Nastasia Peteuil (avatar)

Nastasia Peteuil

Journaliste indépendante aux États-Unis

Abonné·e de Mediapart

28 Billets

0 Édition

Billet de blog 20 janvier 2016

Nastasia Peteuil (avatar)

Nastasia Peteuil

Journaliste indépendante aux États-Unis

Abonné·e de Mediapart

Ma si chère eau, l'histoire des villes de Flint et de Détroit

Commençons par une blague. Car cela ne peut être qu'une blague. Connaissez-vous le comble du Michigan, affectueusement surnommé l'État des Grands Lacs ? C'est de faire subir une pénurie d'eau sans précédent aux habitants de Détroit, et plus gravement, de Flint, où l'eau empoisonnée coulent dans ses tuyaux.

Nastasia Peteuil (avatar)

Nastasia Peteuil

Journaliste indépendante aux États-Unis

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le problème n'est pas nouveau. Il aura fallu qu'une dizaine de personnes meurent pour que le monde entier ouvre les yeux, et surtout les oreilles. Depuis deux ans maintenant, les deux villes industrielles de Détroit et Flint, peuplées à 80 voire 90% d'Afro-Américains, ont des problèmes d'approvisionnement en eau. 

Illustration 1
Manifestation contre les coupures d'eau en février 2015 à Détroit. © Nastasia Peteuil

À Détroit, c'est le coût de ce liquide vital qui matraque les Detroiters. À tel point que certains ne peuvent plus payer leurs factures. Il ne faut pas plus de deux mois d'impayés pour que la ville coupe l'eau aux usagers. En octobre 2014, l'ONU avait même daigné venir faire un tour dans la Motor City pour dénoncer les coupures d'eau, contraire aux droits de l'homme.

Flint, Détroit, c'est un peu la même histoire. C'est un peu la même galère. Flint a eu le droit, comme Détroit, à un gestionnaire d'urgence en 2012. Et un autre en 2013. Il décide que, finalement, faire partie du système d'eau potable de Détroit, c'est bien trop cher. Il n'a pas tort, c'est très mal organisé, c'est bien pour cela que les familles défavorisées de Détroit ne peuvent pas s'offrir 60 dollars d'eau en moyenne par mois. Alors il décide d'aller voir ailleurs. 

Illustration 2
Juste au cas où, mais Flint, c'est là. © Google Map

 Sauf que quand le contrat avec Détroit se termine, la ville de Flint n'a pas encore fini de travailler sur son nouveau "master-plan" qui voudrait que l'eau de Flint vienne directement de lac Huron, sans passer par la case Detroit. Oups. Du coup, le premier gestionnaire revient. Il pense qu'il va, cette fois, sauver la ville.

Bon, il faut imaginer que pendant ce temps, les familles défavorisées de Flint voient leurs eaux potables coupées puisqu'elles n'arrivent pas à payer leurs factures. 

Et là, l'idée de génie ! Payez une entreprise 170 000 dollars pour alimenter la ville d'eau grâce à la rivière qui est juste à côté. Pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ?

Trois mois plus tard, le gestionnaire d'urgence quitte son poste. Il paraît qu'il a des "family issues". Ce ne serait pas plutôt une "water issues"? Donc, c'est l'ancien maire élu en 2002 qui reprend la main. Il ne change pas d'avis et dit gentillement à Détroit ce qu'il pense de son système des eaux. Il refuse de reprendre les affaires avec la municipalité. Ce sera, donc, l'eau de la rivière de Flint. Le rêve devient réalité en avril 2014. Deux mois plus tard, en juin, les premiers résidents se plaignent de l'eau. Elle est jaune, elle pue, et elle a un goût à faire vomir les plus fragiles. En août, après quelques tests, il est prouvé que l'eau est moyennement potable. La municipalité demande aux habitants de faire bouillir l'eau avant de l'utiliser. 

Illustration 3
Pendant une manifestation à Détroit, février 2015. © Nastasia Peteuil

En octobre, General Motors arrête d'utiliser l'eau de la rivière sur ses machines. Les dirigeants ont peur que le chlore ajouté par la ville pour assainir la rivière soit corrosif sur le matériel des usines. Rien que cela. 

En 2015, on commence à s'affoler. Le département de la qualité de l'envionnement du Michigan annonce que l'eau n'est pas vraiment potable. Les responsables politiques de la ville répondent que, bien évidemment, ce n'est pas vrai, et que l'on peut continuer à boire cette eau. 

Mi-2015, on découvre des traces empoisonnements dans les estomacs des enfants de Flint. Au plomb. Et  puis, très vite, des cas de légionelloses. En octobre, la ville distribue 24 000 filtres à eau. C'est un peu comme utiliser un chewing gum sur une crevaison de pneu. 

Finalement, pour 12 millions de dollars, Flint et l'État du Michigan décident de rebrancher la ville sur le système des eaux de Détroit

Le 16 janvier, Obama déclare l'État d'urgence. Des bouteilles d'eau et des filtres sont distribués. Il faut faire disparaître la crise, vite. Il n'en reste pas moins que le prix de l'eau n'est toujours pas plus abordable. Car même si Flint se reconnecte au système de Détroit, on fait revenir les familles à la case départ. 

Flint, c'est l'histoire d'une ville industrielle qui ne l'est plus tellement. D'une population à majorité afro-américaine laissée-pour-compte, à qui on coupe le bien le plus vital au nom de la crise financière qui touche la ville, de l'économie, de la nécessité de faire entrer les bons chiffres dans les bonnes cases. Comme le cinéaste Mickael Moore, originaire de Flint, l'a souligné : 

Michael Moore Shreds Michigan GOP For 'Killing' Flint Residents With Polluted Water © Free Press Detroit

"Ce n'est pas une catastrophe naturelle, c'est une erreur"..."Dix personnes ont été tuées, et je tiens à dire tuées"... "Elles ont été tuées par une décision politique"... "Ce n'est pas simplement une crise de l'eau, c'est une crise créée par le gouverneur républicain sur une ville à majorité africaine-américaine"... 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.