Naji El Khatib (avatar)

Naji El Khatib

Professeur et chercheur en sociologie

Abonné·e de Mediapart

9 Billets

0 Édition

Billet de blog 25 décembre 2025

Naji El Khatib (avatar)

Naji El Khatib

Professeur et chercheur en sociologie

Abonné·e de Mediapart

Un État Palestinien : « cela ne vaut même pas la peine »

Naji El Khatib (avatar)

Naji El Khatib

Professeur et chercheur en sociologie

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Un État Palestinien : « cela ne vaut même pas la peine »

Hassan Abu Libdeh (ancien ministre de l'Autorité Palestinienne) a évoqué, le 19/12/2025, que dans le contexte de la colonisation rampante, le pourcentage de terres sur lesquelles un État palestinien serait viable se réduisait considérablement. Il a suggéré qu'au lieu des 23% de la Palestine mandataire (correspondant à la Cisjordanie et à Gaza), les Palestiniens pourraient en pratique n'obtenir qu'entre 8% (dans un scénario optimiste) et 3% (dans un scénario réaliste, compte tenu de la colonisation israélienne) du territoire occupé en 1967.

Selon les frontières de 1967, la superficie de l'« État de Palestine » est de 6 225 kilomètres carrés.

la vérité sanglante et meurtrière que les dirigeants palestiniens nient  :

L'entité occupante s'est emparée de 182 kilomètres carrés de Gaza à l'est de la Ligne jaune (qu'Israël a déclaré comme ses nouvelles frontières), de 349 kilomètres carrés, la superficie de Jérusalem, de 2 188 kilomètres carrés pour diverses colonies, de 176 kilomètres carrés pour des réserves naturelles protégées, et de 1 328 kilomètres carrés, le reste de la zone C après l'attribution de la superficie des colonies prévues à l'annexion.

Cela signifie que notre futur État pourrait n'être établi que sur 32 % du territoire de l’« État de Palestine » proclamé suite aux Accords d’Oslo.

Si nous acceptons les aspirations de l'extrême droite terroriste dirigée par Smotrich, selon lesquelles l'annexion pourrait inclure 1 248 kilomètres carrés de la zone B, alors l’« État de Palestine » ne serait rien de plus qu'une monstruosité géographique représentant 12,2 % du territoire.

Autrement dit, la superficie de notre futur État pourrait varier entre 8 % au mieux et 3 % au pire de la superficie de la Palestine historique.

En d'autres termes, et sans détour, cela ne vaut même pas la peine. »

Nous pouvons alors conclure qu’un refus de cet État s’impose comme un devoir national pour dire :

Non à l’État comme substitut au droit au retour et au droit à l’autodétermination de l’ensemble du peuple palestinien

Les reconnaissances internationales successives de ce que l’on appelle « l’État palestinien » sont présentées comme un accomplissement politique historique, alors qu’elles ne constituent en réalité qu’un recyclage d’une vieille illusion, promue au détriment de l’essence même de la cause palestinienne. Ces reconnaissances, malgré leur langage diplomatique soigné, éludent délibérément les questions fondamentales : qui est le peuple palestinien ? Quel est le contenu réel de son droit à l’autodétermination ? Et quelle place le droit au retour occupe-t-il dans cet État supposé ?

Il est frappant de constater que ces reconnaissances ne font aucune référence aux résolutions 181 et 194 de l’ONU, comme si elles avaient été effacées du registre de la légalité internationale. La résolution 194, qui constitue le fondement juridique du droit au retour, est marginalisée au profit d’une seule résolution, la 242, elle-même réduite à une simple clause de négociation. Ainsi, le droit international est vidé de sa force contraignante et transformé en un instrument politique sélectif.

Même lorsque certaines initiatives internationales évoquent la nécessité d’un retrait israélien des territoires occupés en 1967, ce discours s’inscrit toujours dans un cadre de négociation qui établit une fausse équivalence entre une puissance coloniale occupante et un peuple sous occupation. L’occupation cesse alors d’être un crime devant prendre fin immédiatement pour devenir un « conflit » géré à travers des tables de négociation ouvertes indéfiniment.

Depuis les accords d’Oslo, ce processus de négociation a été consacré comme l’unique option offerte aux Palestiniens. L’Organisation de libération de la Palestine a joué un rôle central dans la consolidation de ce choix, non pas comme une option politique susceptible de critique et de révision, mais comme un destin historique sans alternative. Il en a résulté un démantèlement interne du projet national, un abandon progressif du droit au retour et l’acceptation d’une autorité d’autonomie limitée, opérant sous le contrôle sécuritaire et militaire de l’occupation.

Plus de vingt années de négociations n’ont produit ni État, ni souveraineté, ni même un gel de la colonisation. Au contraire, ces négociations ont servi de couverture politique et juridique à une accélération sans précédent du colonialisme de peuplement et à une confiscation systématique de ce qui restait des terres palestiniennes, y compris celles sur lesquelles l’« État » promis était censé voir le jour. Le projet étatique s’est ainsi transformé en un ensemble de bantoustans isolés, dépourvus de continuité territoriale et de perspective politique.

Dans ce contexte, l’observation formulée par la juriste française Rafaëlle Maison revêt une importance particulière : le retrait israélien des territoires occupés n’est, selon le droit international, nullement conditionné à un processus de négociation. Le droit international n’accorde pas à la puissance occupante le droit de négocier la fin de son occupation ; il lui impose un retrait immédiat et inconditionnel. Le processus de négociation engagé après Oslo est donc non seulement contraire aux intérêts du peuple palestinien, mais aussi à l’esprit même du droit international.

Cela signifie que les Palestiniens n’ont pas seulement été vaincus par les rapports de force, mais qu’ils ont aussi été politiquement induits en erreur. La négociation n’a pas été un moyen d’obtenir le retrait, mais un outil de gestion et de prolongation de l’occupation. Pourtant, elle a été présentée comme une preuve de sagesse politique, certains négociateurs allant jusqu’à considérer la négociation comme une valeur en soi, ignorant le fait que, du point de vue israélien, ce processus ne visait pas à résoudre le conflit, mais à le gérer au moindre coût.

Dès lors, les reconnaissances internationales de l’État palestinien ne peuvent être considérées comme une victoire politique. Elles constituent, dans leur essence, un contournement du cœur de la cause palestinienne et une tentative de substitution des droits historiques et juridiques d’un peuple entier par une entité souveraine incomplète sur une partie du territoire. Un État sans retour, sans souveraineté et sans unité du peuple et de la terre n’est pas un État, mais une forme moderne de pérennisation de la défaite.

Le droit à l’autodétermination est indivisible. Il ne peut être limité aux habitants de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, en excluant des millions de réfugiés dans les exils, ni les Palestiniens à l’intérieur de la Ligne verte, qui vivent comme des citoyens de seconde zone dans un État bâti sur les ruines de leur peuple. Il ne peut pas non plus être réduit à un drapeau, un hymne et des frontières provisoires, alors que la structure du colonialisme de peuplement demeure intacte, du fleuve à la mer.

Toute solution politique qui ignore l’unité du peuple palestinien et l’unité de ses droits, et qui ne repose pas sur la justice historique et l’égalité politique, ne sera pas une solution, mais une reproduction du conflit sous une forme diplomatique embellie. Ce qui est requis n’est pas un État à n’importe quel prix, mais l’application effective du droit à l’autodétermination de l’ensemble du peuple palestinien.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.