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Billet de blog 24 juin 2025

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Des Américains divisés après les frappes aériennes en Iran

L'annonce par Donald Trump d'un cessez-le-feu entre Israël et l'Iran permet au président américain d'étouffer les critiques dans son propre pays après les frappes aériennes qu'il a ordonnées dimanche sur l'Iran. Mais les violations de ce cessez-le-feu par les deux parties entament le rôle de pacificateur qu'il tente désormais d'endosser.

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Illustration 1
Le président américain Donald Trump (Anna Rose Layden pour le New York Times)

Dimanche dernier, Donald Trump a ordonné le bombardement de sites nucléaires iraniens. Cette intervention, menée en parallèle des frappes israéliennes, a entraîné une riposte de l’Iran : la République islamique a lancé hier des missiles sur une base américaine au Qatar. L’attaque, annoncée avant d’être perpétrée, n’a causé aucun blessé : elle a permis à l’Iran de garder la face tout en évitant une escalade du conflit. Ce matin, Donald Trump a fait savoir sur les réseaux sociaux qu’un cessez-le-feu avait été conclu entre l’Iran et Israël. Mais les échanges de tirs entre les deux belligérants entament les efforts du président américain de se poser désormais en pacificateur. Si ce cessez-le-feu apparaît inopérant sur le terrain, il lui permet malgré tout d’étouffer les critiques dans son propre pays.

  • La division de la classe politique autour de la constitutionnalité des frappes américaines en Iran

L’opposition des Démocrates et de certains Républicains

Les critiques de Donald Trump lui reprochent d’avoir violé la Constitution en ayant agi sans l’approbation du Congrès. Les démocrates font entendre leurs voix, à l’image du sénateur de Virginie Tim Kaine qui s’est exprimé sur Fox News. Les Républicains expriment quant à eux leur soutien ou restent silencieux. Mais comme le montre le New York Times, il y a une exception notable : l’élu du Kentucky à la Chambre des Représentants Thomas Massie. Six minutes seulement après que Donald Trump a annoncé le bombardement de l’Iran sur X, Massie a posté cette réponse qui tient en quatre mots : « Ce n’est pas constitutionnel ». Avec Tim Kaine et l’élue démocrate à la Chambre des Représentants Ro Khanna, il a déposé une résolution destinée à mettre un terme aux hostilités contre l’Iran.

La réaction de Donald Trump ne s’est pas fait attendre. Le New York Times ironise sur le président américain qui a pris le temps ce week-end d’attaquer l’élu républicain par un véritable « tir de barrage » : « En fait, MAGA ne le veut pas, ne le connaît pas et ne le respecte pas », qualifiant Thomas Massie de « clochard ». Donald Trump a aussi affirmé qu’il soutiendrait un challenger lors des primaires, profitant ainsi de l’occasion pour lancer un avertissement à tous les autres Républicains.

L’opposition de Thomas Massie ne date pas d’aujourd’hui : lors du premier mandat de Donald Trump, il avait déjà tenté de bloquer un projet de loi de relance de 2 000 milliards de dollars dans le contexte de la pandémie de coronavirus.

Que dit la Constitution ?

La BBC précise que ce sont les deux premiers articles qu’il faut consulter. Le premier déclare que la guerre relève des pouvoirs du Congrès ; le deuxième précise que le président est le commandant en chef de l’armée. Cité par le New York Times, Jack Goldsmith, professeur de droit à Harvard et ancien haut fonctionnaire du ministère de la Justice dans l’administration de Georges W. Bush, dit qu’à ce sujet la Constitution est « impénétrable ». Mais le quotidien dépasse cette contradiction apparente : le journal avance que la plupart des spécialistes du droit s’accordent à dire que les fondateurs voulaient séparer le pouvoir d’initier une guerre, dévolu au Congrès, de celui de la conduire, qui relève des prérogatives du président. Cependant, celui-ci a le droit de prendre l’initiative de répondre à des attaques soudaines.

Il n’en reste pas moins que les experts en droit constitutionnel interrogés par la BBC se montrent divisés. Jessica Levinson, professeur de droit à l’Université Loyola Marymount, affirme que le président était dans son droit, à condition que ces frappes aériennes ne commencent pas à ressembler à une guerre. Elle reconnaît toutefois que le moment de bascule est difficile à déterminer. En revanche, Andrew Rudalevige, professeur au Bowdoin College, pense que Donald Trump n’avait pas le droit de lancer ces frappes aériennes, dès lors qu’elles ne répondaient pas à une attaque soudaine.

Les autres textes

Les contours des pouvoirs militaires du président des Etats-Unis sont aussi précisés par d’autres textes. Le New York Times rappelle que la Constitution fait aussi des traités ratifiés la « loi suprême du pays ». Parmi ces traités figure la Charte des Nations Unies, que le Sénat a ratifié après la Seconde Guerre mondiale. Or, la Charte des Nations Unies proclame que sauf cas de légitime défense, un pays a le droit d’en attaquer un autre seulement si le Conseil de sécurité de l’ONU l’y a autorisé.

