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Billet de blog 16 août 2024

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Construire des ponts

Depuis un siècle, la mémoire et la conscience politique des juifs et des musulmans d'Algérie et d'Afrique du nord, et de leurs descendants en France, se sont considérablement éloignés. C'est une mission de la gauche et des antiracistes de les rapprocher.

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Ce texte fait suite à une polémique sur twitter autour de la question de la mémoire de la Shoah et d'à quel point (ou pas) elle concerne les peuples colonisés d'Afrique du nord et d'ailleurs.

Certaines de mes positions, résumées en bien trop peu de caractères, ont été instrumentalisé par certain(ne)s pour taper de l'écolo ou du juif, ce n'est pas pour eux que j'écris ce texte. D'autres ont mal compris, sans doute parce que j'étais mal exprimé. C'est pour ces personnes de bonnes volontés, qui ne seront peut être d'ailleurs pas forcément d'accord avec l'analyse et les perspectives qui suivent, que j'écris ce texte.

Toute perspective antiraciste en France se heurte à un problème fondamental : le racisme n'est pas l'apanage et l'exclusivité des blancs. Il existe des juifs, des musulmans, des asiatiques, des rroms, des noirs racistes envers telle ou telle communauté. De ces racismes intra-communautaires, qui n'ont pas les mêmes conséquences que ceux banalisés voir institutionnalisés (violences policières...), j'en retiens, ici, deux : l'islamophobie débridée dont j'ai été le témoin chez de nombreux juifs et l'antisémitisme tout aussi débridé dont j'ai été le témoin ou la victime chez de nombreux musulmans. Je crois que tout antiraciste de bonne foi ne pourra nier ces deux phénomènes, dont l'ampleur reste encore largement à étudier, et qu'il ne faut pas séparer (comme le faisait Valls pour taper sur les musulmans) car ils fonctionnent, je crois, en tandem.

Ces deux racismes intra-communautaires sont évidemment liés au conflit israélo-palestinien. Ça serait trop facile d'éluder la question. Mais ils sont plus anciens et d'autant plus étonnant que juifs séfarades et arabes musulmans partagent une Histoire commune celle de la colonisation et de la ségrégation en Afrique du nord, des brimades, violences et discriminations coloniales même après, pour les juifs, avoir obtenu la citoyenneté. Cette Histoire commune est même plus ancienne que la colonisation puisqu'ils vivaient ensemble, non sans heurts ou tensions, en Espagne et dans l'ensemble du monde arabe de l'époque. Et pourtant tout est fait pour casser cette Histoire et cette mémoire commune, qui en réalité n'existe plus depuis au moins 50 ans. À force de murs construits par la France, par les nationalistes, qu'ils soient algériens (même si certains précurseurs considéraient les juifs comme partie intégrante de la nation algérienne, ce n'est pas le discours majoritaire du FLN) ou sionistes, par les différentes institutions arabes ou juives en France, en Afrique du nord et en Israël, deux mondes quasiment hermétiques se sont constitués et les quelques efforts pour conserver un lien sont extrêmement minoritaires.

Il me semble que la perspective émancipatrice, antiraciste et internationaliste de voir retissée des liens entre ces deux mémoires est immense. Il me semble tout à fait vain de vouloir avancer sur les relations entre juifs et arabes en France sans avancer, en effet, sur les mémoires et les Histoires. Cela passe par des reconnaissances mutuelles :

  • La 2nde guerre mondiale concerne intimement l'ensemble des peuples colonisés, qui ont contribué (très majoritairement) sans le vouloir à l'effort de guerre des uns ou des autres (ou des deux), y compris en envoyant des soldats. C'est notamment et particulièrement le cas des peuples colonisés par la France.
  • La Shoah, en particulier, est évidemment une Histoire avant tout européenne mais elle ne peut s'y restreindre. C'est aussi l'Histoire de l'Afrique du nord, du Moyen-Orient qui accueilli des réfugiés juifs, de l'Amérique latine dont les dictatures accueillir des nazis après que les démocraties aient accueilli des réfugiés juifs... C'est, en particulier, l'Histoire de l'Algérie parce que des camps y ont été installés par la puissance coloniale inféodée à Vichy, parce que face aux lois antisémites des groupes de résistants juifs s'y sont constitués et qu'ils ont "libéré" Alger de cette puissance vichyste (avant de donner la ville à De Gaulle, qui préféra s'appuyer sur cette administration coloniale ex-vichyste et mis donc les résistants juifs en prison). Les musulmans d'Algérie ont été les témoins de cette Histoire là, certains comme Messali Hadj ont notamment protesté contre le retour des discriminations d'état antisémites et globalement ils ont refusé de se faire séduire par l'antisémitisme vichysto-nazi. Et il faut l'affirmer, dans une première tentative de construire ces ponts entre les deux mémoires, des indigènes algériens arabes et berbères, parce que juifs, ont été envoyé et tué dans ces camps : une partie du peuple algérien a été victime directe de la Shoah.
  • De la même façon, les violences, discriminations, spoliations coloniales, le racisme généralisé, font partie, évidemment, de la mémoire et de l'Histoire des musulmans d'Algérie, dont ils furent les premières victimes, mais aussi des juifs d'Algérie. Les colons, les pieds-noirs, la France, y compris après le décret Crémieux, ont très bien réussi à articuler islamophobie, antisémitisme et colonialisme. Le prétendu philosémitisme d'État est un mensonge fabriqué de toute part et les juifs séfarades font partie des victimes de la colonisation et des "damnés de la Terre". Ils font aussi partie de ceux qui ont résisté ouvertement (il y en a quelques uns) ou tout simplement par des micro-résistances quotidiennes à ce colonialisme.

Évidemment, ce travail heurte celles et ceux qui ont tout intérêt à séparer juifs et arabes ou à refuser par idéologie islamophobe ou antisémite toute perspective de vivre-ensemble ou de lutte commune (que ce soit l'extrême-droite française et des gens comme Alain Soral ou Houria Bouteldja, un certain nombre d'états arabes en particulier en ce moment la Tunisie, Israël...). À l'heure de la transformation du sionisme "officiel" en une sorte de suprémacisme juif par le gouvernement israélien, il entre notamment en conflit direct avec l'idée que les juifs israéliens n'auraient rien à voir avec les palestiniens, les libanais, les égyptiens et tout les autres arabes/musulmans, alors qu'en réalité il y a une expérience commune de la colonisation (pour les séfarades), des discriminations, des massacres, des spoliations, des politiques racistes, de la ségrégation (pour les ashkénazes). Il y a aussi une expérience commune de la résistance face au fascisme, au génocide et à la colonisation.

Il y a évidemment des particularismes aux Histoires juives et musulmanes, à l'antisémitisme et à l'islamophobie. Tout ne se vaut pas ou ne se compare pas. Il y a aussi de nombreux ponts à construire, de nombreuses Histoires morcelées à réparer, de nombreux discours résolument progressistes et antiracistes à tenir sur des pans entiers de l'Histoire européenne et nord-africaine.

Tout ceci constitue une tâche immense, ce court texte ne constitue d'ailleurs qu'un tout petit grain de sable et une réflexion encore en construction et sans doute largement améliorable. Il faut pourtant notamment pour la gauche française, dans ce pays encore miné par les soubresauts du colonialisme et en particulier de la guerre d'Algérie, s'y atteler.

PS : Ce texte part surtout de la mémoire de l'Algérie parce que c'est celle que je connais le mieux, qui me semble la plus centrale dans le contexte français et que les réalités marocaines ou tunisiennes ne me semblent pas tout à fait si éloignées que ça de celle algérienne.

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