Nathalie Laulé

Journaliste, auteur, acteur culturel, conseil communication/ Martinique/Avignon/ Guyane

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Billet de blog 14 mars 2009

Nathalie Laulé

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Martinique, vers la fin du conflit

  Fort de France, Martinique, 34e jour de grève générale contre la vie chère et la profitation, vers la fin du conflit social.

Nathalie Laulé

Journaliste, auteur, acteur culturel, conseil communication/ Martinique/Avignon/ Guyane

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Fort de France, Martinique, 34e jour de grève générale contre la vie chère et la profitation, vers la fin du conflit social.

Vendredi soir dernier, 6 mars, les rues de la capitale ont à nouveau pris feu. Depuis quelques jours, des sms et des mails circulaient appelant les entrepreneurs à venir manifester leur besoin de reprendre le travail et témoigner de la situation d’extrême danger dans laquelle se trouve la plupart des petites et moyennes entreprises martiniquaises aujourd’hui. Un convoi d’entrepreneurs, toutes communautés(ethniques) confondues a pris la route dès le matin, conduit par les planteurs de bananes en tracteurs (petits et gros planteurs). La veille, une altercation avait eue lieu à l’entrée d’une zone d’activité bloquée entre les entrepreneurs et les piquets de grève, le ton était déjà monté. Vendredi soir, après avoir été dérouté du centre ville, ce convoi de tracteurs et de voitures circulant en opération « molokoï » (tortue) est passé sur le périphérique entre le quartier Trénelle Citron et les Terresainvilles, les quartiers populaires dits chaud de Fort de France. Manœuvre insensée qui a été prise pour une provocation. Une partie de la population mise en état de précarité extrême par la crise actuelle, qu’on appelle communément les « jeunes » a réagi très violemment au passage du convoi (caillassage des véhicules, violences verbales, coups, séquestrations et incendies des véhicules…). Des membres du Collectif du 5 février (collectif contre la vie chère qui conduit la grève générale depuis le 5 février) sont intervenus pour calmer les uns et les autres. Le maire de Fort de France, Serge Letchimy est descendu dans la rue pour éviter que ne soit commis l’irréparable comme en Guadeloupe. Et puis, les forces de l’ordre en place sont intervenues pour faire revenir le calme….à coup de gaz lacrymogènes. Chaque intervention des forces de l’ordre pendant cette crise, a rappelé les répressions sanglantes systématiquement subies par les travailleurs antillais lors des conflits sociaux qui ont fait avancer l’histoire. Même si les contingents envoyés de Paris et ceux regroupés sur place, comptaient dans leurs rangs une majorité d’hommes noirs, l’uniforme est historiquement associé à la société de plantation esclavagiste légitimée et accompagnée par l’état français.

Dans ce convoi anti-grève, il y avait beaucoup de blancs puisque la communauté blanche de Martinique (békés, descendants de colons français, voir texte suivant sur le peuplement et métropolitains, français de l’hexagone) est majoritairement entrepreneuse et représente aux yeux de la société martiniquaise, les puissances d’argent.Dans le contexte actuel de crise,il semble que les clivages entre communautés ethniques se soient encore renforcés et particulièrement parmi la population des quartiers défavorisés qui fait du blanc, une icône de la profitation.

Depuis la diffusion du documentaire, « Les derniers maîtres de la Martinique », malencontreusement diffusé sur Canal Plus Caraïbes le premier soir de grève générale en Martinique, les tensions entre groupes ethniques se dévoilent plus que jamais au grand jour. Un patriarche béké y fait l’apologie du temps de l’esclavage et se retrouve traduit en justice pour « incitation à la haine raciale, apologie de crime contre l’humanité ». Vendredi 6 mars dernier, le parquet de Pointe à Pitre ouvrait une enquête judiciaire à l’encontre d’Elie Domota, le leader du LKP en Guadeloupe, pour notamment « incitation à la haine raciale » après qu’il ait déclaré en créole, à la télévision « nous ne laisserons pas une bande de békés rétablir l’esclavage ». C’est ainsi que l’on va retrouver sur les mêmes bancs de la justice, deux membres fondamentalement opposés de la communauté antillaise, un patron béké à la tête d’un puissant groupe commercial, un syndicaliste noir charismatique à la tête du plus puissant mouvement social jamais observé aux Antilles, mis en examen pour le même crime : incitation à la haine raciale ! Deux hommes aussi fondamentalement liés par leur histoire commune, capables tous deux de générer des ouragans au sein de la société antillaise, deux hommes de pouvoir qui symboliquement détiennent la même clé, capable d’ouvrir les portes d’un chaos infini ou de le désamorcer : le conflit racial.

