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Billet de blog 15 mars 2024

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Contre la destruction de l’école publique

Nous, parents d’élèves en école maternelle, élémentaire, collège, lycée général ou professionnel, ou simple citoyen-nes, il nous semble urgent de prendre la parole et d’alerter sur les réformes du système éducatif annoncées par le gouvernement et des coupes budgétaires prévues de 692 millions d’euros. Nous ne voulons pas quitter l’école publique ni la briser comme vous semblez vous y atteler. Au contraire, nous voulons la soigner.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous, parents d’élèves en école maternelle, élémentaire, collège, lycée général ou professionnel, ou simple citoyen-nes, il nous semble urgent de prendre la parole et d’alerter sur les réformes du système éducatif annoncées par le gouvernement et des coupes budgétaires prévues de 692 millions d’euros. La situation nous apparait d’une gravité exceptionnelle pour l’avenir de nos enfants. Nous craignons qu’elles conduisent à une maltraitance et des discriminations institutionnelles sans précédent, avec pour conséquence un vrai danger pour notre cohésion sociale.

L’école est l’affaire de nous tous-tes, pas seulement du ministère de l’Education nationale. La façon dont l’école prépare la vie en société de nos enfants nous apparait comme une question sociétale fondamentale au sein de laquelle chacun-e de nous a un rôle à jouer.

Or, chaque matin, nous sommes les témoins impuissants des conditions de travail de plus en plus dégradées des enseignant-es, du nombre croissant d'enfants dans les classes, du manque abyssal de remplaçant-es qui interdit aux professeur-es de tomber malades ou de se former. Nous constatons des locaux vétustes parfois devenus insalubres faute de rénovation. Que dire encore de la souffrance produite par l’absence des aides humaines pour l'accueil des enfants à besoins particuliers ? 

Il y a si longtemps que nous recevons des signaux d'alerte sans totalement les déchiffrer, sans réaliser qu'il s'agit simplement de la mise en œuvre progressive d'une politique de destruction de l'école publique, au sein d’un projet gouvernemental qui place la compétition au cœur de la vie collective. Une inquiétude profonde nous saisit aujourd'hui. 

L’essentiel semble oublié : le droit à l’éducation tel qu’il est défini par la Convention internationale des droits de l’enfant, l’engagement de l’état à favoriser « l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ». Il est temps d’exercer enfin notre rôle citoyen !

Face à la perte du sens donné aux mots qui finit par nous aveugler, face aux terminologies abstraites qui nourrissent un flou anesthésiant, il nous semble important d’abord de renommer les choses au travers de ce qu’elles signifient concrètement et de leur histoire :

  • "Groupes de niveau/besoin" : Il s'agit de trier les « bons » des « mauvais » élèves dans les deux matières que sont les maths et le français. Les élèves d'une même classe seront donc séparé-es pour suivre ces enseignements. La compétition va donc s'instaurer pour être parmi les "bons", sans aucune logique de coopération entre les élèves. Les bons seront donc tirés vers le haut tandis que les mauvais vers le bas. Créer des entre soi et intégrer la logique concurrentielle dès le plus jeune âge, trier au plus tôt celles et ceux qui donneront les ordres de celles et ceux qui obéiront.
  • "Labellisation des manuels scolaires" : si elle peut sembler une initiative logique sur le papier, cette dernière s'inscrit en fait dans un processus de contrôle par le pouvoir politique du contenu des enseignements et des méthodes pédagogiques. Transformé-es en technicien-nes de l'enseignement, ces personnels formés et expérimentés sont priés de se mettre au pas de l'orientation politique, feue la liberté pédagogique. Quand on assiste par ailleurs à la concentration de plus en plus forte des maisons d’édition au sein du groupe de Vincent Bolloré, notre inquiétude bascule dans la peur.
  • « L’uniforme » : rappelons que ce dernier n’a jamais été obligatoire, n’en déplaise aux discours nostalgiques d’une époque ancienne fantasmée. L’uniforme était plutôt porté dans des établissements sélectifs comme signe de distinction. Il est utile de rappeler aussi que l’assemblée nationale a rejeté le 12 janvier 2023 une proposition de loi du RN visant à rendre obligatoire l’uniforme dans les écoles et collèges publics. Et sur le fond, aucune étude n’a jamais montré que l’uniforme avait un quelconque impact sur les inégalités, les apprentissages ou encore le harcèlement scolaire. En revanche, quand on l’inscrit dans le contexte global des réformes proposées, il est difficile de ne pas y voir une nouvelle mesure de discipline et de standardisation, un «  outil de mise au pas autoritaire de la jeunesse » (1). Invisibiliser les différences sociales n’est pas travailler à ne pas les perpétuer.
  • « Généralisation du service national universel » : faire entrer le SNU dans les établissements scolaires, c’est déjà et avant tout rogner sur le temps imparti aux programmes scolaires. C’est aussi intégrer le budget du SNU, autrefois porté par la Défense, sur celui de l'Éducation Nationale. C’est enfin lors du séjour de « cohésion sociale » soumettre nos enfants, habillés en uniforme bleu marine et blanc, aux rituels militaires tels que le lever du drapeau, la marche au pas ou encore le chant de la Marseillaise. Difficile de ne pas souligner par ailleurs les cas d’humiliation, de harcèlement et de discriminations dénoncés par la presse lors de ces séjours (2). 

