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Billet de blog 6 mai 2025

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Colloque exceptionnel : « Algérie, que s'est-il passé le 8 mai 1945 ? »

Ce colloque est une exigence de vérité et de justice. Historiens, chercheurs, témoins et société civile apportent leurs expertises et témoignages à l'appui de la reconnaissance des crimes d'État, s'unissent pour décortiquer ces actes et leurs conséquences. Objectif : compréhension de ce passé douloureux, construire un avenir fondé sur la vérité, la justice et le respect des droits humains. 

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce 3 mai, nous nous nous sommes réunis avec une détermination claire : obtenir la reconnaissance par la France des crimes d'État commis pendant la période coloniale, et en particulier le massacre du 8 mai 1945. Il ne s'agit pas simplement de comprendre le passé, mais d'exiger une vérité historique complète et une justice réparatrice. La commémoration du 8 mai 1945, date qui aurait dû célébrer la victoire de la liberté et de la démocratie, résonne en Algérie comme un sombre rappel des violences coloniales, des violences qui ne peuvent être ignorées ou minimisées. 

Ce jour-là, alors que le monde célébrait la fin de la Seconde Guerre mondiale, des milliers d'Algériens, qui avaient pourtant combattu pour la France, ont été massacrés à Sétif, Guelma et Kherrata. 

Ce colloque n'est pas simplement un espace d'échange, mais une tribune pour exiger la vérité et la justice. Historiens, chercheurs, témoins et acteurs de la société civile se réunissent ici, apportant leurs expertises et témoignages à l'appui de la reconnaissance des crimes d'État. 

Nous avons examiné en détail les mécanismes de ces crimes, leurs conséquences dévastatrices et les impératifs de leur reconnaissance officielle par la France. 

Nous avons examiné également les défis de la mémoire et de la justice, ainsi que les initiatives prises pour promouvoir la réconciliation et le «être ensemble». Notre objectif est de contribuer à une meilleure compréhension de ce passé douloureux, afin de construire un avenir fondé sur la vérité, la justice et le respect des droits humains.

C'est dans cet esprit d'exigence de vérité et de justice que mon intervention lors de ce colloque a exploré plus en détail la question de l'algérophobie comme une manifestation de la difficulté à affronter ce passé colonial.

AlgéroPhobie : mémoire et transmission en résistance.

Les relations bilatérales entre la France et l'Algérie demeurent tributaires du legs de l'histoire coloniale et du conflit d'indépendance, la décolonisation algérienne constituant un nœud gordien non résolu qui altère la compréhension française de l'Algérie contemporaine. Il est évident que la France peine à se défaire des schémas de pensée hérités de la Ve République, une période marquée par la guerre d'Algérie et les tensions qui en ont découlé. Cette influence se manifeste encore aujourd'hui, notamment dans la manière dont les médias français perçoivent l'Algérie. Ils ont tendance à présenter l'État algérien comme une entité malveillante, dont le seul but serait de nuire à la France. Cette vision erronée alimente des théories selon lesquelles l'Algérie manipulerait et financerait des ressortissants clandestins en France pour déstabiliser le pays. Ces interprétations, à la fois irrationnelles et excessives, révèlent les préjugés persistants d'une partie des élites françaises, qui n'ont toujours pas accepté l'indépendance de l'Algérie. 

La crise franco-algérienne actuelle révèle une incapacité à gérer l'héritage de l'histoire coloniale. Les discours extrémistes stigmatisent les Franco-Algériens, citoyens des deux rives, porteurs d'une mémoire traumatique. Cette mémoire, assumée avec résilience par les Algériens, est instrumentalisée par des rhétoriques anticoloniales, alors qu'elle est marquée par la violence.

L'archevêque d'Alger en personne, Jean-Paul Vesco, manifeste son appréhension face à la résurgence de sentiments algérophobes au sein de l'exécutif français. Il met en garde contre les conséquences néfastes d'une rupture avec l'Algérie, et exhorte la France à reconnaître la nature oppressive de son passé colonial. (Selon un article paru dans le journal La Croix, «Un divorce avec l’Algérie serait suicidaire pour la France», 24 mars 2025.)

Les actions de l'armée française en Algérie, caractérisées par une extrême violence sous la direction d'officiers comme Bugeaud, ont conduit à des actes de cruauté inimaginables : humiliations, spoliations, déplacements forcés, enfumades, décapitations et massacres. Victor Hugo lui-même, après avoir soutenu la colonisation, a témoigné de la férocité de l'armée, se faisant l'écho des récits de généraux présents sur le terrain. Il cite :

« Le général Le Flô me disait hier soir, le 16 octobre 1852 : « Dans les prises d’assaut, dans les razzias, il n’était pas rare de voir les soldats jeter par les fenêtres des enfants que d’autres soldats en bas recevaient sur la pointe de leurs baïonnettes. Ils arrachaient les boucles d’oreilles aux femmes et les oreilles avec, ils leur coupaient les doigts des pieds et des mains pour prendre leurs anneaux. Quand un Arabe était pris, tous les soldats devant lesquels il passait pour aller au supplice lui criaient en riant : cortar cabeza !» (expression qui renvoie à la brutalité de l'armée française, en particulier aux décapitations qui ont été perpétrées.

