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Le Commandant Dominic Murphy de Scotland Yard cité par NBC News affirme qu’il s’agit de « la plus grande enquête sur un réseau d’espionnage mené au Royaume-Uni depuis 15 ans ». Ce réseau, qui n’en est qu’un parmi d’autres toujours en activité, est révélateur des pratiques menées par la Russie à l’étranger.
Gru et ses « minions »
A la tête de ce réseau, Jan Marsalek, un ancien homme d’affaires autrichien. The Guardian en dresse le portrait : il a fui en Russie en 2020 après l’effondrement de l’entreprise allemande de paiement Wirecard qu’il codirigeait, sur fond de fraude estimée à près de 2 milliards d’euros. La BBC ajoute qu’il est recherché par Interpol pour cette raison. C’est depuis Moscou où il se cache très probablement qu’il a piloté le réseau d’espionnage bulgare en Angleterre d’août 2020 à février 2023.
Le relais et principal interlocuteur de Jan Marsalek était Orlin Roussev. La BBC explique qu’il s’est installé en Grande-Bretagne en 2009. Il opérait depuis une ancienne maison d’hôtes défraîchie sur la côte Est de l’Angleterre, à Great Yarmouth. C’est là qu’il vivait avec son épouse et son beau-fils. Fasciné par le monde de l’espionnage et l’univers de James Bond, il avait monté une entreprise spécialisée dans l’interception des communications et des signaux électroniques. Mais il ne s’agissait que de la façade légale de ses activités d’espion. La police a retrouvé à son domicile des dispositifs de surveillance d’une valeur supérieure à 200 000 euros. The Guardian en dresse la liste impressionnante : 221 téléphones portables, 495 cartes SIM, 258 disques durs, 33 appareils d’enregistrement audio, 55 caméras de surveillance, dont certaines cachées dans des détecteurs de fumée, des stylos, des lunettes ou même des cravates, 16 radios, 11 drones, des systèmes d’écoute wifi, des brouilleurs électroniques, 75 faux passeports et documents d’identité portant 55 noms différents et le matériel pour en fabriquer plus encore.
Comme le précise la BBC, Roussev appelait ses compatriotes qu’il dirigeait depuis Great Yarmouth ses « minions », du nom des personnages du film d’animation « Moi, moche et méchant ». NBC News en fournit l’explication : le service de renseignement militaire de la Russie est le GRU, comme le nom du méchant pour qui les minions travaillent. La BBC explique que le chef des minions était Biser Dzhambazov, un coursier médical. Dzhambazov commandait 4 autres personnes : Katrin Ivanova, une assistante de laboratoire, Vanya Gaberova, une esthéticienne, Ivan Stoyanov, un combattant de MMA et Tihomir Ivanchev, un peintre et décorateur.
Autant la hiérarchie au sein du réseau semble très claire, autant les relations entre la plupart des Bulgares se marquaient par une grande complexité dans le domaine affectif. La BBC explique que Dzhambazov et Ivanova étaient engagés dans une relation de longue durée et qu’ils vivaient ensemble. Mais Dzhambazov entretenait aussi une liaison avec Gaberova, qui lui avait présenté son ex petit-ami Ivanchev.
Quelles actions ?
Dans sa décision rendue vendredi dernier, la Cour criminelle centrale s’est appuyée sur près de 800 000 messages échangés entre Marsalek et Rousev, la plupart retrouvés dans le téléphone de Roussev. Ce professionnel de l’espionnage, pourtant rompu aux méthodes pratiquées dans le milieu, n’avait pas pris la précaution de les effacer.
Ces messages, comme l’indique The Guardian, faisaient état de 6 grandes opérations et d’autres de moindre envergure. La BBC explique que la cellule visait des ennemis de la Russie de Poutine à travers l’Europe. NBC News ajoute qu’en plus des activités d’espionnage, le groupe était impliqué dans des opérations d’influence et de déstabilisation à l’étranger.
