Dodus ou crasseux
Chronick d’un monde qui choie. Ou qui choit. Au choix...
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Ha oui !? Et qu’a ouï l’ouïe de l’oie ?...
Sacré Raymond ! Lui savait bien les points-ronds et les interdits-sens.
Chacun a des quotas. Qu’il lui faut respecter. Une femme de ménage dans un hôtel, trente-cinq chambres à nettoyer et remettre en ordre par jour. Soit quatre et demi de l’heure. Un boulanger-artisan, un certain nombre de baguettes, ou de miches, à enfourner pour rentrer dans ses frais. Un policier, deux ou trois « interpèl » par semaine, plus un « flag » par mois. Pour ses stats, et sa promo. Une « pervenche », ou un ASP, sa cinquantaine de prunes journalières. Un chasseur, rafale, M18, ou drone commandé à distance, une centaine de « terroristes ». Par bombe. En one-shot, si possible. Collatérales comprises. Un sniper, lui, se suffira parfois d’une seule cible. Quand un cantonnier devra ramasser environ mille mégots, et deux mille papiers gras, à la pince, pour satisfaire le chef de son service voirie… Il faudra bien, au final, comptabiliser tout ça. Bientôt chacun devra être payé à sa tâche. Sans contrat fixe, durable, ou particulier. Encore moins à durée indéterminée. Tout doit se terminer. Tout a une fin ; dépendante du rendement, de la rentabilité, et de considérations darwinistes ; et elle est de mieux en mieux programmée, identifiée, quantifiée, donc anticipée. Progrès oblige. Y compris, ou surtout, au travail, le droit sera : l’envers. D’un décor où chacun aura à cœur d’atteindre les objectifs fixés par sa hiérarchie, pour espérer obtenir sa prime de rendement. Plutôt qu’un blâme. Son autorisation de survie temporaire. Algorithmique, et donc non-négociable. Simplement mathématique ! Comme 1 + 1 = 0.
Fonctionnaire ou non. Chacun aura à se dévouer au corps, ou à l’entreprise, sans trop y rien comprendre. Car « On » ne nous demande pas de – nous - comprendre. Au contraire. On veut « Nous » : sourd, aveugle, mais efficace. Atrophiés du bulbe, mais contrôlables. Corvéables, car élastiques ou flexibles. Comme du chewing-gum dans une bouche texane. Exempts, dociles, reptiliens, beaufs... Devant rendre des comptes en tout point de nos vies. Pour contenter un cyclope insatiable, à qui il faut en permanence amener sa dose de vin. Romanée-Conti, millésimé uniquement. Et ses méchouis de biquettes. Fraîches et tendres. Grasses ou maigres. A peines rôties.
Caverne et peaux de moutons
Il existe deux façons de gagner, ou de vivre sa vie. La ratée. Et la réussie. La dorée et la crasseuse. Chacun choisira donc, paraît-il. De s’évader ou non. De voir le jour ou pas.
La crasseuse induit le paiement à la tâche. Et vire souvent à l’assistanat. Ou à l’assassinat même. Voir à l’esclavage pur et dur. Ou à l’enfermement sans suite. En case ou cage. La dorée, bien dodue, elle, mise sur le résiduel. Le revenu. Le dividende. L’aspiration des capitaux par capillarité. Ou par fragmentation hydraulique. Indépendamment du temps de travail, le flux financier doit remonter, en permanence, en toute univocité. Jusqu’au sommet de l’édifice.
Qui ne souhaiterait pas être un firmament, un seigneur, en soi ? Fut-il vampirique…
Ou Calife… Membre d’une constellation obscure et encore inconnue. Comme celle de la Vierge. Fonctionnant selon le principe de l’aspirateur. Ou du trou noir. Régissant l’inéluctable dichotomie libérale. Distinguant : le grain, l’ivraie. Pérennisant le dogme, le gène, sélectivement fécond, ou fertilement sélectif, par nature, de l’Indivi-Dualisme. Par l’application assidue d’un juste égocentrisme, et d’une misanthropie raisonnable. Et même si, bien sûr, le monde, complexe, hétérodoxe, et ses sociétés variées, ne sauraient être réductibles à cette simpliste bivalence, celle-ci n’est pas loin quand même d’arranger les dodus, qui en font généralement leur outil, ou leur arme de prédilection. Le clivage doit être immuablement établi. Et bien cimenté. En chacun. Pour que se construisent leurs buildings. De dingues babelistes. Et il n’y pas là de mystique excessive, à considérer d’un point de vue anthropologique les velléités érectiles d’erectus. Fussent-elles clitoridiennes.