La mémoire des souffrances du peuple algérien demeure vive. La mise en lumière des massacres en Algérie par Jean-Michel Aphatie a déclenché une controverse au sein de la classe politico-médiatique, où les idées révisionnistes de l'extrême droite trouvent un écho. Il semble que la vérité historique soit sélective.

Il convient de mettre un terme à l'hypocrisie et de faire la lumière sur le système colonial français en Algérie, un dispositif d'oppression inégalitaire, raciste et violent, où la discrimination juridique et administrative était la règle, et de dénoncer les discours fallacieux visant à manipuler l'opinion. Et, tant qu'on y est, une petite pensée émue pour notre cher ministre des Affaires Algériennes... enfin, des Affaires Intérieures, pardon. Toujours un plaisir de voir son dévouement à l'apaisement des relations franco-algériennes. On se demande s'il ne collectionne pas les manuels de diplomatie du XIXe siècle, ceux avec les illustrations de caricatures bien senties. Mais bon, qui sommes-nous pour juger ? Après tout, l'histoire nous enseigne que la subtilité n'a jamais été le fort des relations coloniales.

C'est précisément face à de telles attitudes que l'impératif d'une mémoire historique rigoureuse et transmise devient une nécessité démocratique.

L’héritage de la colonisation algérienne s’est inscrit profondément dans les structures socio-économiques et culturelles des deux pays. Se souvenir de la colonisation, c’est avant tout reconnaître une part essentielle de notre histoire. Transmettre, c’est donner du sens à ce qui nous précède. Mais dans une France polarisée où l’identité se débat plus qu’elle ne se partage, l’héritage devient un enjeu, parfois un fardeau. Aujourd’hui, ironie de l’histoire, ce ne sont plus les hommes que le néocolonialisme cherche à tuer, ce sont plutôt leur mémoire et leur histoire qu’on veut effacer, dénaturer à tout prix, pour donner bonne conscience au bourreau d’hier. La propagande, la désinformation et le mensonge ne peuvent retourner dans le temps pour changer les faits, le temps ne recule jamais. La transmission de la mémoire coloniale est intrinsèquement politique, car elle remet en question les récits nationaux établis et met en lumière les rapports de pouvoir inégaux.

Avec les années et les nouvelles générations, les souvenirs risquent de s'estomper. D'où l'importance de rester actifs et inventifs pour que cette mémoire perdure. Les associations dédiées à la mémoire sont cruciales pour ce travail de préservation et de transmission.

Depuis le cœur des quartiers, l'association Les Oranges donne une résonance puissante aux voix qui peinent à se faire entendre. Les voix des laissés-pour-compte, des discriminés, des damnés de la république, de ceux à qui les « héritiers » font sentir, parfois avec mépris, le plus souvent avec condescendance, leur extériorité à la Nation. Nos quartiers populaires suffoquent, victimes d'années d'un État qui a tourné le dos à l'égalité et à la justice sociale. Le gouvernement français refuse de s’attaquer aux causes réelles des difficultés, occultant l’ampleur du racisme systémique. On sait l’effroi et la sidération que nos histoires coloniales et postcoloniales ont engendré dans nos vies. Il en a fallu des stratégies de contournement pour parvenir à prendre sa place, à s’émanciper, à gagner en autonomie… Cette lutte est constante dans les quartiers, et il s’y trouve une énergie débordante qui ne demande qu’à s’exprimer. La France ne peut se dédouaner de ses engagements mortifères sur nos existences. 

Depuis 20 ans, nous œuvrons à transmettre la mémoire collective des quartiers populaires, en organisant des conférences, des débats, des ateliers d'écriture et de théâtre. Notre action a permis d'obtenir des reconnaissances symboliques importantes, comme le nommage d'un boulevard et d'une rue en reconnaissance de figures emblématiques. Le Boulevard 17 Octobre 1961, un groupe scolaire et une rue en hommage à Abdelmalek Sayad, le Socrate d’Algérie, un colloque sur Frantz Fanon en présence d’Alice Cherki. Nous avons été pionniers en organisant le premier rassemblement autour de l'autre 8 mai 45 en 2015 devant l’hôtel de ville de Paris, démontrant ainsi notre capacité à fédérer et à ouvrir de nouveaux espaces de dialogue. De cette dynamique est né le collectif qui nous réunit aujourd’hui. et ensemble, nous avons réussi à faire adopter une résolution historique au Conseil de Paris. Cette victoire a suscité un écho bien au-delà de Paris et inspiré de nombreux autres acteurs à travers la France.

Forte de son ancrage local et de son expertise auprès des jeunes des quartiers, notre association les forme à l'excellence via des ateliers d'écriture et de théâtre. Ces espaces d'expression ont permis à de nombreux jeunes de s'approprier la création artistique et de devenir acteurs de leur propre histoire. Dans cette continuité, et après le succès de notre création théâtrale : "17 Octobre 1961, Je me souviens", nous sommes ravis de vous présenter aujourd’hui notre nouvelle création “L’autre 8 Mai 1945, Je me souviens” signée M'Hamed Kaki.

