Déclaration du comité de rédaction d’Enkar, magazine indépendant d’activistes iraniennes et iraniens, contre l’agression israélienne.
« Les guerres commencent toujours par des promesses de libération, mais ne laissent derrière elles que ruines et désolation. »
Ce texte est rédigé dans le tumulte des canons, sous le fracas des bombes et le rugissement des avions de chasse étrangers qui déchirent le ciel de notre pays — des mots pesants, lestés de la douleur causée par le sang injustement versé de nos compatriotes. Ce qui n'aurait jamais dû se produire, ce dont la nature même ne promet rien d'autre que dévastation, s'est pourtant bel et bien produit : Israël a lancé une attaque militaire contre notre patrie. Plus de vingt ans d'efforts continus de la part de la nation iranienne pour éloigner le spectre de la guerre n’auront finalement pas suffi.
A « Enkar », tous nos efforts ces dernières années se sont concentrés non seulement sur le renforcement de la société, mais également sur la critique et le rejet de toutes formes de domination. Pourtant, la guerre — le plus grand et peut — être le plus terrible ennemi de la vie — se dresse aujourd'hui devant nous. Nous condamnons fermement cette agression contre notre territoire et, bien que nos moyens soient limités, nous mettons tout en œuvre pour aider au mieux nos compatriotes.
Contrairement à de nombreux·ses intellectuel·les, théoricien·nes et activistes politiques de ces dernières années, dont les cœurs sont gangrenés par une haine telle qu’elle les pousse à réclamer la libération par les bombardements, le feu et la violence ; nous avons toujours été convaincus qu’aucun salut collectif n’était possible par la guerre.
Les guerres commencent toujours par des promesses de libération, mais ne laissent derrière elles que ruines et désolation. L’histoire nous a enseigné à maintes reprises que la destruction d'un ordre politique par l'invasion militaire reproduit invariablement la tyrannie qui tout au plus change de forme et apparaît sous un nouveau jour. La guerre annihile l'essence même de la vie. Le chaos, la dévastation et les crises matérielles qui en résultent oblitèrent toute possibilité de changement ou d'aspiration à la liberté.
Tout au long de sa riche histoire, le peuple iranien a toujours lutté pour son droit d’exister. Ce n'est peut-être pas une coïncidence si, en Iran, existait déjà une tradition de lutte politique moderne bien avant que la plupart des institutions modernes ne voient le jour. La lutte politique, la quête du changement et le désir joyeux de construire un autre monde se sont toujours inscrits dans une réalité concrète. Des frontières territoriales définies ainsi que des règles et normes établies sont des conditions nécessaires à cette lutte et à ce changement. La guerre, cependant, détruit ces conditions et se pose en adversaire de toutes ces aspirations. La guerre suspend toutes possibilités internes et externes de création et de transformation de la vie. Elle est ce moment où la mort triomphe totalement de la vie — ce moment qui, si nous n’y faisons pas face avec détermination, ruinera notre existence pour les années à venir.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Quelle est la part de responsabilité de chaque individu ou groupe d’individus dans l’occurrence de cette crise ? Dans quelle mesure la répression ininterrompue par le pouvoir en place de tous les efforts déployés par le peuple iranien pour réaliser ses aspirations a-t-elle joué un rôle ? Et même si face à la guerre, l'érosion de certaines figures publiques, médiateur·rices et institutions sociales rend la concrétisation de la solidarité nationale encore plus complexe — discuter maintenant des facteurs qui nous ont conduits à ce point de rupture ne nous semble pour l’heure pas plus utile qu’approprié.
La dure réalité est que le régime actuellement le plus sauvage et le plus impitoyable au monde —celui-là même qui est responsable de la mort de plus de cent mille enfants, femmes et hommes innocents en Palestine, au Liban et en Syrie en moins de deux ans ; ce régime qui fait passer sous silence chaque atrocité en en commettant une autre — tantôt frappant le Liban pour faire oublier Gaza, tantôt bombardant le Yémen pour estomper Beyrouth, tantôt attaquant la Syrie pour éclipser Sanaa, et maintenant ciblant Téhéran pour occulter Damas — ce même régime, dont les actions témoignent sans cesse d’un mépris absolu pour le droit international, s’en prend désormais à notre pays. Et cela dans une période cruciale où la République islamique était activement engagée dans des négociations avec les États-Unis en vue d'une éventuelle résolution du conflit portant sur les modalités de l’utilisation de la technologie nucléaire.
