Depuis un peu plus d’un an à EELV, avec d’autres, je travaille autour de trois postulats simple : l’antisémitisme est toujours là, ni EELV ni personne à gauche ne propose de politiques publiques pour y faire face et les juives et juifs de France se sont massivement détournés de la gauche depuis une (plusieurs ?) décennie.
Depuis plusieurs années assez régulièrement la gauche, ou une partie, se fait accuser par diverses organisations, camps politiques ou intellectuels d’antisémitisme ou de complaisance avec l’antisémitisme. La réponse quasi unanime, comme celle de Manuel Bompard aujourd’hui, à la suite de celles des députés insoumis à l’Assemblée nationale après les accusations de Meyer Habib, plus ou moins reprises par Éric Dupont-Moretti et Élisabeth Borne, est de nier en bloc. La gauche, parce qu’elle est de gauche, ne saurait être antisémite.
C’est un élément de langage assez vieux que l’on a souvent entendu à la France Insoumise mais aussi ailleurs : comment pourrait on être islamophobe, coupable de violence sexiste ou sexuelle… alors qu’on est de gauche, qu’on a fait les tweets qu’il faut pour la journée mondiale voir qu’on a signé une tribune contre dans Politis ou Mediapart ? Il ne s’appuie pas que sur du vide : oui le « camp progressiste » est celui qui a soutenu Dreyfus et s’est très souvent illustré par ses combats contre les racismes.
Il n’est cependant aujourd’hui plus possible de se reposer sur des lauriers fanés depuis 1 siècle. Il est devenu urgent pour toutes celles et ceux qui sont sincèrement antiracistes et donc anti-antisémitismes de se battre pour réarmer les gauches, de ses tendances les plus libérales aux plus révolutionnaires, et les écologistes sur cet enjeu. Je veux ainsi profiter de ce petit texte pour poser aux insoumis-es (mais socialistes, communistes et écologistes peuvent aussi évidemment participer !) quelques questions :
1° Alors qu’une étude (CNCDH, 2022) montre qu’environ 40% des français (y compris à gauche) partagent un « score élevé » d’antisémitisme, pouvez-vous, sincèrement, affirmer, comme Manuel Bompard, qu’ « aucun militant insoumis n’a jamais tenu de propos antisémites » ?
2° Alors qu’une étude (AJC Paris – Fondapol, 2022) montre que plus de 20% des juifs de France ont été victime d’agression physique antisémite (plus de 75% si on inclue les agressions verbales) et que votre organisation affirme « avoir toujours lutté contre l’antisémitisme », pouvez-vous citer (y compris après relecture complète) une ou plusieurs propositions issues de votre programme permettant de lutter contre ce fléau ?
Si vous êtes sincères et honnêtes, vous avez répondu « non » aux 2 questions, sans doute après avoir bien fouillé en ce qui concerne la 2e (oui pour la NUPES la lutte contre l’antisémitisme n’arrive pas dans les 650 priorités !). Il est maintenant temps d’arriver à la 3e question :
3° Alors que votre organisation ne porte aucune proposition en matière de lutte contre l’antisémitisme et qu’elle refuse de voir qu’elle met le sujet sous le tapis, votre parti / mouvement lutte t’il vraiment sincèrement contre l’antisémitisme ? Est-il donc vraiment exempt de tout reproche ?
Là encore, vous avez répondu « non ». Il est temps maintenant de voir la réalité en face :
a/ Votre organisation compte des membres antisémites et une majorité de ses membres ne considère pas qu’il faille en faire un sujet
b/ Votre organisation n’est absolument pas à la hauteur de l’enjeu
c/ Quelque soit les instrumentalisations par les droites parlementaires, intellectuelles…, à minima votre organisation laisse prospérer l’antisémitisme
Ce constat est lourd. Il est fait mal. Il est pourtant nécessaire pour chaque organisation de gauche ou écologiste de réaliser ses propres errements avant de fanfaronner sur les réseaux ou de s’agiter à l’Assemblée.
Une fois ce constat fait, il devient urgent d’agir. C’est pour cette raison que, malgré l’apathie des représentant-e-s du PS, PCF et LFI, nous, écologistes, avions lancé une charte « NUPES contre l’Antisémitisme ». Premier étage d’un réarmement idéologique sur cette question, elle se voulait aussi une aide aux candidat-e-s sincères confronté-e-s aux interpellations, parfois houleuses, des institutions juives. En 10 points elle proposait des réponses programmatiques à différents enjeux, mémoire de la Shoah, harcèlement antisémite à l’école, prolifération du complotisme antisémite sur internet…
Quelques écologistes, aussi vaillant-e-s soit elles/ils, ne pourront cependant pas relever les gauches. Aux insoumis-es, communistes, socialistes*… et notamment à leurs cadres, parlementaires, élu-e-s, de se rendre compte des erreurs du passé et du présent pour qu’à l’avenir nous puissions, enfin !, redevenir le camp politique à l’avant-garde de la lutte contre TOUT les racismes !
Alors, enfin, nous pourrons répondre honnêtement à Elisabeth Borne, Éric Dupont-Moretti ou Meyer Habib qu’ils instrumentalisent, diffament, insultent. Aujourd’hui, ils ne font que, certes par calcul et certes avec outrance, mettre le doigt sur notre démission collective.
Nathan Guedj
Militant à EELV et notamment membre du Comité d'Animation du Groupe de Travail "Lutte contre l'Antisémitisme"
* Ce billet ne serait pas sincère s'il ne mentionnait pas l'existence d'un travail ancien du Parti Socialiste sur cette question, malheureusement jusqu'à peu trop souvent sur la ligne "Manuel Valls". Le programme d'Anne Hidalgo apportait ainsi des réponses concrètes et des parlementaires comme Jérôme Guedj tiennent une ligne tout à fait intéressante sur ce sujet à l'Assemblée nationale. Il faut aussi mentionner les liens que nous entretenons avec plusieurs cadres PCF et LFI, notamment Christian Piquet chez les communistes, où il porte une voix singulière et nécessaire.
PS : Plus une organisation, comme la France Insoumise et ses représentant-e-s s'enfermera dans un déni délétère de réalité, plus elle refusera de faire amende honorable sur certains propos ou certaines actions de ses représentant-e-s, plus, alors, il deviendra, alors, nécessaire de se questionner sur ses véritables orientations idéologiques en matière de lutte contre l'antisémitisme. Aux insoumis-es de montrer, par la preuve et l'action plutôt que par la parole, que les craintes de nombreuses et nombreux juives et juifs de gauche sont infondées.