Les voici, donc…alignés les uns à côté des autres dans une cour de la prison de Fresnes, en
1944, avant que d’être torturés et fusillés quelques temps après.
Tous membres de « L’Armée du Crime » comme l’écrivait la propagande allemande en placardant
« L’Affiche rouge » sur le mur des villes de France.
De gauche à droite on reconnaît Rouxel, puis Witchitz, Manouchian (qui les dirige tous), Boczov,
Wasjbrot, Grzywacz, Fingerweig et enfin Thomas Elek, le plus jeune d’entre eux (18 ans), le seul
aussi, avec Grzywacz, à regarder droit dans les yeux le photographe militaire.
On sait peu de choses de celui que ses compagnons de combat avaient surnommé « bébé
cadum » à cause de son jeune âge (il a à peine 16 ans quand il décide de s’engager dans l’action
clandestine).
Sa mère, dans ses mémoires, est plus prolixe et le décrit comme un homme-enfant grandi trop
vite, rattrapé par la violence de ce temps-là (antisémitisme, Occupation allemande, résistance…)
et cherchant auprès d’elle cette sécurité affective de jadis qui désormais ne lui est plus permise.
Dans un autre opuscule, un de ses neveux se débat tardivement contre ses propres fantômes,
au milieu desquels règne sans partage depuis toujours la figure écrasante de cet oncle presque
adolescent disparu héroïquement des décennies auparavant.
Que penser d’eux dans cette mise en scène sinistre de leur arrestation-mise à mort ?
Ils dorment depuis des semaines sur des paillasses au fond de cachots sordides d’où on ne les
sort que pour des sévices visant à les faire parler, ce qu’aucun d’entre eux pourtant ne fera.
Leurs habits sont défaits et leurs mines assombries par le sort funeste qui les attend.
Contraints et forcés ils semblent se plier à cette mascarade propagandiste avec résignation.
Nous ressentons obscurément de la sympathie pour eux car nous savons l’étendue du sacrifice
qu’ils sont en train d’accomplir pour que nous puissions les oublier librement aujourd’hui.
A bien la regarder l’image reste mystérieuse, le lieu insituable, leurs visages inconnus, leurs noms
imprononçables...la magie maléfique de la photographie s’exerce ici malgré eux et à l’insu de
l’officiant allemand.
L’effet visuel obtenu est presque hallucinatoire, on les croirait présent devant nous, en chair et en
os, nous regardant posément pour mieux déchiffrer nos intentions, notre probable indifférence,
notre possible solidarité.
Les aiderons nous, passerons nous notre chemin? A chacun d’entre nous finalement d’en décider.
Par sa grande et fière stature le jeune Elek semble être leur représentant, au premier plan de la
scène photographique.
Il ressemble à l’ange Gabriel veillant sur ses frères d’arme désarmés et comme celui-ci il est pour
nous leur messager lumineux, annonçant leur victoire prochaine et posthume (Paris sera libéré
quelques mois après leur exécution).
Nous les admirons.
Régis
Août 2021