De tout temps il y eu des rentiers. Des architectes ambitieux. Des maçons. Des plaquistes. Des éboueurs. Des croque-morts… Des chefs et des empereurs. De tous temps il y eu des serfs, et des ouvriers manipulables à loisir. Des patrons et des crasseux. Des dodus, engoncés en châteaux, ou grottes de luxe, et des prolétaires de bidonvilles, ou des paysans faméliques de campagnes.
Tout cela n’est que justice. Pour s’élever, il nous faut en convenir. Car là est notre liberté suprême. Dans l’atomisme ontologique. Le fractalisme cynique. Demain, il n’y aura plus de travail. Ou presque plus. Au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Il nous faudra aussi réinventer l’argent. Qui ne voudra plus rien dire. Imaginer une monnaie d’un troisième type. Ou bien le retour au troc. Selon qu’on soit dodu ou crasseux.
Le travail c’est l’émancipation, et la santé en plus, comme le disent conjointement le Medef, le Président de la République, et les médecins du travail qui ne veulent pas perdre leur boulot. Les chibanis de la SNCF le savent bien, eux. Ils l’ont compris très tôt. Et continuent à le comprendre. Les travailleurs de l’amiante, ou du glyphosate aussi. Parmi d’autres. Exploiter la sueur de son voisin n’est pas donné au premier venu. C’est une science, parfois infuse, ou héritée ; souvent apprise dans des écoles prestigieuses, réservées aux « loups » et aux dodus. Interdites aux crasseux. Qui n’y ont pas accès pour des raisons d’équilibre des forces. La seule discrimination positive qui soit ayant pour but de reformater les discriminés. Dans le sens d'une passive aspiration verticale. Car si tous les crasseux comprenaient le principe de la capillarité, et de la juste inégalité des forces en présence, tout serait sans dessus-dessous. Ce serait l’Anarchie. La chienlit. Populaire donc populiste. Dangereuse car nègre et libertaire. Et non bourgeoise et libertaryenne. Mai 68, printemps arabes, bolivariens et compagnies… Guerre des gangs et tutti quanti.
Heureusement, la nature étant bien faite, la plupart des crasseux ne rechignent pas bien longtemps avant de comprendre qu’il leur faut rentrer dans le rang. Se soumettre. Un troupeau reste un troupeau. Et sans chien pour aboyer les ordres, ni berger pour guider les opérations, nous ne saurions rentrer à la bergerie, ou atteindre les alpages. Nous errerions en peine, affamés, apeurés, sauvages, en des landes infertiles, jusqu’à ce que mort s’en suive. Le loup nous attraperait. C’est sûr.
Hou !...
Mais que se passerait-il si, d’un coup chaque bête du cheptel prétendait à être autonome. Et libérée. Il faut noter là, que pour l’essentiel, les dodus et les crasseux ne réfléchissent pas pareil. Souvent les crasseux envient les dodus, et les dodus méprisent les crasseux. Leurs statuts sont pour la plupart d’entre eux hermétiques. Cloisonnés. Non interchangeables. Tout comme leurs statues sont de marbre.
Ils se disconviennent respectivement. Dans une notion de respect toute relative.
Le « if » faisant, chaque fois, la différence.
Les dodus, les crasseux, n’ont pas davantage vocation à s’entendre que les Capulet-s et les Montaigu-s. Les Smith et les John. Les Durand et les Dupond…
Les dodus et les crasseux aiment à se regarder comme des bibelots kitchs, comme des chiens en porcelaine, face à face, sur un rebord de cheminée. Dans une ridicule disposition. D’esprit, ou bien d’humeur. D'agence : ment.
Dodus et crasseux ont chacun une fonction à remplir. Etre d’un côté ou de l’autre d’une barrière métaphysique. Parfaitement illusoire. N’ayant comme seule aboutissement que la voie sans issue dédiée à l’intransigeance obscurantiste. Et au choc : Civilisation-El.
P.S : les crasseux emmerdent les dodus, parce que souvent, par préciosité, ou par inadvertance, trop pressés, trop impatients, les dodus en oublient leurs papiers « hygiéniques ».
@christianpichard2018, lors de l'installation de "Balade" - sculpture (2,70m) - Sentiers des arts 2017
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Balade Nocturne - photo montage - par Christian Pichard
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