Pour nos enfants, pour les valeurs éducatives que nous partageons avec la communauté enseignante, mais aussi pour la société à venir :    

Nous ne voulons pas de ministre « cogneur » (3) pour reprendre l’expression de madame Borne, nous ne voulons pas de « réarmement civique » et encore moins « réarmer l’école »  comme nous l’avons entendu dans la bouche du premier ministre et du président de la République. Nous souhaitons des espaces apaisés de réflexion et d’apprentissage qui développent l’esprit critique et la créativité de nos enfants pour en faire des citoyen-nes éclairé-es.

Illustration 1

Nous ne voulons pas des petites phrases chocs qui n’ont pour but que de basses manœuvres électoralistes, l’école est trop importante pour cela. Nous voulons des lieux de concertation qui associent enseignants, pédagogues, enfants, parents et non parents pour refonder l’école de la République.

Nous ne voulons pas d’une éducation fondée sur la compétition, nous voulons une éducation qui apprend le respect mutuel dans des modes d’apprentissages coopératifs, des espaces de travail qui valorisent la construction de la pensée critique et de la confiance en soi, plus que des résultats construits sur les attentes sociales d’une élite politique et financière. 

Nous ne voulons pas d’une institution fermée qui contrôle et rend suspecte toute parole de la communauté enseignante, nous voulons valoriser le métier d’enseignant, nous voulons une institution qui écoute et prend en compte les savoirs expérientiels de ses professionnel-les. Nous voulons aussi une institution qui se redonne les moyens d’une communauté éducative de qualité au sens large, englobant l’ensemble des personnels de l’éducation : AESH, infirmière et médecine scolaire, animatrices et animateurs du périscolaire, personnel de cantine, et enseignant-es bien sûr.

Nous ne voulons pas d’une inclusion qui sous-tend d’office que des enfants seraient hors de l’école, nous voulons une école qui soit accessible à tous les enfants en situation de handicap et des moyens à hauteur des besoins, que ce soit par exemple via la formation des enseignant-es et la reconnaissance enfin du métier essentiel qu’occupent les AESH dans cet objectif.

Nous ne voulons pas d’un uniforme pour masquer les inégalités, nous voulons une école qui travaille à ne pas reproduire les inégalités dans ses propres pratiques et à se transformer pour remonter de sa place de dernière du peloton des pays européens en la matière.

Nous ne voulons pas de cette éducation de l’Etat hors de l’école qu’est le SNU et dont l’objectif est de mettre au garde à vous nos enfants et leur apprendre à lutter contre un ennemi, qu’il soit imaginaire ou désigné, au travers une idéologie viriliste et nationaliste. Nous voulons que l’école soit un espace d’expérimentation de la démocratie, de l’égalité, de la justice sociale et de l’écologie.

Nous ne voulons pas d’une laïcité qui exclut, stigmatise et punit. Nous voulons une laïcité qui embrasse et respecte les différences, une laïcité garante d’un accueil inconditionnel de tous les élèves et qui fonctionne comme un garde-fou contre le racisme.

Nous ne voulons pas de politique éducative autoritaire, nous voulons des politiques qui respectent les engagements de la France en matière de respect des droits des enfants, notamment le droit à l’éducation, le droit aussi pour tout enfant d’être entendu et le droit à la non-discrimination. « Les enfants font un travail sérieux parce que les enfants sont des gens sérieux, qui vivent leur vie sérieusement » nous rappelait dernièrement le juge des enfants Edouard Durand dans le cadre du rapport de la CIIVISE (4). Nous voulons une politique éducative qui les traite comme des sujets de droits et sache les écouter.

Nous ne voulons pas quitter l’école publique ni la briser comme vous semblez vous y atteler. Au contraire, nous voulons la soigner pour mieux l’habiter pour ce qu’elle est parfois, malgré tout et ne vous en déplaise monsieur le Premier Ministre, et ce qu’elle devrait être toujours : un lieu d’expérimentation et d’apprentissage, un lieu de travail et de réflexion partagée autour de ce qui fait commun au sein de notre société et la richesse de nos différences, un lieu de vie ouvert sur la cité, un lieu d’utopie pour mieux préparer demain !

« Le devoir des pédagogues n’est point de plaire aux puissants du jour, notre tâche est autre, on nous l’a toujours affirmé : elle est de former des citoyens conscients. Eh bien : nous prenons simplement nôtre rôle au sérieux ! » Célestin Freinet (1933).

1 - Laurence De Cock : https://www.nouvelobs.com/opinions/20240119.OBS83468/tribune-l-uniforme-est-il-forcement-de-droite-par-laurence-de-cock.html   

2 -  https://www.mediapart.fr/journal/france/271123/service-national-universel-un-encadrant-suspecte-de-harcelement-sexuel-sur-une-jeune-de-16-ans 

3 -  En appelant Pap Ndiaye pour lui annoncer son départ, Élisabeth Borne lui a dit : « Il nous faut un cogneur à ta place. » Source : https://www.mediapart.fr/journal/france/010324/francois-braun-la-temporalite-du-monde-politique-n-est-pas-celle-de-la-sante

4 -  Synthèse du rapport de la CIIVISE, (Comission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants, annoncée par le président de la République Emmanuel Macron en 2021 et présidée par le juge Edouard Durand jusqu’en 2023) : https://www.ciivise.fr/wp-content/uploads/2023/11/Synthese-VF.pdf 

Pour signer la tribune : https://docs.google.com/forms/d/e/1FAIpQLSetP4w6hYXC5jPe4E5bwvCtDvW479dkVdjdRxn_k4u4zyjdkw/viewform?usp=pp_url 

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