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Billet de blog 23 avril 2018

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Les juifs se souviennent de l'Histoire : la bien-pensance sociétale tombe des nues

C'est bel et bien la leçon de la marche blanche organisée suite à l'assassinat de Murielle Knoll pour motifs, selon les autorités, antisémites.

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Car trois ans après les déclarations de Roger Cukierman affirmant que le front national « est un parti qui ne commet pas de violences", que "toutes les violences aujourd'hui, et il faut dire les choses, sont commises par des jeunes musulmans », et enfin que Marine Lepen est une femme politique "irréprochable", le nouveau président du Crif, Francis Kalifat, n'entend pas du tout les choses de la même manière.

En effet, pour ce dernier, le front national et sa présidente sont redevenus "des vecteurs de haine", ne "luttent pas [davantage] contre l'antisémitisme" (1).

Suite à ces déclarations, une incroyable levée de boucliers politico-médiatiques retentit contre ce qui est alors considéré comme une entrave injustifiable à l'unité nationale contre l'horreur. Même des cercles de gauche trouvèrent alors naturel de défiler avec Marine Lepen, défendirent sa cause.

Il y a peu, le père fondateur du parti vient d'être débouté et définitivement condamné pour ses propos inexcusables sur les fours crématoires, "détails" selon lui de la Seconde Guerre Mondiale. Jean-Marie Lepen et son parti en sortiraient paradoxalement exonérés de toute déviance et le Crif, comme en réalité l'ensemble de la judéité, sommés d'accepter auprès d'eux, au moment de se sentir agressés dans leur foi, une mouvance qui compte dans ses rangs nombre d'antisémites notoires, revendiqués, et autres spécimens fascistes.

Mais au beau milieu de cette union sacrée contre le crime antisémite, le Crif se souvient à nouveau qu'en France, il n' y a pas cent ans, des dizaines de milliers de juifs étaient déportés vers les camps de la mort, comme le furent des millions d'autres ailleurs en Europe. Il sait qu'une certaine France traditionnelle perpétue l'idéologie mortifère qui motiva ce génocide. Il se souvient également qu'aujourd'hui certains ne trouvent rien à redire à la réédition de pamphlets, substrats idéologiques de la Shoa.

Elle échoue donc fort heureusement cette tentative assez vicieuse, y compris et même essentiellement à l'instigation de gens revendiqués "républicains", de fourguer aux juifs de France et à l'opinion collective un front national soi-disant amendé, lavé de tout antisémitisme culturel, ancestral. Des juifs ne sont plus disposés à raison, comme jadis, à communier avec l'extrême-droite en dépit de ses appuis lancés à l’État d'Israël moins par "judéophilie" que pour l'opportunité d'opprimer davantage les musulmans de Palestine et d'ailleurs.

Et c'est précisément là que se situent certains enjeux.

Que le caractère anti-judaïque du meurtre de Murielle Knoll se confirme ou pas et quoi que l'on puisse penser du Crif, ce qui se joue, c'est d'une part l'évidente stratégie qui consiste à faire oublier le lourd contentieux historique entre les juifs et le passé étatique, mais également populaire de la France, par une union sacrée, arc-boutée contre un bouc-émissaire, la communauté musulmane, à laquelle elle attribue quoi qu'il arrive un antisémitisme systématique, quasi génétique, amalgamant sans scrupules les haines européennes, culturelles et identitaires, traditionnelles, aux ressentiments politiques anti-israéliens. En d'autres termes, la marche blanche ayant eu lieu alors que la nature antisémite du meurtre de Murielle Knoll était établie a priori, sans démonstration, comment ne pas voir que ce qui fut reprocher au Crif, c'est d'avoir rompu la « muslim ban connection », ce défouloir islamophobe collectif qu'il est convenu de pratiquer ?

Cette stratégie qui tente de convaincre la communauté juive d'ouvrir plus encore ses bras au front national, parti absolument antisémite, dans une alliance contre-nature, diabolique, vient de se fracasser sur la conscience d'hommes et de femmes qui ne sont pas dupes de ce qui trame en outre aujourd'hui en France : normaliser définitivement les mouvances radicales, traditionnelles, avec l'assentiment malhonnêtement acquis de leurs victimes d'hier.