Parmi les cibles visées, le Bulgare Christo Grozev. C’est un journaliste d’investigation qui a contribué à démasquer les espions russes impliqués dans l’empoisonnement du leader d’opposition Alexei Navalny en 2020. NBC News ajoute que le journaliste s’est également fait connaître pour avoir montré l’implication de la Russie dans l’empoisonnement de l’agent double du MI6 Sergei Skripal et de sa fille à Salisbury, en Angleterre en 2018. A chaque fois, c’est l’agent neurotoxique Novichok qui a été utilisé. The Guardian indique que Marsalek a fait espionner Grozev en Bulgarie, en Autriche et en Espagne. Ivanova, Gaberova et Ivanchev étaient accusés d’être impliqués dans ces activités. Un autre article du Guardian explique que Grozev vit maintenant aux Etats-Unis, peut-être en raison des « règles de Moscou », la convention probablement légendaire selon laquelle les Etats-Unis et la Russie ne se frapperaient pas sur le sol de l’autre.

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Roman Dobrokhotov était une autre cible du réseau. Lui aussi journaliste d’investigation, il a travaillé avec Christo Grozev pour démasquer les agents russes responsables des empoisonnements de 2018 contre Skripal et sa fille et de 2020 contre Navalny. Il a fui Moscou en 2021 et s’est installé au Royaume-Uni en janvier 2023. The Guardian explique aussi qu’il est le rédacteur en chef du site The Insider, dont le travail a permis d’identifier puis de frapper de sanctions économiques 80 entreprises et 60 personnes ayant contribué à la guerre menée par Vladimir Poutine en Ukraine.
Un autre article du Guardian montre que Marsalek et Roussev ont envisagé plusieurs façons de s’en prendre au journaliste. Roussev a d’abord suggéré un « accident » dans la douche, ce que Marsalek a rejeté : « Je crains que ce ne soit pas assez dramatique… Nous avons besoin de quelque chose de symbolique ». Il a proposé à son tour d’autres moyens : « Tu peux peut-être le brûler vif dans la rue ou l’asperger avec un acide super fort, le VX comme les Nord-Coréens, ou la ricine ». Il a ensuite été question d’enlever Dobrokhotov et de l’amener par bateau jusque dans les eaux internationales. Mais Marsalek a fini par en dissuader Roussev, du fait du manque d’expérience en la matière des membres de l’équipe.
La BBC indique que Marsalek et Roussev projetaient aussi d’envoyer Dzhambazov et « une autre personne » du réseau à Stuttgart afin d’y espionner les soldats ukrainiens qui s’entraînaient à l’utilisation du système de défense aérien Patriot. L’objectif était de récupérer les numéros de téléphone des soldats afin de les localiser une fois qu’ils seraient sur le champ de bataille. Mais l’arrestation du réseau bulgare en février 2023 a fait avorter ce projet.
Le démantèlement d’un réseau d’espionnage parmi d’autres toujours en activité
La BBC explique qu’en février 2023, Dzhambazov, Ivanova, Gaberova et Stoyanov ont été arrêtés à Londres, tandis que Roussev a été arrêté dans sa maison d’hôtes de Great Yarmouth. Ivanchev a été arrêté un an après eux. Aucun des 6 n’a nié les actions qu’on leur reprochait. Roussev, Dzhambazov et Stoyanov ont plaidé coupable avant le procès. Ivanova, Gaberova et Ivanchev ont nié avoir eu connaissance qu’ils travaillaient pour la Russie. Ce sont eux qui ont été condamné vendredi dernier, au terme d’un procès qui a duré près de 3 mois. Leur sentence ne sera connue qu’en mai et peut aller jusqu’à 14 ans de prison. D’ici-là, ils resteront en détention.
Mais la neutralisation de cette cellule d’espionnage ne vient pas éradiquer les opérations que le Kremlin mène à distance au Royaume-Uni, comme l’expliquent au Guardian des officiers spécialisés dans le contre-terrorisme. Dobrokhov, que le Guardian est allé interroger dans un autre article, révèle que la police est venue l’avertir au printemps dernier : les menaces dont il fait l’objet sont toujours d’actualité.