Ou la vie rêvée d’un ange…
Eugène, grand prématuré, décède six jours après sa naissance d’un choc infectieux. Sa mère sombre dans le mutisme et coud inlassablement des pantalons en velours rouge, de la taille nourrisson à la taille quatre-vingt-douze ans. Son père se raccroche aux mots pour combler l’absence de ce fils, minuscule fil de vie effiloché puis rompu.
Eugène, six jours (même pas deux samedis), intubé, couvé, sondé, transfusé… Berceau rime avec tombeau… Allongé les bras croix, des sparadraps sur les yeux, ses toutes petites jambes frêles qu’il ne sert plus à rien de masser… Eugène est mort. Peut-on dire qu’il a existé ? Il ne représente plus rien… même son urne funéraire est insignifiante, aride et inculte, avec juste trois grains de poussière dedans…
Passé le choc implacable de la disparition, son père, qui l’a à peine touché, qui n’a pas senti son odeur, juste celle du savon désinfectant de l’hôpital, qui n’a pas vu la vraie couleur de ses yeux, ni son sourire, n’a jamais entendu son rire, ni le son de sa voix, son géniteur qui a faillit à le mettre au monde, son père invente la vie de celui qui a si peu été…
Qui était Eugène, ou plutôt qui aurait-il été ?