23/04 : Il y a quelques mois j'étais vraiment partie pour refuser de voter. C'est mon fils de dix ans qui a fini par me convaincre, me travaillant quotidiennement au corps, dégotant même une affiche de Mélenchon apparue un beau soir au mur de sa chambre. Vote pour moi maman au moins si toi tu veux vraiment pas voter. C'est fait mon chou, t'avais vu loin, merci.
24/04 : Réveillée par un sentiment de cauchemar pas ressenti depuis des années. Après un an de lutte politique acharnée depuis la mobilisation du printemps 2016, à cette heure de la nuit, et quelle que soit la consolation des 20% de Mélenchon ou de vivre dans une ville qui le place en tête, panique de cette nouvelle défaite à la justice et à la beauté, de l'avenir et du sens barrés. Ces deux jeunes gens, cet homme et cette femme qui dessinent le visage réel, stupide, obscène de la France institutionnelle, macron légitimant lepen et lepen consacrant macron... Comment faire force maintenant ?
25/04 : Savoir au moins que tu vis dans un coin du monde où le sens se veut, où il y a du possible à partir du bien réel.
Marseille 1er arrondissement, c’est Saint Charles / Belsunce / Noailles, les quartiers les plus mélangés, les plus pauvres, les plus hospitaliers de la ville-frontière : 41,5 % pour mélenchon, le vote lepen contenu à 9%.
La carte de la ville est ultra-claire de toutes façons, bipolaire : quartiers nord et pauvres votent rouge / quartiers sud de propriétaires à clôtures et alarmes votent bleu jusqu’à marine.
Comme à Paris, comme ailleurs.
Contre le pen macron et leur brouillage sophiste visant à moraliser le fascisme et l’ultralibéralisme, c’est bien la joie de la période : la chute des faux semblants psychotiques, comme de peaux mortes. Dans ta face le réel, la vérité n’est pas que belle à voir mais au moins elle crie. Fini le leurre de la social démocratie, l’illusion de paix, le confort des bons sentiments masquant la jouissance de la domination et le racisme, le beurre l’argent du beurre et quoi encore.
Satisfaction donc au moins de vivre sur un bout de terre où le sens se cherche, parce que c’est bien du territoire, de nos corps ensemble, qu’on va devoir partir pour contrer le délire infini de leurs mots labiles, imprévisibles, sans socle. Ils veulent mettre le réel à mort, mais le réel c’est nous.
Accepter donc sans doute une mutation existentielle. Se tenir prêt continuellement, comme un boxeur. Ne plus se laisser surprendre ou désespérer par la laideur et les coups. Banaliser la nécessité du combat. Entrer dans la condition du résistant.
26/04 : très très flippant de sentir monter au chaud de notre camps, où il y pourtant toute cette conscience et cette pensée communes, la violence meurtrière des détestations et des ressentiments. Comme si l’amertume et l’angoisse de la défaite achevaient de faire le travail en éloignant la seule issue qui nous reste : continuer à construire un front populaire, dans les urnes et dans la rue, avec les législatives pour horizon immédiat.
On va avoir besoin de lier nos entrailles, d’articuler nos voix de manière sophistiquée, en admettant l’hétérogénéité des positions, en s’en nourrissant même.
Quelle autre force que celle du nombre et de la communauté des désirs ? ça a été la joie du printemps dernier, sentir la levée de toutes ces intelligences si proches, partout sur le territoire. C’est de là que procèdent aussi bien les ingouvernables que les insoumis. Qu’après chacun ait ses tactiques, ses pratiques, ses lubies, bien sûr.
Tu t’abstiens ou tu votes : en tous cas tu fais ce que tu crois juste, et comme tous les autres tu tâtonnes, tu cherches, tu chemines. Faut vraiment se tromper d’ennemi pour te rendre responsable de l’état des choses - ou avoir besoin, en désespoir de cause, de donner à sa rage un objet immédiat, pour éviter les monstres bien réels qui nous font face (le soleil ni la mort ni le fascisme ni l’ultralibéralisme)
27/04 : J’ai tranché, je vais voter contre lepen. Ça m’aurait semblé impossible dimanche dernier, ça me semble évident aujourd’hui. Je peux pas demander aux autres de faire ce sale boulot à ma place. Ca ne signifie rien d’autre que ça, voter pour empêcher que la france soit demain aux mains du fn, puisque cette possibilité est devenue notre réel, et que les horizons internationaux en europe et ailleurs la désigne plus que jamais comme une catastrophe possible. En sachant bien que la ligne de fracture qui sépare lepen et macron est loin d’être clairement dessinée, et qu’elle devra être questionnée, en termes de responsabilité, de porosité, de nécessité réciproque. De toutes façons il va falloir travailler, s’organiser, résister. Il sera temps dès lundi matin, ce 8 mai, de travailler au renversement de cette pseudo-république ultralibérale et à l’insurrection du sens et des corps. En s’appuyant sur les signes joyeux qui pointent en faveur d’une configuration inédite, pour l’émergence d’un front populaire, où les urnes et la rue travaillent ensemble. Forza.
"Dans le coeur de chacun, il y a le désir de défier tout l'arsenal politique des oppresseurs avec la simple arme de la justice : la justice de leur propre cause, qui s'élève en cris vers le ciel et vers l'avenir. La justice cependant suppose un juge. Et il n'y a ni juge ni jugement." John Berger, G., 1972
3/05 : Dédramatiser le geste à accomplir dimanche – mettre un bulletin dans une urne- puisqu’il est perversement privé de son sens initial, qui serait d’énoncer un désir. Le dédramatiser puisque, comme beaucoup le disent, ce n’est plus là que ça se joue, dans le fond. Aller donc très simplement dimanche voter contre le fn, puisque le fn est - c’est réel, concret - en situation de prendre le pouvoir et de nous mener au cauchemar. En sachant que le travail urgent de reconstruction du possible commencera là, tout de suite, une fois le fn très provisoirement écarté des commandes.
« On est coincés dans une fausse alternative insoutenable, je refuse de jouer ce jeu plus longtemps, on l’a fait en 2002 et en 2012, stop ». Certes. Mais ne pas voter contre elle dimanche, refuser de refuser, c’est participer à asseoir cette continuité qui se trace maintenant comme une ligne droite du fascisme au cœur de la république. Et on a beau vouloir de toute ses forces que la révolution se trame et que la justice triomphe, rien ne nous indique maintenant, à part 300 corps meurtris le 1er mai par des crs déjà nazillons, qu’elles puissent l’une ou l’autre nous sauver demain d’un régime autoritaire.
Nous n’aurons pas mis macron au pouvoir. Nous aurons juste empêché lp de le prendre. Et ce sera à nous de transformer l’essai, de fabriquer le sens de notre geste en le prolongeant immédiatement par la construction d’une riposte à l’ultralibéralisme, à la pseudo-démocratie, au fascisme.