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Billet de blog 10 novembre 2025

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M. Privilège sort par la grande porte. Inégalités, racisme et détresse psychiatrique

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Le scandale des vingt jours

Vingt jours.

Vingt jours derrière les barreaux pour un ancien chef d’État condamné à cinq ans de prison. Vingt jours avant de retrouver le confort d’un domicile sous bracelet électronique, là où des milliers d’anonymes croupissent des mois, des années, pour un vol de téléphone ou une altercation. Vingt jours pour rappeler que la justice française n’est pas aveugle, elle choisit qui elle voit.

Le cas de Nicolas Sarkozy est le miroir grossissant des injustices structurelles qui déchirent notre système carcéral. Ce n'est pas une simple disparité ; c'est la preuve que la loi, si elle est la même pour tous en théorie, voit ses effets radicalement transformés par l'argent, le réseau et la position sociale. Le système pénitentiaire fabrique du désespoir pour les uns et du privilège pour les autres.

Un détenu pas comme les autres : le privilège contre la loi

À la prison de la Santé, Nicolas Sarkozy n’a pas connu la promiscuité, ni la surpopulation, ni le vacarme incessant des couloirs. Il a eu droit à des conditions de détention « particulières » : cellule isolée, visites facilitées, protection rapprochée. On appelle cela la « sécurité » ; dans la bouche des autres détenus, cela s’appelle un privilège. Et voilà qu’à la vitesse de la lumière, le même homme qui prônait jadis la « tolérance zéro », le « zéro laxisme » et l’impossibilité d’un aménagement avant six mois, retrouve la liberté avant même d’avoir eu le temps de s’habituer à sa cellule.

L'enfer de la psychiatrie en détention : un droit à la santé bafoué

La prison n'est pas seulement un lieu de privation de liberté ; c'est un milieu qui aggrave la détresse psychologique et génère de nouvelles pathologies. Le manque criant de personnel psychiatrique et de structures adaptées transforme la peine en une double punition.

Il y a quelques jours, j’ai reçu des informations directes sur un centre pénitentiaire qui illustre parfaitement l’état dramatique de la santé mentale en prison. Les rares psychiatres qui y travaillent ne tiennent plus le coup et sont eux-mêmes en dépression. Les détenus, déjà en détresse, se retrouvent seuls face à leur souffrance. Certains se scarifient, d’autres tentent de mettre le feu à leur cellule.

L'impact est direct et insoutenable :

  • Délai de prise en charge fatal : Un détenu en crise doit attendre des semaines, voire des mois, pour obtenir un premier entretien psychiatrique. Ce retard peut être fatal.

  • Le régime disciplinaire comme seule réponse : Faute de soins, c'est la réponse sécuritaire et disciplinaire qui prend le relais. Les détenus en détresse sont souvent placés en Quartier Disciplinaire (QD) ou en isolement, sous prétexte de sécurité. L'isolement, loin de soigner, aggrave l'état mental et contrevient aux principes éthiques fondamentaux, l'administration pénitentiaire gérant la crise à la place du corps médical.

La prison, par l'abandon des soins, devient une usine à désespérance où les droits fondamentaux des plus fragiles sont systématiquement bafoués.

Pénalisation de la misère et du racisme : la prison comme instrument de relégation

La majorité des détenus sont des anonymes sans ressources, pauvres et racisés, sans appui financier ni réseaux. Quelques narcotrafiquants ou individus fortunés, eux, peuvent s’offrir des avocats célèbres et expérimentés, et donc bénéficier d’une défense réelle. Le reste subit un système qui empile l’injustice sur la misère.

1. La pénalisation de la misère et la justice de classe

L'appareil judiciaire français n'est pas neutre : il opère une sélection sociale qui conduit principalement les plus précaires derrière les barreaux. Les délits jugés sont souvent des délits de survie découlant directement de la précarité. Pour ces populations, l'aide juridictionnelle est insuffisante, forçant une justice expéditive et peu protectrice.

2. Le prisme du racisme systémique

La surreprésentation des personnes issues de l'immigration post-coloniale et des minorités visibles dans les prisons françaises est une réalité que le système s'efforce d'ignorer. Ces populations sont soumises à un contrôle policier et judiciaire plus fréquent et plus sévère (profilage, interpellations répétées). L'incarcération massive des "autres" fonctionne comme le dernier maillon d'une politique d'exclusion, où la prison devient l'instrument de gestion des indésirables, confirmant que la justice est devenue une justice de classe et de race.

Surpopulation, conditions indignes et isolement

Le ministère de la Justice ne nie pas la catastrophe : la Cour européenne des droits de l’homme a déjà condamné la France à plusieurs reprises pour « conditions indignes ».

La France compte aujourd’hui plus de 85 000 détenus pour 61 000 places (Ministère de la Justice, 2025). Les cellules sont surpeuplées, les conditions hygiéniques déplorables. Les longues années derrière les barreaux aggravent l’isolement et la détresse psychologique.

Pourtant, le système continue d’enfermer, de punir, d’ajouter des peines à la peine : Un téléphone trouvé ? Deux mois supplémentaires. Une altercation ? Quartier disciplinaire. Une tentative de suicide ? Isolement. La machine pénitentiaire ne réinsère pas ; elle fabrique du désespoir.

Deux justices, deux vitesses

Le contraste est cruel. Les détenus pauvres ont six fois moins de chances d’obtenir un aménagement de peine que les personnes disposant d’un logement stable, d’un emploi ou de réseaux d’appui. Ceux qui ont de l’argent et des relations, comme Nicolas Sarkozy, disposent de tout : avocats prestigieux, moyens financiers, pression médiatique et politique pour accélérer leur sortie. L’injustice n’est pas accidentelle : elle est structurelle.

L’ironie est flagrante : Nicolas Sarkozy a été l’un de ceux qui, lorsqu’il gouvernait, a durci les prisons, prônant « fermeté » et « incompressibilité des peines ». Aujourd’hui, il bénéficie des aménagements qu’il jugeait scandaleux.

Conclusion : Le scandale permanent

La France aime se dire patrie des droits de l’homme. Mais derrière les barreaux, ce sont les droits humains qui disparaissent. La prison détruit des vies, des familles, des corps et des esprits. Elle coûte cher aux proches, à la société et à la justice elle-même, incapable de garantir un minimum d’équité.

En concentrant la misère sociale et le racisme structurel, la prison française cesse d'être un instrument de justice pour devenir un instrument de gestion des indésirables. Et pendant ce temps, M. Privilège sort par la grande porte.

Notes / Sources 

[^1]: Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), France — https://www.coe.int/en/web/cpt/france

[^2]: Observatoire international des prisons / Amnesty International, « Dignity in prison », juin 2022 — https://oip.org/wp-content/uploads/2022/10/rapport-amnesty-juin2022-en.pdf

[^3]: Tribunaux administratifs : exemples de décisions sur conditions de détention indignes — https://hudoc.echr.coe.int/app/conversion/pdf/?filename=Judgment+J.M.B.+and+Others+v.+France+-+prison+overcrowding+and+inhuman+and+degrading+conditions+of+detention.pdf&id=003-6624855-8792764&library=ECHR

[^4]: Statistiques population détenue 2025 —https://aa8pu.r.ah.d.sendibm5.com/mk/cl/f/sh/SMK1E8tHeG7uiIkkA1RHj1pdwT37/MoDNRTYeA575

[^5]: Étude sur les inégalités dans l’accès à l’aménagement de peine — https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2017/583113/IPOL_BRI%282017%29583113_EN.pdf

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