La situation de crise extrême que traversent la Martinique et la Guadeloupe cristallise les rancœurs historiques. De toute évidence, la répartition post-coloniale des richesses (les terreset les ressources) dans les anciennes colonies françaises est au cœur du problème. La complicité de l’état français dans la pérennisation du pacte colonial dont parle l’auteur Guy Cabort-Masson dans son ouvrage « les puissances d’argent en Martinique » est montré du doigt et avec elle la ploutocratie béké ainsi que l’attitude entrepreneuses des métropolitains arrivant en Martinique, souvent affectés aux postes de direction des entreprises békées. Des politiques comme Garcin Malsa, le maire de Sainte Anne ou des intellectuels comme Raphaël Confiant posent sérieusement la question de la redistribution de la terre en termes de réparation.

De fait, l’arrivée des méthodes globalisantes du modèle libéral et les addictions à la consommation qui l’accompagnent sont une catastrophe sur un si petit territoire, tant en terme d’occupation et de pollution des sols (grande distribution et zones d’activités tentaculaires, agriculture intensive de la banane hyper polluante…) qu’en matière d’envoutement des esprits (surendettement et angoisses liés à l’hyper consommation, maladies associées comme l’obésité, le diabète…).

Le modèle libéral génère ici plus qu’ailleurs des abus de toutes sortes (dictat des monopoles, précarisation des salariés, mise en marge de toute originalité…) et érige un idéal de vie unique, incompatible avec le mode de vie antillais et pourtant complètement établi parce que présenté comme la seule voie possible d’évolution.

On observe ainsi un profond décalage entre la population métropolitaine débarquant souvent avec un mode de vie et un pouvoir d’achat ostentatoire et les populations rurales de l’île. Un décalage d’autant plus frappant que les communautés ne s’interpénètrent pas et vivent dans des zones voisines prédéfinies (ghetto blanc du Cap Est pour le plus connu, limitrophe des zones rurales de Perriolat et Morne Carrère). Peu de métropolitains parlent ou tentent de parler Créole par exemple, peu s’adaptent au mode de vie local (alimentation, rythme de vie, traditions…). Il est communément admis qu’un métropolitain reste ici le temps de son contrat, profite des douceurs du pays et repars sans avoir tissé de lien.

De ce décalage entre les modes de vie nait une méconnaissance, une incompréhension donc une peur, là où il n’y a pas de rencontre. C’est à cela que nous sommes en train d’assister dans cette montée des racismes, la peur de l’autre génère l’amalgame : tous les blancs sont des profiteurs, tous les blancs sont des exploiteurs. De l’autre côté c’est pareil : tous les noirs sont des fonctionnaires qui peuvent se permettre de faire la grève, mais tous ont peur, les uns des autres. On dit que de nombreuses familles de métropolitains seraient en train de quitter l’île et beaucoup s’en réjouissent. On entend souvent parler ces jours-ci de l’idée de Nicolas Sarkozy lorsqu’il était en campagne, selon laquelle ceux qui ne respectent pas la France ne l’aiment pas et donc devraient la quitter pour légitimer les propos similaires de Monsieur Domota à propos dela Guadeloupe.

Les périodes de crise sont historiquement déclencheuses du repli sur soi, sur l’environnement proche, elles sont porteuses du risque nationaliste et pire. Est-ce que nous pourrions sombrer à nouveau dans ce chaos par ignorance de l’autre ? C’est sûrement la question qu’il faut vite se poser car c’est ce que laissent à penser ceux qui font le plus de bruit en ce moment.

Mais il y a cependant d’autres bruits, plus harmonieux, plus féconds, plus justes, ceux qui naissent de la rencontre et de la compréhension, du respect et de l’amour. Il y a cette majorité d’hommes et de femmes qui n’écrivent pas de lettres ouvertes mais qui continuent à se sourire enaspirant à la paix et à l’entraide.

L’attitude de supériorité de certains békés, de certains métropolitains mais aussi de certains antillais de l’hexagone gonflés par l’orgueil de la réussite sociale, vis-à-vis des populations locales parce qu’elles sont trop naïves pour certains, trop profiteuses pour d’autres, incompétentes, indolentes…est aussi insupportable que l’attitude négative de certains antillais vis-à-vis des membres de leur propre communauté, les coolies où ceux qui sont trop noirs, mais aussi les rastas et les originaux qui ne rêvent pas d’accéder à la réussite sociale du modèle libéral, les