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Billet de blog 4 mars 2016

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LODZ

Des enfants attendent leur repas dans le ghetto juif de Lodz et nous regardent.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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Cette photographie est à la fois terrible et émouvante. 

Terrible, car l'on sait aujourd'hui que tous ces enfants vont mourir quelque temps après, déportés et assassinés dans le camp d'extermination nazi de Chelmno.

Emouvante, car leur présence semble irréelle et comme impérieuse.

Ils sont photographiés ici dans le ghetto juif de la ville polonaise de Lodz, en 1941, durant l'Occupation allemande.

Ils nous regardent et l'on reste sans voix, comme pétrifiés par l'impuissance dans laquelle nous nous trouvons de pouvoir faire quoi que ce soit pour eux.

Ils attendent une distribution de nourriture organisée par les autorités juives du ghetto, les mêmes autorités qui, quelques mois plus tard, les rassembleront, à la demande des nazis et les livreront à leurs assassins, par désespoir et dans l'espérance, bientôt ruinée, que le sacrifice de ceux-ci en sauveront d'autres plus tard.

On aimerait pouvoir construire pour chacun d'entre eux un mémorial individuel où apparaîtrait leur nom, leur prénom, le récit de leur courte existence, la figure de leurs parents et frères et sœurs.

Mais nous ne savons rien d'eux et ils apparaissent groupés, ne formant plus devant l'objectif du photographe qu'une colonne soudée par l'enfance et l'attente du repas.

Pareillement, aimerions-nous déchirer le voile hallucinatoire qui nous sépare d'eux et les tirer par la manche de ce côté-ci du miroir, afin qu'ils aient la vie sauve et un avenir parmi nous.

Leurs vêtements élimés, leurs chaussures usées, la pauvreté de leur apparence disent l'inconfort d'une vie recluse, en proie à la faim et à la relégation.

En quelle saison est-on ? Peut-être au tout début du printemps lorsque pulls et manteaux légers se supportent encore, ou à la fin d'un automne qui s'éternise un peu et devient plus froid.

Sur d'autres clichés, pris à la même époque, on les voit jouer entre eux ou organiser des parades enfantines où ils imitent les adultes en uniforme qui les entourent.

Les plus poignants sont ceux où on les voient alignés en rangs par deux, attendant en bordure des voies de chemin de fer, les trains qui les emmèneront vers les camps de la mort.

Ici, ils sont encore attentifs et souriants, certains s'amusent, d'autres observent ailleurs les alentours, il y a semble-t-il du soleil.

Par quel miracle leur existence, depuis longtemps anéantie, parvient-elle encore à se frayer un chemin vers nous, entre effroi et émotion, comme le témoignage indiscutable qu'ils furent parmi nous et qu'ils nous manquent ?

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