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Billet de blog 4 mars 2025

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La colère et la gêne des propriétaires de Tesla dans le monde

Est-il encore possible de rouler en Tesla sans cautionner les engagements politiques d’Elon Musk ?

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Autocollants anti-Musk apposés sur une voiture Tesla (The Guardian/Getty Images/Matt Hiller)

L’image de Tesla est tellement associée à celle de son propriétaire que bon nombre de conducteurs de véhicules de la marque éprouvent de plus en plus d’embarras, voire de colère contre Elon Musk depuis qu’il s’implique plus directement dans la vie politique.

Le retournement d’une image étroitement associée à celle d’Elon Musk

L’histoire de cet entrepreneur racontée par The Guardian est révélatrice du basculement d’un grand nombre de conducteurs de véhicules Tesla à travers le monde. Mike Schwade est spécialiste en stratégie numérique et vit en Suisse. Quand il a conduit une Tesla Roadster pour la toute première fois il y a quinze ans, il a eu l’impression d’être projeté dans le futur. En 2016, il est devenu l’heureux propriétaire d’une Tesla, fier de récolter les pouces levés des autres automobilistes quand il parcourait les autoroutes d’Europe. Mais ce temps est bel et bien fini pour Mike Schwade. Il a d’abord été consterné de voir le milliardaire verser des centaines de millions de dollars pour soutenir la campagne de Donald Trump, qui promettait d’accélérer la production domestique de pétrole et de gaz. Le geste effectué par E. Musk le jour de l’investiture de D. Trump et que beaucoup ont interprété comme un salut nazi a achevé de dégoûter le chef d’entreprise.

Cette histoire individuelle est loin d’être un cas isolé. L’image de la marque, étroitement liée à celle d’E. Musk, a d’abord été un puissant argument de vente avant de devenir un repoussoir chez les libéraux. Parmi les conducteurs de Tesla, beaucoup ont d'abord vu en Elon Musk un visionnaire et un pourfendeur du réchauffement climatique. Mais comme le révèle The Guardian, son engagement au sein d’un gouvernement ouvertement climatosceptique et son soutien au parti d’extrême-droite allemand AFD ont dégradé son image. Le journal numérique californien Berkeleyside évoque lui la colère provoquée par celui qui opère des coupes franches sur le budget et le personnel de plus d’une douzaine d’agences fédérales, sans pour autant être un membre officiel du gouvernement. Avant même qu’E. Musk n’intègre l’administration Trump, The Guardian évoquait déjà dans un article paru quelques semaines après l’élection du nouveau président l’impact de ses tweets relayant des théories conspirationnistes d’extrême-droite et ses prises de position contre le « virus woke ». Le quotidien allemand Die Welt s’appuie sur un sondage effectué par Bloomberg en 2023 pour confirmer que le mécontentement des clients de Tesla n’a en fait rien de nouveau face au comportement clivant d’E. Musk. Mais ce qui a changé, c’est l’ampleur de la contestation.

Quelles formes de résistance pour les conducteurs de Tesla ?

L’entrepreneur basé en Suisse et interrogé par The Guardian a d’abord songé vendre sa voiture, mais avec près de 100 000 kilomètres au compteur, sa valeur avait considérablement diminué. Pour contrer le soutien de Musk à l’extrême-droite, Mike Schwade a donc décidé de donner pour chaque kilomètre parcouru 10 centimes à un éventail d’associations qui aident les jeunes LGBTQ+ ou qui combattent la haine et l’extrémisme. Le quotidien britannique cite aussi l’exemple de l’Allemand Patrik Schneider, qui après avoir été lui-même interpellé à une station-service, a lancé il y a six mois la vente en ligne d’autocollants anti-Musk pour conducteurs de voitures Tesla. Parmi ces autocollants : « I bought this before Elon went crazy » (« J’ai acheté ça avant qu’Elon devienne fou ») ou encore « Elon sucks » (« Elon craint »). Patrik Schneider explique qu’il vend aujourd’hui 2 000 autocollants par jour, essentiellement en Allemagne mais aussi en Australie et en Corée du Sud. Il précise qu’il ne fait aucune publicité : Elon s’en charge pour lui. Dans un autre article, le quotidien britannique explique que l’initiative a en fait été lancée il y a plusieurs mois aux Etats-Unis, avec un boom enregistré après l’élection de Donald Trump en novembre dernier. Le site Berkeleyside évoque lui les « regret magnets » achetés par les clients libéraux déçus par Elon Musk.