Art né de la résistance, le théâtre, plus qu'un manuel, offre une scène où les mémoires individuelles rencontrent l'histoire collective, où l'émotion devient pensée, et la pensée, débat. 

Touchés par les récits qui nous tissent, nous portons à la scène l'histoire poignante de Nasséra et de son grand-père, ancrée dans le tumulte de "L'autre 8 Mai 45" dont vous avez goûté la puissance grâce au talent de nos artistes. Au-delà de cette date clé, la pièce interroge l'universel : comment rester digne, lutter pour la liberté et la justice face à l'épreuve ? Le théâtre, alliant rigueur historique et force émotionnelle, se révèle un puissant vecteur de transmission et de sensibilisation sur ce pan méconnu de notre passé. Enlaçant le rire et les larmes, il nous invite à une introspection profonde sur notre humanité et le monde

Aujourd’hui, votre soutien est un tremplin, ouvrant de nouvelles perspectives pour que notre pièce touche un public toujours plus nombreux. Notre ambition est limpide : éclairer une histoire occultée, provoquer la discussion et éveiller l'engagement civique. Ensemble, nous jetons les bases d'un vivre-ensemble renouvelé, où la mémoire devient un lien, non une fracture. C'est là notre défi. Sans céder au mélodrame, nous agissons pour une libération collective.

Cette journée de colloque est le fruit d'un long travail de recherche et de mobilisation autour de la question de la reconnaissance des crimes coloniaux. Au nom de notre collectif, je tiens à exprimer ma profonde gratitude à l'ensemble des experts – historiens, chercheurs, sociologues, juristes – dont les travaux rigoureux et éclairants ont été une boussole essentielle dans notre démarche. Leurs recherches méticuleuses ont mis en lumière les mécanismes complexes de la domination coloniale, l'ampleur des violences perpétrées et les conséquences durables de ce passé sur nos sociétés contemporaines. Leur objectivité scientifique, leur engagement intellectuel et leur souci constant de la vérité historique ont permis de déconstruire les récits hégémoniques et les silences complices qui ont longtemps occulté cette période sombre de notre histoire commune. Je voudrais également rendre un hommage vibrant à l'engagement indéfectible des militants et des acteurs culturels qui ont porté la flamme de la mémoire et de la justice. Leur travail de terrain, leurs actions de sensibilisation, leurs créations artistiques ont permis de maintenir vivante la conscience de ce passé douloureux et de contrer les tentatives d'oubli ou de révisionnisme. Leur persévérance face à l'indifférence, voire à l'hostilité, mérite notre plus profonde reconnaissance. Ils sont les gardiens d'une vérité historique essentielle à notre compréhension du présent et à la construction d'une société plus juste et éclairée. Enfin, je tiens à saluer chaleureusement mes camarades, ces héritiers de l'immigration algérienne qui, sur l'ensemble du territoire, portent en eux une histoire singulière, une mémoire vive des traumatismes et des luttes. Leur présence, leur engagement et leur résilience sont une force inestimable dans ce combat pour la reconnaissance. Leur diversité, leurs parcours et leurs expériences enrichissent considérablement notre perspective et renforcent notre détermination à obtenir justice et réparation. Leur mobilisation à travers le pays témoigne d'une conscience aigüe des enjeux et d'une volonté inébranlable de ne pas laisser l'oubli triompher. Je renouvelle mes sincères remerciements à la mairie de Nanterre pour son accueil et son engagement dans cet événement.

En guise d'ultime appel, nous exhortons solennellement l'État français à franchir une étape historique et nécessaire : reconnaître officiellement, sans ambages ni atermoiements, la nature criminelle des actes perpétrés durant la période coloniale en Algérie. Cette reconnaissance n'est pas une simple concession au passé, mais un impératif éthique et politique pour bâtir un avenir de confiance et de respect mutuel.

Au-delà de cette reconnaissance symbolique forte, il est impératif de mettre en œuvre des mesures concrètes de réparation, à la hauteur des souffrances endurées par les victimes et leurs descendants. Ces réparations, qu'elles soient d'ordre mémoriel, symbolique ou matériel, sont indispensables pour panser les blessures profondes et les injustices persistantes. Elles témoigneront d'une volonté réelle de la France de se confronter à son histoire et d'en assumer pleinement les conséquences.

Il est temps de sortir des dénis et des silences qui n'ont fait qu'exacerber les tensions et d'entraver une véritable réconciliation. Reconnaître et réparer, c'est non seulement honorer la mémoire des victimes, mais aussi se donner les moyens de construire des relations bilatérales apaisées et un vivre-ensemble plus juste et éclairé au sein de notre propre société, marquée à jamais par cet héritage. L'heure de l'histoire a sonné, et nous appelons l'État à l'écouter.

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