Sans grande conviction, mal rasé, pas encore douché, un mauvais café et un reste de rillette de la veille avalé, Baptiste allume son ordinateur pour ce qui sera une journée de cours devenue habituelle pour des milliers d’étudiants à la faculté. Bientôt 1 an qu’il ne met plus les pieds dans l’amphithéâtre Guizot de la Sorbonne dans le 5ème arrondissement de Paris. Le jeune homme avait l’habitude de s’assoir au 4ème rang vers la gauche, de là, il avait une vue parfaite sur cette fresque datant de l’antiquité, située derrière son professeur de lettre moderne. Aujourd’hui, lorsqu’il tourne le regard, ce Castelroussin de 22 ans n’aperçoit que son frigo miniature à côté de son lavabo rempli d’assiettes sales. Installé au 4ème étage de son immeuble, la pluie frappe les gouttières de manière assourdissante. Son rythme de travail s’est complètement décalé, son mode de vie aussi. Il ne commence plus à étudier qu’aux alentours de 13 heures et se couche à l’heure à laquelle il est supposé commencer. « Je n’étais plus en phase avec les horaires normaux. Avec le manque de motivation, certains se réfugient dans la drogue, d’autre dans l’alcool, moi c’est le sommeil. » Ses sorties se font plus rares, alors il se raccroche au moindre bruit autour de lui. « Je me souviens, lors du premier confinement, tous les soirs à 5 heures du matin, je distinguais le bruit d’un vieux moteur de scooter 50cc, puis je l’entendais revenir vers 13 heures. J’essayais de l’imaginer à travers le son de sa machine ». Selon une étude de la FEF (Fédération des étudiants francophones), 60 % des étudiants confinés se sentent complètement ou partiellement en décrochage scolaire.
« On s’adapte ou on abandonne »
L’ordinateur allumé, Baptiste décale à ses pieds les quelques livres de ce qu’il considère être son bureau mais aussi son « pose tout ». Les mails de ses professeurs s’affichent. Il a 48h pour rendre ses travaux. L’étudiant souffle un grand coup et commence à lire les directives. A peine commencé que son père, âgé et malade, l’appelle. Ce dernier lui demande de régler des documents administratifs car il ne sait plus comment faire. « Lors du premier confinement, je suis rentré chez mon père à Châteauroux. Il fallait que je m’occupe de lui. Il a plus de 80 ans. J’ai dû faire des allers-retours entre l’hôpital et chez nous, tout en suivant les cours. Maintenant, je dois rester à Paris car j’ai emménagé ici il y a quelques semaines et je suis encore sous les cartons ». Une situation extra-scolaire scolaire délicate, accompagnée d’une baisse d’envie et de motivation, aussi, de la part de ses professeurs. « En mars-avril, les enseignants étaient plus conciliants avec nous. Ils comprenaient que la situation était vraiment délicate pour les étudiants. Depuis la rentrée, ce n’est plus le cas. Ils sont passés à autre chose. On s’adapte ou on abandonne ».
« J’ai le sentiment de ne plus rien valoir »
Après cette brève interruption, Baptiste reprend la lecture des consignes. Il lit les livres demandés. « Alcools » de Guillaume Apollinaire en ce moment. Après seulement 2 heures, il s’arrête, puis se colle contre le dos de sa chaise et ferme les yeux un instant. Il ferme la boîte mail et ouvre YouTube. Cigarette allumée, son visage esquisse un sourire devant les vidéos de Vilebrequin, une chaîne loufoque tenue par des amateurs de vieux modèles de voiture. « Loufoque », c’est comme cela qu’il décrit la période actuelle. « Flou », son avenir. Malgré quelques efforts encore, le jeune homme n’a plus l’envie. « Je sature, je suis à deux doigts de lâcher et je ne sais pas où je vais. J’ai le sentiment d’être rentré dans une forme de dépression. Je me sens mal, en France, il faut un diplôme, si tu ne fais pas d’étude c’est dur de s’en sortir…je vois ça comme un échec. J’ai le sentiment de ne plus rien valoir. Je me sous-estime tout seul (…) SI j’arrête les études, je retournerais travailler au café « maison sauvage », si cela rouvre un jour. Servir là-bas me permettait de payer mon loyer. Aujourd’hui, je vis sur mes économies » explique-t-il, l’air déconfit. Selon une étude délivrée en octobre 2020, 28 % des étudiants se déclarent tristes, déprimés ou désespérés plus de la moitié du temps voire tous les jours. Bientôt 17 heures, Baptiste tente à nouveau de travailler. Il essaye. Vers 18 heures 30, Il s’arrête. Il fait nuit. L’étudiant en lettre moderne n’aura pas vu le jour ce mardi.