Il y a un an, en un beau jour de mai, nous avions décidé de nous promener avec mon fils dans le bois le plus proche de chez nous. Nous habitons le Val d’Oise, et la zone est remplie de pavillons, de villes et la fameuse « patte d’oie », une nationale bordée d’entrepôts de grandes marques. Mais, sur une butte, il y avait la forêt, au bord d’un village pittoresque. C’est un havre de paix, un îlot de verdure au coeur de l’invasion urbaine.
Nous avons déchanté. En pénétrant dans la forêt de la façon habituelle, nous avons eu le spectacle d’une désolation absolue. Tous les grands arbres, tous les vénérables avaient été abattus, et les troncs énormes s'entassaient dans tous les coins du bois. C’était un horizon de souches, une vision de cauchemar, comme un champ de bataille après une guerre. La forêt, que nous avions connue debout, était couchée, tronçonnée. Des milliers d’arbres comme des cadavres, toutes espèces confondues. Nous avions l'impression de marcher dans un charnier.
On ne voyait plus de forêt, mais, à travers les maigres troncs qui restaient encore debout, le ciel, les entrepôts et la A15.
Avec d’autres badauds, nous circulions, le souffle coupé, et des panneaux nous expliquaient que c’était pour « régénérer la forêt ». Régénérer la forêt ? Abattre tous les vénérables, tous les arbres d'une certaine épaisseur? C’est comme si nous décidions de tuer les gens d’âge mûr et les vieux pour régénérer les populations ? Dans nos veines, dans notre coeur blessé, dans notre souffle coupé, nous avons senti une colère énorme devant ce désastre du vivant qui, en plus, était légitimé par cette explication inique ! La langue de bois, c’est bien le cas de le dire !
Depuis, je marche, un peu partout en France, et je constate la même dévastation. Partout, en notre pays, les arbres d’un certain calibre, ceux-là même qui sont si majestueux, si beaux, se déployant haut dans le ciel, portant nos rêves dans leurs bras d’écorce, ceux-là sont impitoyablement tronçonnés.
Autour de nous? Du bitume et du béton. Vous avez envie de faire un tour en forêt ? Il n’y a plus de forêt. Vous voyez Conforama au travers des arbres, vous cherchez un tronc large, une vaste ramure ? Il n’y en a plus. Il vogue vers la Chine. De la même façon, dans les villes, les copropriétés font abattre des arbres centenaires parce que « ça bouche la vue ». Ils ont le droit, ou ils le prennent.
Je suis une promeneuse et je me sens veuve d'arbres. Comment se fait-il que cette dévastation soit possible et s'opère sous nos yeux? Il faudrait une défense rapide de nos fôrets ou ce qu’il en reste, et juger les responsables d’écocides en France. Nous, les citadins du XXIème siècle, nous ne trouverons bientôt plus d'arbres vénérables dans notre pays.
Je suis simple promeneuse, étonnée que cette cause et que cette dévastation ne fasse pas l'objet d'un énorme tollé, et d'une réponse rapide pour contrecarrer l'invraisemblable impunité des destructeurs.
Voici le lien vers écologielesverts: https://eelv.fr/les-forets-francaises-ne-sont-pas-a-vendre/
Et le manifeste écrit en octobre 2018 par de multiples associations pour la défense de la forêt de Tronçais :
Manifeste de Tronçais : pour la forêt française, notre bien commun
« La planète Terre n’a pas besoin d’émissions de CO2 supplémentaires. Elle a besoin de résilience et de forêts qui la refroidissent. » C’est en ces termes que le 25 septembre 2017, 190 scientifiques de la communauté internationale ont interpellé les responsables de l’Union européenne, posant ainsi en termes clairs l’enjeu vital pour la biosphère d’une gestion forestière réellement durable. La forêt n’est pas un objet de spéculation financière de court terme. C’est le rempart de nos enfants face à une crise écologique et climatique qui s’emballe. C’est l’eau potable, la biodiversité et la résilience, l’épuration de l’air, le stockage d’une partie du carbone en excès dans l’atmosphère et la possibilité d’en stocker dans le bois matériau. C’est aussi notre lieu de connexion avec la Nature. Renoncer à tous ces bienfaits serait pure folie. C’est pourtant ce qui se profile en Europe et en France, métropolitaine comme dans les départements ultramarins, avec les incitations croissantes à transformer les forêts pour satisfaire des appétits industriels de court terme non soutenables. Comble du cynisme, ces orientations sont présentées depuis le Grenelle de l’environnement sous couvert d’écologie. Les forêts publiques françaises incarnent particulièrement ces enjeux. Bien qu’elles ne représentent que 25 % des surfaces forestières de France métropolitaine, elles correspondent aux cœurs historiques des massifs forestiers. Ce sont des surfaces boisées depuis de nombreux siècles, qui concentrent les écosystèmes les plus matures, et ainsi les stocks de biodiversité et de carbone les plus importants de tous les écosystèmes. Le droit forestier français, vanté dans le monde entier comme une préfiguration historique du concept de gestion durable, consacre la forêt comme bien commun. Il prévoit des outils de protection des forêts privées et publiques par les pouvoirs publics. Pourtant, le principal instrument de cette politique, l’Office national des forêts, subit un véritable détournement de ses missions d’intérêt général. La privatisation en cours de ses activités régaliennes préfigure la disparition de ce service public et une politique forestière au rabais. Ces évolutions actuelles à l’ONF et celles à l’œuvre dans le privé menacent de tirer vers le bas toutes les « garanties de gestion durable », en forêt publique comme en forêt privée. La démarche de privatisation de l’Office national des forêts, et l’industrialisation croissante qui l’accompagne doivent être reconsidérées au regard des multiples enjeux des forêts pour la société d’aujourd’hui (climat, biodiversité, emploi et économie). La notion de bien commun impose par ailleurs que la société civile prenne part aux décisions forestières, et dispose d’un droit de regard sur la gestion des forêts publiques qu’elle reçoit en héritage et doit transmettre à ses enfants. Nous soussignés, citoyens et représentants d’organisations concernés par le sort de la biosphère, réunis ce 25 octobre 2018 au pied des chênes pluricentenaires de la forêt domaniale de Tronçais, demandons solennellement la convocation d’un grand débat public, que la forêt française mérite aujourd’hui plus que jamais depuis plus d’un siècle. Mobilisés, vigilants et unis, nous entendons nous rencontrer régulièrement pour débattre des orientations cruciales de la politique forestière, élargir et amplifier la dynamique enclenchée ce jour.
SIGNATAIRES :
Les syndicats de l’ONF, les Amis de la Terre, Global Forest Coalition, France Nature Environnement, Action Nature Rewilding France, la Ligue pour la Protection des Oiseaux, Humanité et Biodiversité, Greenpeace, Agir pour l’Environnement, Forêt citoyenne, le Réseau pour les Alternatives Forestières, les syndicats forestiers membres de l’intersyndicale de l’ONF, SOS Forêt France