitution Palestininne selon Macron

Naji El Khatib (avatar)

Naji El Khatib

Professeur et chercheur en sociologie

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

S’inscrivant dans la lignée du général américain Keith Dayton, qui a tenté de forger une nouvelle identité palestinienne et de transformer d’anciens combattants de la libération en gardiens des colonies sionistes, le président français Emmanuel Macron accélère la rédaction d’une nouvelle constitution palestinienne. Cette initiative vise à tirer profit politiquement de la guerre génocidaire à Gaza et à porter un coup fatal aux droits nationaux palestiniens.

Il est impossible d’évoquer une constitution palestinienne sans se souvenir d’un passé récent : celui de l’adoption de la « Loi fondamentale » de l’Autorité palestinienne.

Cette loi, considérée comme la constitution de l’Autorité, a été minutieusement élaborée pour s’adapter aux bouleversements politiques majeurs d’Oslo, qui ont conduit à la publication de la « Feuille de route » et à l’influence croissante du

« Quatuor international ».

A cette époque, cette évolution découlait de la volonté américaine d’écarter Yasser Arafat de la scène politique palestinienne et d’installer son successeur, Mahmoud Abbas.

Pour rappel, lors de la proclamation de l’État de Palestine le 15 novembre 1988, le Conseil national palestinien avait appelé à la rédaction d’une constitution.

Plusieurs projets ont été élaborés, mais aucun n’a été adopté. Néanmoins, après les accords d’Oslo, le processus a été relancé. L’Autorité palestinienne, dans les territoires autonomes, avait besoin d’une constitution ou d’une loi fondamentale.

En 1993, puis en 1994 et 1995, cinq autres projets furent élaborés et rejetés. Le Conseil législatif palestinien, élu en janvier 1996, entama alors ses travaux, malgré l’opposition d’Arafat. Finalement, la treizième version fut adoptée le 2 octobre 1997, mais le président Arafat ne la signa qu’à contrecœur, le 29 mai 2002. Elle fut publiée au Journal officiel dans un numéro spécial le 7 juillet 2002, au moment même où les négociations avec Israël avaient échoué et où le gouvernement israélien avait entamé sa politique unilatérale de fermeture des territoires occupés à travers la construction du « mur de l’apartheid ».

Ainsi, la publication de ce document fondateur était dictée par la nécessité de l’accession au pouvoir de Mahmoud Abbas, en réponse aux exigences des États-Unis, qui réclamaient le transfert de la plupart des pouvoirs d’Arafat à son successeur.

Ce transfert s’est concrétisé par la création du poste de Premier ministre, tandis que le président de l’Autorité palestinienne devenait « chef d’État » au sein d’un système parlementaire aux pouvoirs essentiellement symboliques.

La nouvelle version unifiée a été publiée dans un numéro spécial le 19 mars 2003, puis amendée le 13 août 2005.

Ainsi, l’accord conclu par Mahmoud Abbas avec le président Macron sur la nécessité de rédiger une « nouvelle constitution » constitue un coup de force contre le texte constitutionnel qui l’a porté au pouvoir.

Dès lors, il apparaît que la série de transformations majeures de la situation palestinienne post-génocide exige l’achèvement d’un certain nombre des étapes, ce qui implique des modifications radicales de la version initiale, devenue inadaptée à la phase actuelle :

Celle du démantèlement définitif de la cause nationale palestinienne.

La constitution de 2003-2005 n’est plus valable, bien qu’elle ait été très efficace pour amorcer la liquidation de la cause nationale palestinienne. Et nous voici de nouveau en train de nous apprêter à rédiger une nouvelle constitution.

Le point commun entre l’ancienne et la nouvelle est Abbas et son successeur désigné mais illégitime, Hussein al-Sheikh, à Ramallah.

Sans s’attarder sur l’illégitimité de la prétention de Macron à participer à la rédaction d’une constitution pour la Palestine — prétention qu’il aurait dû commencer par examiner en débarrassant la France des méfaits de ses propres politiques antidémocratiques, contraires à l’esprit de la Constitution française, avant de revendiquer le droit d’en rédiger une pour un autre pays.

Il est essentiel de rappeler que la déclaration conjointe des ministres des Affaires étrangères français et saoudien constituera le cadre référentiel de la « constitution » envisagée, incarnant ainsi l’ensemble des futures concessions palestiniennes.

La première — et la plus dangereuse — de ces concessions est la renonciation officielle des Palestiniens à leur droit à l’autodétermination, dans toute sa diversité.

Si la déclaration franco-saoudienne évoque la nécessité de mettre en œuvre les résolutions de l’ONU concernant la Palestine, elle n’en mentionne aucune.

Ce faisant, elle légitimerait certaines résolutions (comme la résolution 242) et en invaliderait d’autres (comme les résolutions 181 et 194), en contradiction flagrante avec l’esprit du droit international.

Elle transformerait également ce droit en un instrument d’opportunisme politique et de machiavélisme, déconnecté de toute notion de justice.

Bien sûr, le préambule du projet de constitution à venir pourrait faire référence au droit à l’autodétermination comme simple prétexte. Mais ce droit ne saurait être réduit au profit d’une partie ou d’une autre du peuple palestinien :

Il s’agit d’un droit indivisible, fondé sur l’ensemble des résolutions internationales relatives aux droits du peuple palestinien.

