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Billet de blog 14 février 2025

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Google Maps rebaptise le Golfe du Mexique Golfe d’Amérique

Google Maps a procédé lundi dernier à la modification du nom du Golfe du Mexique, conformément à la volonté du président Donald Trump. Les utilisateurs basés aux Etats-Unis lisent désormais à la place « Golfe d’Amérique ». La tendance générale de la nouvelle administration américaine à vouloir renouveler la toponymie reflète sa politique impérialiste et son conservatisme social.

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Illustration 1
Google Maps : capture d’écran réalisée le 14 février 2025

« GULF OF AMERICA ! ». C’est l’exclamation postée par Donald Trump sur son réseau social Truth Social après la modification opérée par Google Maps lundi dernier. C’est aussi l’appellation que verront désormais les utilisateurs basés aux Etats-Unis pour cette mer encadrée par la Floride, la Louisiane, le Texas, le Mexique et Cuba. Le Monde précise que ceux du Mexique continueront de lire « Golfe du Mexique », comme le souhaite le gouvernement mexicain, tandis que tous les autres verront « Golfe du Mexique (Golfe d’Amérique) ».

La BBC explique que la décision de Google s’est faite à la suite de la modification opérée le jour-même par le Geographic Names Information System, un organisme géré par le département de l’Intérieur américain. L’autre grand fournisseur de cartes en ligne Apple Maps s’est aligné mardi sur Google Maps, au moins pour ses utilisateurs américains.

Ce changement de toponymie est la conséquence du décret signé par Donald Trump quelques heures seulement après son entrée en fonction le 20 janvier dernier. Le Monde rappelle qu'il avait alors qualifié l’étendue marine de « partie indélébile de l’Amérique », essentielle pour la production pétrolière et la pêche, et de « destination préférée des Américains pour le tourisme et les activités de loisirs ». La BBC ajoute que dimanche dernier, Donald Trump avait proclamé que le 9 février serait la « Journée du Golfe d’Amérique ».

Toujours cité par la BBC, Google dément tout alignement sur la politique conduite par l’administration Trump, en arguant qu’il s’agit seulement du dernier exemple en date d’une « pratique ancienne » consistant à changer les noms après leur actualisation par des sources gouvernementales officielles. Mais la mue opérée par Google depuis l’entrée en fonction de Donald Trump semble indiquer le contraire. The Guardian relayait mardi dernier cette information selon laquelle Google avait retiré de son calendrier toute célébration liée aux Noirs, aux femmes et aux personnes LGBTQ+ (le Black History Month correspond au mois de février). Avant cela encore, Google annonçait revenir sur ses engagements en faveur de la Diversité, de l’Equité et de l’Inclusion (DEI) dans sa politique de recrutement, suivant en cela la décision prise par le nouveau président pour les agences fédérales américaines.

Finalement, le changement de politique opéré par Google reflète d’une façon plus générale l’alignement des grands noms de la tech derrière Donald Trump.

La nouvelle appellation « Golfe d’Amérique » a provoqué quelques moqueries aux Etats-Unis : France 24 donne l’exemple du gouverneur démocrate de l’Illinois, qui proposait dans une vidéo satirique publiée le 7 février, de renommer le lac Michigan du nom du « grand Etat » de l’Illinois.

Au Mexique, qui fait partie des Etats riverains, les réactions ont été plus véhémentes sans pour autant être dénuées d’ironie. El Sol de Mexico rappelle que la présidente Claudia Sheinbaum avait tenté de convaincre Google de revenir sur sa décision, en affirmant que les Etats-Unis ne pouvaient pas légalement procéder à ce changement : la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer stipule en effet qu’un Etat n’est souverain que sur l’étendue marine qui s’étend jusqu’à 12 milles marins du trait de côte. Elle avait aussi répliqué en proposant à Google de rebaptiser l’Amérique du Nord « Amérique mexicaine », conformément à l’appellation qui figure sur une carte du XVIIe s (vidéo publiée sur le site de CNN).

Les conséquences du changement de toponymie se font déjà sentir. Le Monde raconte qu'un journaliste d’Associated Press s’est vu refouler de la Maison blanche mardi car l’agence de presse avait décidé d’en rester à l’ancienne appellation.

