La condamnation de Marine Le Pen vue par les médias internationaux
Marine Le Pen, présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, a été condamnée lundi pour détournement de fonds publics à une peine d’inéligibilité de cinq ans avec effet immédiat. La décision a provoqué un choc, non seulement en France mais aussi à l’étranger.
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Marine Le Pen, le 31 mars 2025 (Alain Jocard/AFP).
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Rappel des faits
Marine Le Pen et des cadres du parti, anciens ou actuels, ont été condamnés lundi pour avoir détourné des fonds versés par l’Union européenne et destinés à embaucher des collaborateurs parlementaires. D’après les estimations du Parlement européen, ce sont près de 7 millions d’euros qui ont servi en réalité à financer les activités du parti. Ce « système de détournement », tel qu’il est qualifié par le tribunal, a perduré de 2004 à 2016.
Le tribunal a mis en avant le « rôle central » de l’ancienne présidente du Rassemblement national. Celle-ci a été condamnée à une peine de quatre ans d’emprisonnement dont deux ferme, aménageables sous bracelet électronique, 100 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité avec exécution immédiate. Bien que Marine Le Pen ait fait appel, les délais de la justice font qu’elle ne pourra très probablement pas se présenter aux élections présidentielles de 2027.
C’est ce dernier point qui a provoqué une onde de choc en France et à l’étranger.
Une atteinte à la démocratie ?
C’est le cri lancé par Marine Le Pen lors de l’interview donnée lundi sur le plateau de TF1 et relayé par Jordan Bardella et les autres cadres du parti. Soutenue entre autres par le président américain Donald Trump, le milliardaire Elon Musk ou encore le Premier ministre hongrois Viktor Orban, Marine le Pen voit son analyse reprise par certains médias.
Le média conservateur SkyNews Australia a interrogé Greg Sheridan, rédacteur au service « étranger » au quotidien national The Australian. Pour lui, le jugement rendu par le tribunal français est « très étrange et médiocre ». Il ne comprend pas cette décision d’écarter la « favorite » aux élections parce que pour lui, Marine le Pen ne s’est pas enrichie personnellement. Il condamne la « judiciarisation » de la politique et considère que « si l’on n’aime pas quelqu’un », c’est dans les urnes qu’il faut l’exprimer. Le journaliste loue Marine Le Pen comme une « politicienne extrêmement résiliente ». Il prédit que si elle parvient malgré tout à se présenter aux prochaines élections présidentielles, il se produira le même scénario que pour Donald Trump : les électeurs, pris de sympathie pour celle qui aura été maltraité par le système judiciaire, voteront pour elle.
Il n’y a pas que les médias conservateurs qui critiquent la condamnation de Marine Le Pen. Russia Today, qui est le porte-voix du Kremlin, a interrogé lundi Sergei Mironov : c’est un proche de Vladimir Poutine et un défenseur de l’invasion de l’Ukraine. Pour lui, « les élites derrière Macron veulent écarter Le Pen de l’élection présidentielle de 2027 pour se protéger ». Il compare le jugement à un assassinat politique et « insiste sur le fait que les dirigeants de l’UE versent des centaines de milliards d’euros d’aide à l’Ukraine, mais que personne n’a été tenu pour responsable des pots-de-vin et des escroqueries ».
D’autres médias se félicitent au contraire de la condamnation de la chef de file du RN.
La preuve de l’indépendance de la justice, garante de l’Etat de droit
Alexander Hurts, éditorialiste au Guardian, considère qu’avec la décision rendue lundi par le tribunal, la France pourrait être « l’anti-Trump ». Il parle d’un « chemin audacieux que d’autres devraient suivre ». Dans son article publié dans le quotidien britannique de centre-gauche, le journaliste complimente le système judiciaire français pour avoir « choisi le courage à la reddition », en n’accordant « aucun traitement de faveur » à Marine Le Pen.
Alexander Hurst balaye d’un revers de main tout rapprochement qui pourrait être fait avec Donald Trump, condamné pour avoir voulu acheter le silence d’une actrice pornographique dans la perspective de l’élection présidentielle de 2016. Pour le Britannique, l’affaire impliquant Marine Le Pen est beaucoup plus grave : il souligne qu’il est question ici du détournement de plusieurs millions d’euros de fonds public sur plus d’une décennie. Il ajoute que cet argent a permis au parti de prendre ses distances vis-à-vis de Vladimir Poutine, en réglant les dettes contractées auprès d’une banque russe proche du Kremlin. Le journaliste se pose aussi la question de savoir si le parti de Marine Le Pen aurait été aussi compétitif lors des dernières élections sans l’argent détourné.
Alexander Hurst affirme que « l’on ne saura jamais ce qui se serait passé si le système judiciaire américain n’avait pas échoué à protéger l’Etat de droit contre une tentative de coup d’Etat. Mais pour lui, les conséquences de ne pas avoir agi sont connues : destruction de l’Etat de droit, création d’un système parallèle de prérogatives et de privilèges liés à la proximité du pouvoir politique et un glissement vers un fascisme pur et dur ».
L’éditorialiste considère que le prochain jugement doit être celui des électeurs et qu’il doit se faire sur la base des multiples contradictions du RN.
« Le RN affirme à ses électeurs que le gouvernement est rempli d’élites corrompues ou que les immigrés volent les prestations sociales. Mais Le Pen et vingt-quatre autres membres du parti ont été condamnés pour détournement massif de fonds public. Il demande des peines de justice plus dures mais il joue les victimes quand il se voit infliger des peines sévères ».
Après cette décision de justice historique, les médias se posent la question de l’avenir politique du Rassemblement national.
Quel avenir pour le Rassemblement national ?
Après avoir fait le constat que Marine Le Pen semble « politiquement morte », la chaîne américaine CNN se demande si l’extrême-droite peur l’emporter sans elle.
Le média affirme que l’année 2025 a été « un double coup de massue » pour la dynastie Le Pen, d’abord avec la mort de Jean-Marie Le Pen en janvier puis maintenant avec le départ forcé de Marine Le Pen de la scène politique.
Mais CNN prétend que loin de décapiter l’extrême-droite, le jugement rendu par le tribunal français pourrait la renforcer « en alimentant les revendications populistes et en accélérant le changement d’image » du parti. La décision de justice pourrait finalement libérer le RN du nom « Le Pen » « qui a tout à la fois défini son identité et l’a accablé pendant des années ».
Jordan Bardella, qui dirige le parti depuis 2022, semble le candidat idéal pour prendre la succession : il a contribué à distancer le parti de son chef historique Jean-Marie Le Pen, il a permis d’attirer des électeurs plus jeunes et il est tout aussi populaire que Marine Le Pen dans les sondages. Mais le média américain s’interroge sur plusieurs points. Le jugement rendu lundi pourrait enhardir d’autres politiques, à l’image de Marion Maréchal, nièce de Marine Le Pen, ou encore le ministre de l’intérieur conservateur Bruno Retailleau. CNN ajoute que lui peut s’enorgueillir d’une expérience politique que n’a pas Jordan Bardella, âgé de 29 ans seulement. CNN pose également la question de savoir si les électeurs du RN se montreront aussi fidèles au parti si Jordan Bardella devient candidat.
Alors que CNN présente plutôt Jordan Bardella comme une rupture possible dans l’histoire dynastique du RN, le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung le rattache au contraire à la troisième génération des Le Pen, au même titre que Marion Maréchal. Celui qui depuis 2020 partage la vie de la fille de Marie-Caroline, l’une des sœurs de Marine le Pen, a su se créer une place au sein de l’entreprise familiale.
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