Tribune 21 novembre 2025

Marseille : face au narcotrafic, trouvons ensemble les chemins de l'espérance

À Marseille, un jeune homme de vingt ans, inconnu des services de justice, a été abattu en plein jour. Son seul tort, peut-être, était d’être le frère d’un des jeunes les plus courageux de sa génération. Face au narcotrafic à Marseille, il faut un plan d’action concret. Il ne s’agit pas simplement d’augmenter la présence policière, ni de multiplier les coups de com’ sur la répression. Il faut une stratégie globale et durable. 

Le 13 novembre dernier, la France célébrait les dix ans du Bataclan. Dix ans d’un terrorisme aveugle, d’une nuit qui avait endeuillé tout un pays et marqué nos consciences à jamais. Et pendant que la nation se recueillait, ici, à Marseille, un autre drame s’est produit, un autre type de terreur : celle qui ne s’abrite derrière aucun dieu, aucune idéologie, mais qui s’alimente d’un nihilisme mercantile où la vie, dans tout ce qu’elle a de sacré, est écrasée par la cupidité et la violence.

Un jeune homme de vingt ans, inconnu des services de justice, a été abattu en plein jour. Vingt ans. Son seul tort, peut-être, était d’être le frère d’un des jeunes les plus courageux de sa génération, un de ceux qui ont dénoncé sans relâche le narcotrafic qui gangrène Marseille, cette pieuvre dont les tentacules étouffent la ville et libèrent dans nos rues des loups de l’enfer qui frappent sans état d’âme.

Ce meurtre n’est pas seulement un règlement de comptes. C’est un attentat terroriste d’un autre genre : un acte destiné à terroriser, à intimider, à faire taire. Un acte qui cherche à installer la loi de ceux qui ne croient plus en rien, si ce n’est en l’argent, le pouvoir et la force brute.

Aujourd’hui, Marseille est en deuil. Et pour la première fois, nous avons vraiment peur d’écrire, peur de parler, peur de regarder en face ce mal qui depuis des années, aucun gouvernement n’a réellement démantelé.

Nous ne pleurons pas seulement un jeune homme. Nous pleurons une terrorisation sanglante, une banalisation d'une violence qui n’a plus de visage, plus de message, plus d'horizon, seulement un vide moral qui dévore tout.

Mais pleurer ne suffit pas. L’indignation, la colère et le deuil doivent se transformer en action. Si Marseille veut briser ce cycle, il lui faut regarder au-delà de ses frontières et s’inspirer de ce qui a déjà fonctionné ailleurs.

À Glasgow, en Écosse, la Violence Reduction Unit a adopté une approche originale : traiter la criminalité comme un problème de santé publique plutôt que purement policier. Le programme CIRV (Community Initiative to Reduce Violence) cible les jeunes les plus exposés à la violence et au trafic. Il combine appels à la raison, médiation, suivi social et soutien éducatif. Parmi 473 participants, 400 ont signé un engagement de non-violence. Le résultat ? Une baisse de 46 % des violences déclarées chez les participants, 59 % de réduction du port de couteaux et jusqu’à 73 % de diminution des actes violents pour les plus impliqués. Depuis sa création, le nombre d’homicides en Écosse a diminué de 35 %. Glasgow a montré que des interventions ciblées, coordonnées et constantes peuvent transformer la vie de quartiers entiers.

À Chicago, le programme “Cure Violence” adopte une logique similaire, avec des agents de “paix” recrutés dans la communauté. Ils détectent les tensions, interviennent pour désamorcer les conflits et accompagnent les jeunes à risque. Là encore, les chiffres parlent : entre 41 % et 73 % de baisse des fusillades et des homicides dans les zones couvertes. Ces initiatives démontrent qu’il est possible de rompre la spirale de la vengeance, de restaurer un sentiment de sécurité et de donner aux jeunes des alternatives réelles au trafic.

Illustration 1
La cité Kalliste, dans 15e arrondissement de Marseille © Photo Mickaël Correia / Mediapart

En Colombie, Medellín a réussi à transformer des quartiers emblématiques de la violence grâce au “social urbanism”. Dans la Comuna 13, la ville a investi dans des bibliothèques, des parcs, des transports publics et des espaces culturels. Ces infrastructures ont permis aux habitants de renouer avec l’espace public et de se réapproprier leur quartier. Les jeunes, privés de repères pendant des années, ont trouvé des alternatives au trafic et au crime. L’accès à la culture, à la mobilité et à la formation professionnelle a été un facteur déterminant dans la diminution durable de la violence.

Pour Marseille, ces exemples doivent être plus que des modèles : ils doivent devenir un plan d’action concret. Il ne s’agit pas simplement d’augmenter la présence policière, ni de multiplier les coups de com’ sur la répression. Il faut une stratégie globale et durable :

Créer des unités de réduction de la violence, composées de policiers, travailleurs sociaux, éducateurs et médiateurs, qui interviennent de manière ciblée et préventive, là où le trafic et les violences sont les plus concentrés.

Investir dans les quartiers, en réhabilitant les espaces publics, en créant des centres culturels et sportifs, en offrant des bibliothèques et des lieux de rassemblement, afin de rétablir des repères pour les jeunes.

Accompagner la jeunesse à risque, avec des programmes de mentorat, de formation professionnelle, de soutien psychologique et de micro-crédits pour favoriser l’insertion économique.

Sensibiliser toute la population, en organisant des campagnes contre la violence et le trafic, mais aussi en donnant aux habitants les moyens d’agir et de protéger leurs enfants, avec des outils concrets pour signaler les tensions ou les comportements à risque.

Ces mesures, déjà testées et validées ailleurs, montrent qu’il est possible de reprendre le contrôle sur un phénomène qui, trop longtemps, a été laissé à l’abandon. Marseille ne peut plus attendre. La ville a les moyens d’agir, mais elle a surtout le devoir moral de protéger sa jeunesse.

Chaque jeune abattu, chaque vie perdue dans les rues de nos quartiers, est un rappel brutal que l’inaction n’est plus une option. Nous ne pouvons plus nous contenter de pleurer ou de dénoncer. Nous devons construire un plan concret, ambitieux et global. Une violence qui s’auto-entretient peut-être freinée, si nous choisissons enfin de nous inspirer de ceux qui ont réussi et d’agir avec constance et détermination.

Marseille peut redevenir un lieu où les jeunes ont le droit de grandir, de rêver et de vivre sans crainte. Il est temps que cette ville prenne ce chemin, avec courage, lucidité et humanité. L’avenir de sa jeunesse en dépend. 

Nassurdine Haidari, Ancien élu de Marseille et Président du conseil représentatif des Associations noires de France 

Prune Helfter-Noah, Élue écologique de Marseille et autrice : En finir avec l'école, Un projet de société émancipateur