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Qui sont les Afrikaners ?
Les Afrikaners sont les descendants des premiers colons arrivés en Afrique du Sud au XVIIe siècle : leurs ancêtres étaient des Hollandais, des Allemands, des huguenots français ainsi que d’autres colons européens non britanniques. Les Afrikaners sont nés en Afrique du Sud et parlent l’afrikaans. Ils représentent environ les deux tiers de la population blanche du pays mais seulement un huitième de la population totale estimée à 63 millions d’habitants.
Durant l’apartheid, les gouvernements afrikaners ont instauré la ségrégation raciale dans tous les aspects de la vie, depuis les relations entre les personnes jusqu’au lieu où les gens étaient autorisés à vivre. Ils ont réprimé la majorité noire d’Afrique du Sud tandis que la minorité blanche vivait dans de bien meilleures conditions.
Pourquoi des milliers d’Afrikaners veulent-ils partir ?
Le Guardian raconte le cas de Kyle, un homme divorcé de 43 ans et père de trois enfants. Il a subi une attaque très violente dans sa ferme il y a maintenant huit ans. Il s’en est sorti avec un œil au beurre noir et quelques côtes cassées mais cela aurait pu être bien pire : les cambrioleurs ont échoué à faire fonctionner la bouilloire et le fer à repasser pour le brûler et la gâchette de l’arme avec laquelle ils ont essayé de le tuer s’est bloquée. L’ouvrier agricole présent dans l’exploitation a eu moins de chance : il a été retrouvé mort. Kyle rapporte que ses assaillants n’avaient pas visé cette ferme au hasard : à leurs dires, ils voulaient reprendre leurs terres aux Blancs.
L’article du Guardian présente plusieurs témoignages d’Afrikaners qui racontent qu’eux-mêmes ou leurs proches ont été les victimes de violentes attaques commises par des Noirs dans les fermes où ils vivaient. Pour eux, il ne fait aucun doute qu’ils ont été pris pour cible parce qu’ils étaient blancs. Ils accusent aussi le gouvernement sud-africain de mener une politique discriminatoire à l’encontre des Blancs.
Un grand nombre d’Afrikaners a donc accueilli avec gratitude la signature par Donald Trump d’un décret le 7 février dernier visant à leur accorder le droit d’asile aux Etats-Unis. Le président américain a motivé sa décision en faisant référence à l’adoption d’une loi permettant au gouvernement d’Afrique du Sud de procéder dans certaines circonstances à des expropriations sans indemnisation. Il évoque aussi une politique discriminatoire conduite par l’Etat à l’encontre des Blancs dans les domaines de l’emploi, de l’éducation et des affaires ainsi qu’une rhétorique de haine et une succession d’actions prises par le gouvernement dont l’effet a été d’encourager les violences en direction des propriétaires terriens blancs.
En mars, Donald Trump a écrit sur son compte Truth Social qu’il étendait son offre à tout fermier blanc d’Afrique du Sud.
Le réseau de télévision publique PBS (accusé par Donald Trump d’être partial et qui se voit privé de subventions substantielles par le décret signé le 1er mai dernier) montre à quel point il est difficile d’avoir des chiffres exacts sur les Afrikaners prêts au départ. L’ambassade américaine localisée à Pretoria a reçu une liste de près de 70 000 personnes qui ont manifesté de l’intérêt pour la proposition de D. Trump. Mais le New York Times a rapporté que l’administration américaine a créé un programme spécial pour faciliter l’immigration des Afrikaners aux Etats-Unis et que ce sont 8 200 personnes qui se sont montrées intéressées par le statut de réfugié.
D’après l’agence de presse Reuters qui a pu s’entretenir avec deux membres du Département pour la Sécurité intérieure, deux officiers américains chargés des réfugiés ont fait le voyage jusqu’à Pretoria pour auditionner les candidats à l’exil. Plus de trente candidatures auraient été approuvées.
D’après le Guardian, indépendamment de l’offre proposée par D. Trump, ce sont les deux tiers des Sud-Africains blancs qui envisagent d’émigrer (contre 27% en moyenne pour toute la population). Mais tous les Afrikaners ne sont pas prêts à accepter la proposition de D. Trump. Associated Press rapporte que deux des groupes les plus importants représentants les Afrikaners ont dit qu’ils ne répondraient pas favorablement à l’invitation de la Maison blanche. C’est le cas pour le lobby AfriForum, qui estime pourtant que le gouvernement sud-africain est complice des meurtres des fermiers blancs.
Les représentations à l’épreuve des faits
Les trois quarts des terres privées d’Afrique du Sud sont possédées par la minorité blanche, alors qu’elle ne représente que 7% de la population du pays. Les plus de 80 % de Noirs ne disposent eux que de 4% des terres. Cette situation est un héritage de la colonisation du pays et de l’apartheid. En moyenne, d’après Reuters, un foyer blanc possède vingt fois plus de richesses qu’un foyer noir. Quant aux meurtres perpétrés dans le pays, l’un des plus violents du monde, les statistiques de la police montrent que sur 26 000 homicides perpétrés l’année dernière, 44 seulement ont concerné des communautés agricoles. D’une façon générale, l’écrasante majorité des victimes restent des Noirs.
Rudolf Zinn, un professeur à l’université du Limpopo (Afrique du Sud) interrogé par le Guardian déclare que les meurtres de fermiers ne s’expliquent par des motifs ni politiques ni raciaux. Ce n’est qu’une question d’argent. Les cambrioleurs incarcérés qu’il a interrogés lui ont expliqué qu’ils adaptent leur langage à la couleur de la peau de leurs victimes. L’objectif est de leur faire peur le plus que possible afin qu’elles leur remettent de l’argent liquide et des objets de valeur. Si la victime est blanche, le cambrioleur dit : « Je te déteste car tu as pris ma terre », si elle est noire, il lui dit : « Tu es comme une noix de coco, noir à l’extérieur mais blanc à l’intérieur ».
La décision prise par le gouvernement sud-africain pour mieux répartir les terres a renforcé l’audience des discours d’extrême-droite dans le pays. Les dénonciations d’un « génocide » en cours contre les Blancs se sont multipliées, d’autant plus qu’elles ont été relayées par le milliardaire Elon Musk, proche de D. Trump et né lui-même en Afrique du Sud.
Comment expliquer la décision du président américain ?
Le décret signé par le président américain le 7 février dernier s’explique de plusieurs façons : il fait écho au coup d’arrêt des politiques en faveur de la diversité, de l’équité et de l’inclusion aux Etats-Unis et s’appuie sur l’idée plus générale que toute mesure en faveur des minorités (qu’elles soient raciales ou de genre) ne consiste pas à instaurer plus d’égalité mais à faire advenir une nouvelle forme de domination dont l’homme blanc serait la victime.
Bill Frelick, directeur du programme de Human Rights Watch sur les droits des réfugiés et des migrants, permet d’envisager la décision de Donald Trump à une autre échelle. Interrogé par PBS, il affirme que ce n’est pas la première fois qu’un président américain utilise la politique migratoire comme outil géopolitique. Mais pour lui, le décret de D. Trump est « extrême » : en critiquant tout à la fois la politique intérieure de l’Afrique du Sud mais aussi l’accusation de génocide portée par le pays à l’encontre d’Israël, allié des Etats-Unis, le décret s’explique moins par des préoccupations humanitaires à l’égard des Afrikaners que par une volonté d’armer les critiques des Etats-Unis contre l’Afrique du Sud.