Un autre aspect de cet évènement concerne à l'évidence le rapport de la société française, traditionnelle, avec son propre passé, celui de la collaboration active avec le régime nazi.

Si certains entendent encore cautionner l'horreur de son idéologie dirigée désormais également contre d'autres communautés nouvellement arrivées, le poids de l'Histoire ne passe pas au sein d'autres franges sociétales et crée en elles de profonds remous. Et cela se comprend évidemment, tant l'indicible fut atteint. Si des crimes antisémites peuvent exister, une sorte de pathologie psychique aigüe fait que chaque fois qu'une personne de confession juive est agressée, assassinée, on crie à l'antisémitisme avant même que la nature de l'acte soit démontrée. La société républicaine en vient même à tenter de faire croire qu'en France, il n'y a plus de mouvances, de pensées antisémites, traditionnelles. C'est aussi en ce sens que l'on peut interpréter la défense du front national en cette journée de marche blanche par des organisations ou médias habituellement au-dessus de tout soupçon.

S'il est urgent - et même au-delà - de dénoncer ces dérives très inquiétantes et préjudiciables d'une société française désireuse de conserver une cohésion très artificielle par l'oppression de l'une de ses minorités et de recouvrer des temps politiques peu glorieux, il n'est absolument pas possible d'envisager de la même manière le rejet de la France insoumise par le Crif au motif que celle-ci condamne la politique d'Israël. Rappelant que l'organisation de M. Kalifat ne parle qu'en son nom et nullement pour l'ensemble des juifs de France et d'ailleurs, contrairement à ce qu'elle tente de convaincre depuis trop longtemps, nous ferions le jeu des droites extrêmes que nous venons de dénoncer en considérant que critiquer catégoriquement Israël, boycotter son économie à cause de son traitement plus qu'inhumain, criminel, des palestiniens, relève de l'antisémitisme.

Mais la volonté du Crif de ne pas voir la France insoumise à ses côtés témoigne du même phénomène sociétal que le rejet du front national. L'union sacrée convenue contre une communauté musulmane érigée en épouvantail ne tient plus, ou du moins n'était pas au rendez-vous en ce jour de marche blanche pour Murielle Knoll, face aux dissensions fondamentales qui existent par ailleurs entre les groupes qui la composent. L'hostilité essentielle du front national à l'adresse des musulmans, son appui réitéré à l’État d'Israël, la stigmatisation systématique des rites de l'Islam par Jean-Luc Mélenchon ne suffisent pas à obtenir l'assentiment de certains des membres les plus radicaux de la communauté juive, ceux du Crif, qui en matière d'islamophobie se font aussi entendre.

Si M. Kalifat a cité le seul rejet de l’État d’Israël comme motif d'exclusion de la France insoumise, il est sans doute possible d'évoquer d'autres raisons.

La plus directe ou récente est cette déclaration d'un ex-candidat de l’organisation de gauche, qui applaudit à la mort du gendarme Arnaud Beltrame lors de l’attentat de Trèbes. Cette sortie ne fait naturellement que du tort à la France insoumise, notamment auprès de la communauté juive qui est régulièrement attaquée pour sa foi par des gens venus ou originaires du monde arabo-musulman, pour des questions religieuses (djihadisme) disent les uns ou en répercussions politiques à, par vengeance de l'attitude israélienne vis-à-vis des palestiniens, pensent les autres .

D'autre part, il est peut-être intéressant de rappeler une étude de la Fondapol de 2015, qui affirme pouvoir déceler un foyer d'antisémitisme dans l'entourage et sympathisants de l'ancien Front de gauche réinventé en France insoumise (2). Si cet article ne prétend pas confirmer ces résultats, M. Kalifat les tient peut-être pour acquis.

(1) http://www.bfmtv.com/politique/octogenaire-tuee-le-crif-ne-souhaite-pas-la-venue-du-fn-et-des-insoumis-a-la-marche-blanche-1406012.html

 
(2) http://www.fondapol.org/etude/violence-antisemite-en-europe-2005-2015/

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