Il semble que ces premiers jours d'assaut militaire, les lieux frappés par les missiles ennemis et le martyre de nos compatriotes aient suffi à faire comprendre à beaucoup que, contrairement à la propagande mensongère des médias israéliens, les véritables cibles de cette agression n’étaient ni l'industrie nucléaire iranienne ni même le pouvoir en place, mais plutôt l'affaiblissement de structures vitales pour le peuple iranien et, plus largement, une atteinte à la possibilité même de la vie en Iran. Il ne fait aucun doute que, dans de telles circonstances, lorsque l'ennemi vise l'ensemble de notre société, nous devons lutter pour notre survie et celle de notre pays, afin que demain nous ayons encore la possibilité de poursuivre notre combat pour une vie meilleure.
Nous devons mobiliser sans crainte toute notre créativité pour élever la voix contre l'agression militaire d'Israël et saisir chaque occasion de protester contre cette infamie. À un moment où une pulsion destructrice s'est emparée de presque tous les groupes d'opposition à l'étranger et de nombreux·ses militant·es politiques en Iran qui semblent prêts à accepter un changement de régime au prix de la dévastation complète de notre pays, il est absolument essentiel de faire entendre la voix authentiquement anti-guerre du peuple iranien à travers le monde. Nous devons affirmer avec force que la nation iranienne est sortie de l'enfance politique il y a des siècles de cela, résistant sans relâche au colonialisme étranger et à la tyrannie intérieure pour réaliser ses aspirations. Aujourd'hui, face aux menaces extérieures, elle demeure capable de s’unir et de rester fermement unie.
Mais que pouvons-nous faire en ce moment même ? L'amère vérité est que les processus politiques, économiques et sociaux internes, d'une part, et les sanctions et pressions externes, d'autre part, ont progressivement réduit nos possibilités d’action collective en vue de déterminer notre destin en tant que peuple. Pourtant, nous ne pouvons aujourd’hui ni rester les bras croisés ni invoquer ces circonstances comme prétextes et assister impuissants à notre destruction. Seuls celles et ceux qui résistent dans la solidarité survivent à l’épreuve de la guerre. Si les bombes israéliennes visent à nous disperser, notre réponse doit être de réaffirmer notre unité. Ces dernières années, même les sujets aussi consensuels et généralement rassembleurs, comme un match de notre équipe nationale ou les sanctions économiques que nous subissons, sont devenus objets de querelles politiques. Mais peut-être aujourd’hui pouvons-nous espérer que la nécessité de résister pour l'Iran s’érige au-dessus de ces divisions et serve de base à une unité et une solidarité nationales retrouvées ?
Nous devons agir — chacune et chacun d'entre nous, chacune et chacun selon nos moyens. Nous devons saisir la moindre opportunité, aussi modeste soit-elle. Par-dessus tout, nous devons prendre soin des personnes qui nous sont chères — ami·e·s et familles— et les éloigner des médias qui colportent des mensonges dont le seul but est de nous anéantir psychologiquement. En outre, nous devons utiliser tous les canaux disponibles pour condamner cette guerre, en mettant en lumière sans relâche ses conséquences dévastatrices sur nos vies. En tant qu'Iraniennes et Iraniens, quelles que soient nos souffrances et nos difficultés personnelles, nous perdrons notre avenir si nous perdons espoir aujourd'hui. Nous devons donc collectivement garder espoir et recouvrer nos forces, aussi, car les armées de la mort finissent toujours par rendre gorge face à la puissance de la vie. Il ne faudra pas attendre longtemps avant que les images tragiques de nos compatriotes fuyant leur foyer ne laissent place aux célébrations joyeuses du retour. Puisse ce jour advenir le plus tôt possible.