D’autres vont plus loin et décident de vendre leur Tesla, à l’image de la chanteuse Sheryl Crow, dont le post sur Instagram a été repris par le média canadien CBC News. Sur fond de « Time to say goodbye » entonné par Andrea Bocelli, l’Américaine dit au revoir de la main à son ancienne Tesla, emportée par une remorqueuse. Dans son post, elle explique qu’il est temps de décider avec qui on veut s’aligner. Elle précise que l’argent de la vente a été donné au NPR (National Public Radio), « menacé par le président Musk, dans l’espoir que la vérité continuera de trouver son chemin vers ceux qui veulent la trouver ». Ce sont même des entreprises entières qui décident de boycotter la marque, comme le montre The Guardian avec deux exemples allemands : les pharmacies Rossmann et l’entreprise Lichtblick spécialisée dans les énergies ont déclaré que leurs voitures de fonction ne seront plus des Tesla.

Des conducteurs de Tesla ciblés par les opposants à Elon Musk

La marque concentre les critiques, y compris de ceux qui ne sont pas des clients de la marque. Die Welt revient dans son article sur l’action des militants qui ont projeté l’image du geste d’E. Musk sur la façade de l’usine géante de Tesla, près de Berlin. Cette action a été vue des millions de fois sur la plateforme X, propriété de Musk. Des showrooms Tesla ont été saccagés aux Pays-Bas et aux Etats-Unis. CBC News montre dans une vidéo qu’un magasin de Vancouver a été tagué avec l’inscription « Nazi scum » (racaille nazie). Des manifestations sont organisées devant des sites de vente de voiture Tesla ou les filiales américaines de l’entreprise. The Guardian cite l’appel au boycott du ministre polonais du tourisme.

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Une publicité parodique pour "Tesla, la Swasticar", affichée à un arrêt de bus de Londres (photographie de People vs Elon, reprise par The Guardian)

Le contexte est donc tendu pour les conducteurs de Tesla : s’ils ne se dissocient pas d’eux-mêmes de la marque, ils subissent une forte pression pour le faire. Le site Berkeleyside, qui couvre l’actualité à Berkeley en Californie, explique que plusieurs propriétaires de Tesla ont trouvé des autocollants et des flyers sur le pare-brise de leur voiture. L’un d’eux, collé sur une voiture garée à Oakland, montre Musk faisant son geste controversé et indique « Vends ta voiture ou on s’en débarrassera pour toi. Les voitures des nazis ne sont pas les bienvenues ici ».

Quel impact sur les ventes de Tesla ?

The Guardian cite les chiffres donnés la semaine dernière par l’Association européenne des constructeurs automobiles. Le mois dernier, les ventes de nouvelles Tesla ont presque diminué de moitié en Europe en comparaison avec janvier 2024. En France, les ventes ont même chuté de 63 %. Die Welt précise que l’Allemagne a connu une chute de 59 %, après une baisse de 41 % l’année dernière. Un autre article du quotidien britannique explique qu’au Royaume-Uni, Tesla a enregistré pour la première fois moins de ventes que son concurrent chinois BYD. Le média rappelle pourtant que le contexte est celui d’une forte hausse de la vente de véhicules électriques en Europe (+ 34 % et même + 53,5 % en Allemagne).

Les analystes débattent pour savoir dans quelle mesure Elon Musk paie son engagement politique auprès des consommateurs libéraux. D’autres facteurs pourraient entrer en jeu : comme l’affirme au Guardian Matthias Schmidt, un analyste allemand spécialisé en automobile, l’entreprise américaine pourrait subir les conséquences de l’attente pour la sortie de la version actualisée du modèle Y. Or, comme The Guardian l’explique dans un autre article, le marché est très concurrentiel.

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