La constitution palestinienne doit reposer sur le respect du droit à l’autodétermination, et plus particulièrement du droit au retour, un droit individuel et collectif impérissable, qui ne saurait être soumis aux manœuvres de négociation ni aux rapports de force inégaux favorisant l’État colonial (les droits ne sont pas négociables).

Le retour et l’indemnisation des réfugiés de 1948 sont équivalents à ceux des personnes déplacées de 1967. Le droit à l’autodétermination forme un ensemble indissociable, au cœur de la cause nationale du peuple palestinien dans toutes ses dimensions.

Aucune autorité palestinienne n’a le droit de négocier ce droit avec l’entité coloniale sioniste qui a créé la diaspora palestinienne lors des deux phases susmentionnées.

Si l’essence du droit à l’autodétermination consiste à accorder au peuple la capacité de décider librement de la forme de gouvernement qu’il souhaite et des moyens d’y parvenir, sans ingérence extérieure, alors le duo Macron-Abbas s’apprête à rédiger une constitution qui nie ce droit, bien qu’ils soient tous deux étrangers à ce peuple :

La « francité » du premier n’est pas moins extérieure que la « palestinienneté » du second, qui s’arroge le pouvoir sur une partie du peuple sans aucun fondement légitime.

Il est certain qu’un partenaire des dirigeants sionistes dans la guerre d’extermination — en continuant de fournir à l’État génocidaire armes, munitions et technologie militaire, et en œuvrant fébrilement à faire taire la voix palestinienne en France — n’a aucun intérêt à la mise en œuvre de la justice.

Son objectif réel est d’utiliser la guerre d’extermination sioniste comme condition à l’anéantissement politique des droits du peuple palestinien, au service du projet colonial sioniste.

Dans ce contexte, il est frappant de constater à quel point certains soutiens de la cause palestinienne en France, notamment au sein des milieux de gauche, se rendent complices de cette vision fragmentée des droits des Palestiniens, en particulier celui du droit à l’autodétermination. Cette complicité « inconsciente ! » les conduit, involontairement, à adhérer à cette vision Macroniste qui est essentiellement d’inspiration sioniste.

Lors d’un séminaire universitaire, j’ai rencontré une figure importante du soutien à la cause palestinienne, et quand j’ai évoqué le droit à l’autodétermination de toutes les composantes du peuple palestinien, cette juriste s’y est opposée, arguant que les droits ne sont pas éternels. Elle a souligné que le représentant légitime du peuple palestinien (l’Organisation de libération de la Palestine) avait reconnu l’État d’Israël, invalidant ainsi, selon elle, les résolutions antérieures, telles que celles mentionnées dans cet article (181 et 194).

La juriste poursuivait en affirmant que le droit au retour, garanti par les résolutions internationales, est en contradiction avec la reconnaissance par l’OLP de l’État d’Israël et par  la reconnaissance internationale de la légitimité de cet État dès sa création en 1948.

Pour moi, il était essentiel de rappeler à cette éminente défenseure internationale des droits humains que le plan de partage de la Palestine, bien qu’imposé de l’extérieur sans consultation préalable avec les concernés a été en opposition flagrante avec leurs aspirations nationales à un État palestinien arabe qui dépassaient largement le cadre restreint de cette résolution de partage injuste.

Mis et malgré tout, cette résolution reconnaissait un certain degré d’autodétermination palestinienne au sein de l’État juif reconnu, stipulant que 405 000 Palestiniens étaient des citoyens égaux à leurs concitoyens juifs de ce même État, dont le nombre, à peine supérieur, s’élevait à 558 000.

L’État juif reconnu par les Nations Unies était de facto un « État binational » par excellence en matière de citoyenneté, avant de se transformer en un État exclusivement juif par le déplacement forcé de ses citoyens palestiniens. Les positions internationales ultérieures ont stipulé la nécessité de leur retour et de leur indemnisation pour les biens perdus. Ces résolutions que le sionisme a ignorées ont, de fait, invalidé la reconnaissance internationale de cet État. Ce que les Nations Unies avaient reconnu, c’était un État judéo-palestinien de 14 000 kilomètres carrés, et non pas un État purement juif réservé aux seuls Juifs. La résolution internationale reconnaissait la citoyenneté de 405 000 Palestiniens aux côtés de 558 000 Juifs au sein d’un État binational « juif », résolution que le mouvement sioniste a refusé de respecter.

Priver cette partie du peuple palestinien (les réfugiés) de ses droits à une citoyenneté égale et à vivre dans une patrie constituait une violation grave de son droit à l’autodétermination et à la citoyenneté. Les souffrances endurées par les générations suivantes de réfugiés constituent la continuation de cette violation de leur droit à l’autodétermination.

Ainsi, la constitution franco-palestinienne annoncée perpétuera cette négation renouvelée, malgré sa contradiction avec les principes les plus fondamentaux de la justice.

La guerre d’extermination à Gaza sera-t-elle suivie d’une guerre d’extermination contre le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et au retour, sous la fause prétexte de la création d’un État palestinien ?

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.