Pour la Maison blanche, le « Golfe d’Amérique » est seulement le premier exemple d’une longue liste de lieux à rebaptiser. Dans son décret signé le jour de son investiture, Donald Trump prévoyait également de redonner au plus haut sommet d’Amérique du Nord (Denali) le nom de Mont McKinley. Cette montagne, dont l’altitude s’élève à 6190 m, se situe en Alaska. Le président Barack Obama l’avait renommée Denali, conformément au souhait des populations autochtones. Le président républicain McKinley, en fonction de 1897 à 1901, n’a en effet eu aucun lien ni avec la montagne, ni avec l’Etat de l’Alaska. Mais, comme le rappelle le journal Le Monde, sa politique protectionniste et impérialiste en fait une figure de référence pour l'administration Trump.

Le projet de revenir au nom McKinley semble pourtant contrarié : comme l’annonce le site de France 24, le Sénat de l’Alaska a voté contre le vendredi 7 février, dans le sillage de la chambre basse de cet Etat. Les sénateurs, pourtant majoritairement républicains, ont expliqué que « le nom Denali est profondément ancré dans la culture et l’identité de l’Etat » et ont ajouté que « les noms des lieux géographiques de l’Etat devraient être déterminés par les habitants et les représentants de l’Etat ». Pour le moment, Google Maps n’a pas procédé au changement d’appellation.

Autre proposition dont les chances de succès sont encore plus faibles, celle d’Elon Musk : le membre le plus influent de l’entourage de Donald Trump a publié le 26 janvier dernier sur son compte X une carte dans laquelle la Manche était rebaptisée « canal Georges Washington », du nom du premier président américain. Après avoir nommé ses trois derniers enfants X Æ A-Xii, Exa Dark Sideræl et Techno Mecanicus, il semblerait que la géographie soit devenue le nouveau terrain d’expérimentation du milliardaire.

L’administration Trump ne limite pas ses projets de changement de toponymie aux espaces naturels. Le lundi 10 février, le jour-même où Google décidait d’opter pour l’appellation « Golfe d’Amérique », le ministre américain de la Défense Pete Hegseth, a ordonné que la plus grande base militaire des Etats-Unis reprenne son nom de Fort Bragg. Ce nom, en vigueur de 1918 à 2023, était celui du général sécessionniste Braxton Bragg. C’est l’ancien président Joe Biden qui avait décidé de rebaptiser Fort Bragg « Fort Liberty » dans un mouvement plus général destiné à retirer à neuf installations militaires américaines le nom d’officiers confédérés associés à la défense de l’esclavage. France 24 cite le porte-parole du Pentagone John Ullyot, qui affirme que le nom Bragg renvoie en réalité à Roland Bragg, un soldat américain de la Seconde Guerre mondiale. Mais le média remarque que « la similarité entre les deux noms est […] un peu trop évidente ».

Les modifications dans la toponymie reflètent les intentions expansionnistes de la nouvelle administration américaine et sa volonté d’en finir avec un pays plus inclusif. Mais pour Jessica Winter, dont l’article dans le New Yorker est cité par France 24, ces changements de nom iraient même plus loin. Ils permettraient d’influencer l’opinion sur sa perception du réel : « Donner un nom à une chose permet de la rendre réelle ». Elle insiste sur le pouvoir créateur du Verbe, qui est un pouvoir divin. Elle revient sur les usages que Donald Trump en a déjà fait, lui qui « a étendu son empire moins en construisant des choses qu’en leur accolant partout le nom de Trump ». L’exemple de la Trump Tower est le plus connu de tous.

Dans le droit fil de cette idée, plusieurs élus républicains ont proposé ces derniers mois de rebaptiser plusieurs aéroports du pays du nom du nouveau président. C’est le cas de l’aéroport Dulles à Washington DC. Mais Gerry Connolly, représentant démocrate du 11e district de Virginie dont dépend l’aéroport, n’est pas du tout favorable. France 24 rapporte ses paroles : "Lorsque les républicains ont essayé pour la première fois de nommer Dulles en hommage à Donald Trump, j’ai dit qu’il serait plus approprié que la prison fédérale la plus proche de Mar-a-Lago porte son nom", a-t-il expliqué en faisant référence à la propriété de Donald Trump en Floride. "Je ne vois toujours pas d’honneur plus approprié pour notre premier président condamné pour un crime", a-t-il précisé en faisant allusion à la condamnation de Donald Trump dans l’affaire Stormy Daniels.

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