Quelle place nous est laissée ?
Alors que les médias marquent les cinq ans du Covid-19, je repense à une autre date : celle de mes dix ans de vie avec le syndrome de Cogan, une maladie auto-immune rare au pronostic sombre, qui m’a fait perdre l’audition. Sa prise en charge ne fait toujours l’objet d’aucun consensus thérapeutique, comme le rappelle la HAS dans le PNDS publié en 2024.
Avant cela, j’avais déjà dix ans de maladie de Crohn derrière moi. Vingt ans de maladie chronique. Vingt ans à vivre dans l’ombre.
Et aujourd’hui, je me demande : dans ce récit collectif du Covid long, quelle place nous est laissée, à nous qui étions déjà là ?
Cette tribune vise à rappeler notre présence, à dénoncer l’amnésie médicale et médiatique qui entoure les malades chroniques d’avant la pandémie, et à appeler à la mémoire, à la solidarité.
J’ai eu un moment d’espoir
Quand le Covid long est apparu, j’ai eu un moment d’espoir. Pour la première fois depuis vingt ans, je me suis dit que notre réalité – celle des malades chroniques, invisibles, ignorés, parfois moqués – allait peut-être enfin être reconnue. Ces mêmes symptômes de fond qui m’accompagnent depuis deux décennies – fatigue écrasante, malaises, essoufflement, douleur thoracique, troubles cognitifs, douleurs diffuses… – devenaient soudain l’objet de l’attention des médias, de la recherche, des politiques de santé. Alors j’ai espéré, naïvement : cette fois, on ne pourra plus faire semblant de ne pas nous voir.
Cette fois, ils vont nous entendre.
Un nouveau silence
Et pourtant, ce moment s’est transformé en un nouveau silence. Plus violent encore, peut-être, que le premier. Car non seulement nous, malades « historiques », sommes restés invisibles, mais notre expérience semble avoir été balayée, effacée, comme si tout commençait avec le Covid long. Les médias découvrent, avec émotion, des symptômes « incompréhensibles ». Les associations se forment, militent, agissent – mais souvent sans nous.
Comme si la maladie chronique était née en 2020. Comme si notre fatigue n’avait jamais existé. Comme si notre combat n’avait jamais compté.
Nous étions pourtant déjà là
Nous étions pourtant déjà là.
Je suis malade chronique depuis vingt ans. J’ai traversé les hôpitaux, les diagnostics flous, les regards sceptiques, les remarques culpabilisantes. J’ai vu ma vie se transformer, mes projets s’effacer, ma place dans la société se réduire à une case qu’on ne savait pas cocher. J’ai connu l’isolement et la précarité. La fatigue, la douleur, la confusion mentale ne sont pas nouvelles. Ce sont mes compagnes de route, depuis bien avant qu’un virus ne vienne révéler au monde l’ampleur de la défaillance médicale face aux maladies systémiques.
Et il faut le dire clairement : en tant que malades chroniques, nous sommes exposés à un risque accru de développer un Covid long. Et un grand nombre d’entre nous ont été, eux aussi, touchés par ce nouveau syndrome.
Nous sommes doublement concernés – par ces maladies d’avant, et par celle-ci.
Alors, quand j’ai vu émerger les collectifs Covid long, quand j’ai entendu les médias parler – enfin ! – de la fatigue chronique, du syndrome post-viral, du handicap invisible… J’ai cru que le moment était venu d’unir nos voix. De créer des ponts.
De dire ensemble : assez.
Une fracture s’est installée
Mais non. Une fracture s’est installée. Pire : certains malades Covid long se vivent comme les seuls à expérimenter cette souffrance. Comme les premiers à vivre ce flou médical, cette errance, cette violence du doute. Et certains s’érigent en pionniers – sans voir que nous marchions déjà sur ce chemin, bien avant eux, seuls, souvent sans mots pour nous défendre. Leur douleur est réelle, et je ne la nie pas. Mais l’oubli dans lequel ils nous laissent l’est tout autant.
Un appel à la mémoire
Ce n’est pas une compétition de souffrance. Ce n’est pas un jeu de qui crie le plus fort. Mais c’est un appel à la mémoire. À la solidarité. À la décence. Nous ne voulons pas voler la parole des malades du Covid long. Nous voulons exister avec eux. Être reconnus comme leurs allié·es naturels. Être intégrés aux réflexions sur la santé publique, la recherche, la prise en charge. Nous voulons que les récits médiatiques cessent de présenter les symptômes chroniques comme une nouveauté post-pandémique. Nous voulons que les associations comprennent qu’avant 2020, il y avait déjà des milliers de personnes en souffrance – invisibles, mais bien vivantes. Nous ne réclamons pas la pitié. Nous réclamons la reconnaissance. La place qui nous revient. La mémoire de ce que nous avons déjà traversé – souvent sans aide, sans soutien, sans nom.
Nous sommes là.
Nous avons toujours été là.
Et nous refusons d’être effacés de cette histoire.