Les pouvoirs militaires du président sont aussi fixés par la Résolution sur les pouvoirs de guerre de 1973, adoptée après le retrait des Etats-Unis de la guerre du Vietnam. L’objectif était de limiter la capacité du président à faire la guerre sans consultation préalable du Congrès. Ce n’est qu’en cas d’urgence que le président peut se passer de l’accord du Congrès. D’après John Bellinger, un conseiller juridique à la Maison blanche sous la présidence de George W. Bush que la BBC a interrogé, le président Trump ne s’est pas conformé à cette exigence : il n’a fait que prévenir quelques leaders républicains. La BBC ajoute que le leader de la minorité démocrate au Sénat Chuck Schumer a été appelé une heure avant les frappes.

Une pratique présidentielle ancienne

La BBC et le New York Times rappellent que ce n’est pas la première fois qu’un président américain se passe de l’accord du Congrès. La BBC cite ainsi l’exemple de Bill Clinton qui a lancé des frappes dans les Balkans dans les années 1990. Plus tard, c’est Barack Obama qui a autorisé des frappes aériennes en Libye sans avoir demandé la permission au Congrès. C’est également seul qu’il a décidé d’éliminer Oussama Ben Laden au Pakistan en 2011. Donald Trump avait déjà pris l’initiative de tuer le général iranien Qassem Soleimani lors de son premier mandat. Enfin, Joe Biden n’a pas demandé non plus l’autorisation du Congrès avant de mener des frappes en Syrie ou sur des positions contrôlées par les Houthis au Yémen.

Le New York Times dresse un bilan général. Depuis la fin de la guerre froide, les présidents américains ont obtenu l’autorisation du Congrès pour de grandes guerres terrestres : la guerre du Golfe, l’Afghanistan, l’Irak. Mais ils ont aussi affirmé un droit de mener des interventions plus limitées, principalement des frappes aériennes, sans l’autorisation du Congrès.

Il n’y a pas que la classe politique qui est divisée : l’opinion publique l’est également.

  • La division de l’opinion publique américaine

Portraits d'Américains

Associated Press a publié lundi un article dans lequel plusieurs Américains donnaient leur avis sur les frappes américaines menées la veille.

Layton Tallwhiteman, 30 ans, est chauffeur pour une entreprise de distribution alimentaire. Il vote libertarien mais a soutenu Kamala Harris contre Donald Trump lors des dernières présidentielles. Il n’a pas vu d’un très bon œil les frappes américaines en Iran : elles lui ont fait immédiatement penser à l’intervention des Etats-Unis en Irak en 2003. Destinée à détruire des armes de destruction massive qui n’existaient pas, elle a rapidement échappé aux Américains.

En revanche, Ken Slabaugh, vétéran de l’Armée de l’Air, « soutient à 100 % » la décision de Donald Trump. Il justifie sa position en disant que les Iraniens se montraient récalcitrants à négocier.

Kent Berame, 32 ans, est un démocrate qui possède sa propre entreprise de marketing. Il reproche au président américain d’avoir agi sans soutien explicite du Congrès. Pour lui, il est frustrant que les Etats-Unis puissent accroître les hostilités avec l’Iran quelques années seulement après avoir terminé la guerre en Afghanistan.

Patty Ellman, 61 ans, s’occupe de son mari après que celui-ci a fait une attaque. C’est une électrice de Donald Trump mais elle ne veut pas que les Etats-Unis se retrouvent entraînés dans un nouveau conflit d’envergure.

Dana Cote, manifestait dimanche aux côtés de plusieurs centaines de personnes à Times Square pour protester contre les bombardements américains. Elle était présente au moment des attentats du 11 septembre 2001 et pour elle, ces frappes aériennes pourraient être « une boîte de Pandore qu’on ne sera pas capable de refermer ». Elles pourraient aussi encourager des extrémistes à attaquer de nouveau les Etats-Unis.

Résultats d'un sondage conduit par CNN 

CNN a conduit dimanche et lundi derniers un sondage, publié aujourd’hui sur son site. Les personnes ont quasiment toutes été interrogées avant les frappes de représailles de l’Iran et toutes ont donné leur opinion avant l’annonce d’un cessez-le-feu par Donald Trump aujourd’hui.

D’après ce sondage, ce sont 56% des Américains qui désapprouvent les frappes. 6 personnes sur 10 craignent que les bombardements n’augmentent la menace de l’Iran sur les Etats-Unis. Les clivages politiques sont assez nets : les démocrates sont généralement opposés aux frappes tandis que les Républicains les soutiennent.

Les Américains qui pensent que les Etats-Unis ont fait suffisamment d’efforts diplomatiques avant d’utiliser la force militaire représentent seulement 32% de la population (39% sont contre, 29% ne se prononcent pas).

55% des Américains expriment aucune ou une faible confiance en Donald Trump pour prendre les bonnes décisions au sujet de l’utilisation de la force américaine en Iran. 65% disent qu’il devrait demander l’approbation du Congrès pour toute nouvelles action militaire en Iran.

L’annonce d’un cessez-le-feu permet à Donald Trump de couper l’herbe sous le pied de ses détracteurs et de rassurer une opinion publique inquiète en se posant en pacificateur. Mais ce cessez-le-feu n’est respecté par aucune des deux parties, à la grande fureur du président américain.

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