Le harcèlement en réseau, késako?
Le harcèlement en réseau s’appuie sur l’essor technologique avec la multiplication des terminaux numériques, en particulier les smartphones, ainsi que l’utilisation croissante de plateformes (réseaux sociaux), dont certaines sont informelles (Dark net). Il peut parfois nécessiter suivant les cibles, des technologies de pointe.
Certaines personnalités ont expérimenté cette forme virulente de harcèlement. C’est le cas, dernièrement de la journaliste Nadia Dâam. Mais la plupart du temps, cette gangrène prolifère dans l’ombre et dans la plus grande impunité, la technologie ayant devancé la loi. En effet, il n’existe pas vraiment d’outils juridiques pour caractériser, ce qui relèverait du pénal compte tenu des conséquences dramatiques que cela peut entrainer : dépression, suicide….
Le cyber harcèlement, « acte agressif intentionnel perpétré au moyen de formes de communication électroniques, de façon répétée à l’encontre d’une victime »[1], est ainsi devenu un fléau chez les digital-natives, jeunes nés et ayant grandi pendant la révolution numérique.
Le cyber harcèlement, ou harcèlement en réseau, concernerait 1 à 2 élèves par classe au collège et au lycée. Il a donné lieu à des tragédies (suicides), laissant les parents des victimes, camarades de classe et corps pédagogiques dans la plus totale des impuissances.
La plupart du temps, ils n’ont pas su prendre la pleine mesure du sentiment de détresse et d’encerclement de la victime.
Le caractère viral d’internet est un terrain propice à la propagation du phénomène de harcèlement, qui dépasse désormais les frontières du seul établissement scolaire et s’étend à une sphère immatérielle, insaisissable et extensible. Ces écrans multiples et l’anonymat du net participent autant à la déshumanisation de la victime, perçu comme un objet bien plus qu’un sujet pensant, qu’au sentiment de toute-puissance et d’invulnérabilité des persécuteurs. Le concept de « porn-revenge », consistant à divulguer sur la toile des photos ou vidéos d’ex-compagnes que l’on souhaite humilier, en est une des déclinaisons.
Ce harcèlement en réseau n’est pas que l’apanage d’adolescents prépubères et irresponsables. De nombreux adultes s’organisent désormais en réseaux, quasi mafieux, pour monter des opérations punitives à l’égard de cibles prédéfinies, suivant des méthodes de persécution perfectionnés par les nazis et la STACI, à une certaine époque.
Comme l’explique un auteur, Jocelyne Labadie, dans son article « du harcèlement en réseau au harcèlement global » :
« Les cas de harcèlement en réseau peuvent être plus ou moins étendus, comme le cas d‟un individu qui utilise son réseau pour harceler sa femme qui divorce, ou parce que telle autre qu‟il convoitait ne lui a pas cédé.
'Ce n‟est pas un cas de figure rare dans une société machiste où une majorité d‟hommes se sont organisés - via des réseaux(3) justement - pour imposer leur loi et obtenir ce qu‟ils veulent des femmes, par une force artificielle autant qu‟insidieuse. Cette organisation sous-terraine extrêmement structurée est en quelque sorte une forme moderne du droit de cuissage et à la domination. Au-delà des apparences fausses de liberté de notre société l‟esclavagisme se développe de plus en plus, la société régresse. Ce sont les femmes qui en sont les principales victimes."
Nous avons recueilli le témoignage d’une victime, Sophie*[2], qui a souhaité garder l’anonymat sur ce témoignage.
« Je suis victime depuis 2 mois et demi d’un harcèlement en réseau, qui a débuté à l’issue de ma participation à un projet de documentaire portant sur les violences faites à la communauté LGBT.
Dés la diffusion de ce projet de documentaire, j’ai commencé à subir un harcèlement de rue complétement inédit : Des jeunes de cité, se réunissant, quasiment sous mes fenêtres afin de m’insulter de « trav’lo ». J’ai aussitôt fait une main courante au commissariat.
Puis le harcèlement a pris une forme plus insidieuse : un dispositif audio que je n’ai jamais réussi à localiser, mais dont j’ai pu enregistrer les effets, a pris le relais à l’intérieur de la maison que j’occupais avec d’autres membres de ma famille, en non-stop. J’entendais du matin au soir les insultes et menaces suivantes : « Travesti », « trav’lo » « affreuse » « Elle va pleurer », « Elle est finie »etc.…. »
La participation de Sophie à ce documentaire militant, avait été , chose prévisible mal accueilli mais rien ne lui laissait supposer qu'elle aurait pu être victime d'un tel niveau de harcèlement, nécessitant l'implication de nombreux individus à différents niveau de la société, et disposant de de moyens technologiques et financiers aussi importants.
« C’est vrai que face à un tel acharnement, et une telle puissance de frappe, on tombe vite dans l’excès de considérer tout le monde comme étant potentiellement suspect. Et je crois que là réside le plus dur : ne pas savoir qui est derrière tout ça, et pourquoi. On peut juste en observer et subir les effets.
De mon côté, je ne baisse pas les bras. J’essaie de m’organiser. J’ai réussi à enregistrer des bandes audio de ces voix. On y perçoit les insultes que je subis à longueur de journée. J’ai déposé une 1ère plainte sur cette base. Un de mes amis, qui a aussi été témoin de ces insultes diffusés via un dispositif audio, a apporté son témoignage.
Malgré mon déménagement, ce phénomène de harcèlement en réseau se poursuit : dans la rue, dans les supermarchés, et dans le nouvel appartement que j’occupe…via des bouches d’aération, cette fois. A chaque fois, je filme et dès que je peux, en dépit du coût prohibitif, je fais consigner les bandes chez un huissier s’il y’a insultes, en plus du dépôt de plainte.»
L’utilisation du même corpus ( « trav’ », « elle se croit belle », « elle va pleurer », « affreuse », « Elle est finie »….), en des lieux différents, par des harceleurs eux même issus de milieux hétérogènes, laisse penser qu’une coordination, probablement internautique, est à l’œuvre.
« Tout ceci est en effet très lié à internet. Les attaques ont commencé dés que le projet de reportage a été mis sur une plateforme numérique. De là à penser qu’il a été récupéré, puis largement diffusé auprès de réseau informel LGBT-phobe, dont je suis devenu la cible…il n’ya qu’un pas de fourmi. »
Et d’ajouter :
« Si j’avais su, j’aurai témoigné à visage couvert…comme je le fais aujourd’hui. »
Sophie, aujourd’hui, comme des milliers d’autres femmes livrées à elles même face aux attaques sexistes et à la violence décomplexée, doivent également affronter une autre forme de violence : la violence économique.
Les réseaux de ce type, en plus d’avoir des moyens parfois conséquents, peuvent mutualiser les coûts liés à leurs opération, là où la victime souvent isolée et fragilisée financièrement doit affronter seuls les couts de procédures (avocats), constat d’huissier (à 290 euros), relatifs à sa protection.
Il y’a une asymétrie que l’état doit réparer, en accompagnant les associations dans leur travail de sensibilisation sur cette problématique d’une part, et d’autre part en prenant une série de mesures visant à protéger les victimes et sanctionner avec la plus grande fermeté les réseaux qui perpétuent, en toute impunité jusqu’ici, ces crimes odieux.
Eugénie LOBE
[1] Citaiton de Peter K. Smith, en 2008
[2] Le prénom a été changé.