Depuis plus d’un mois l'Équateur traverse une révolte intense du peuple qui déclare une grève nationale illimitée. La répression violente du gouvernement; la militarisation du pays; le nombre croissants de personnes tués, blessés ou détenus; mettent en situation d’alerte humanitaire le pays. Cependant, trop peu d’informations à ce sujet circulent dans les réseaux internationaux. Cet isolement nécessite d’être rapidement remédié par la solidarité internationale en vue du nombre croissant de dégâts irréversibles causés par le gouvernement en termes de droits humains.
Le conflit actuel est complexe et nécessite d’être étudié avec précaution. L’article rédigé par la journaliste argentine Camila Parodi permet de situer certains points structurels de ce contexte: https://latfem.org/ecuador-cinco-claves-para-entender-el-paro-nacional/
Au-delà de l’historique des événements nous sommes face à une violence monstrueuse qui ne peut rester impuni et qui doit être connue car se qui blesse si on ne le nomme pas il se reproduit.
Voici une captation vidéo de Efraín Fuerez la première personne tuée lors de cette grève qui vous permettra de mesurer l’ampleur des actes de répression exercés par les forces de l’ordre:
Je me permets de vous partager l’article rédigé par Samay Cañamar, membre de la communauté kichwa d'Imbabura, en Équateur. Écrivaine, chercheuse et chroniqueuse bilingue.
Cet article témoigne du racisme d’Etat qu’exerce le gouvernement de Daniel Noboa et du racine colonial historique.
La grève qui ne courbe pas l’échine (El paro que no se rinde)
Agrandissement : Illustration 2
Depuis le territoire de Imbabura, les communautés indigènes maintiennent une grève nationale illimitée contre le décret qui supprime la subvention du diesel. Malgré la répression qui a causé des morts, des blessés et des dizaines de détenus, les collectifs des communautés poursuivent la résistance, dénonçant le racisme structurel et la criminalisation du droit de manifester en Equateur.
Par Samay Cañamar
23 octobre 2025 - Imbabura, Équateur.
Les communautés Kichwa d'Imbabura en Équateur continuent (nous continuons) à résister à l'abrogation du décret 126 qui supprime la subvention au diesel. Depuis le 22 septembre, les peuples et nationalités autochtones nous sommes en grève nationale illimitée faisant valoir notre droit à la manifestation sociale et pacifique. La réponse du gouvernement de Daniel Noboa est celle de la répression et de la criminalisation qui ont conduit à la mort de trois membres de citoyens, à des dizaines de blessés graves, à l’arrestation de 12 personnes pour terrorisme présumé, en plus de centaines d’arrestations arbitraires résultant d’une politique d’intimidation.
À ce jour, Imbabura est surveillée par des hélicoptères des forces armées. Malgré le deuil et la douleur causés par la répression, les bases communautaires du peuple poursuivent leur dialogue et leur résistance. Malgré que l'appel au rassemblement national lancé par la Confédération des nationalités indigènes de l'Équateur (CONAIE) a été faible, plusieurs communautés des hauts plateaux andins et amazoniens de l'Équateur se sont manifestés pour défendre une vie digne, comme les peuples amazoniens de Sucumbíos et d'Orellana ; les peuples Waranka, Kañari, Saraguro, Kitu Kara, Kayambi, Otavalo, Cotacachi, Imantag, Natabuela et Karanki ; et le peuple afro-andin des hautes terres. L'épicentre est resté dans les cantons d'Otavalo et de Cotacachi.
Dans ce contexte, le mardi 14 octobre, la ville d'Otavalo a été bombardée par des soldats et des policiers après que le gouvernement de Daniel Noboa eut annoncé l'arrivée d'un convoi humanitaire comme prétexte. Dès le matin du 14, la répression des manifestants a commencé. Les communautés kichwa ont subi des abus de pouvoir et une violence excessive de la part des forces de l’ordre, et ont été grièvement blessées par des tirs de gaz lacrymogène, de balles en caoutchouc et de balles de fusil. Selon plusieurs témoignages des brigades de santé, dans chaque tirs une personne a été blessée.
Chacune des brigades sanitaires bénévoles présentes a soigné et redirigé environ 20 à 60 personnes de la communauté Kichwa vers des centres de santé pour des blessures par balles à plomb, des brûlures, des blessures mortelles, des lacérations, des fractures musculaires et apparentes, des blessures aux yeux et à la tête, et des blessures par balle, sans compter les personnes souffrant d'asphyxie et de traumatismes causés par les gaz lacrymogènes. Dans plusieurs centres de santé, la police a pris d'assaut les locaux, entravant l'accès aux soins médicaux d'urgence et arrêtant les victimes. De ce fait, les victimes ont été transférées vers des centres de santé situés hors de la ville. On rapporte également que plus de 30 personnes de la communauté Kichwa auraient été arbitrairement détenues, notamment en pénétrant dans leurs domiciles pour les arrêter. Ce qui s'est passé le 14 octobre est un massacre, une criminalisation de la protestation, une atteinte à l'humanité, une répression dirigée contre les peuples indigènes, perpétrée sur ordre du gouvernement colonial bourgeois blanc et raciste de Noboa.
Au cours de ce mois de grève nationale, il n'y a malheureusement pas eu de direction nationale claire de la part de la CONAIE. À Imbabura, se sont les collectifs communautaires et organisationnels du peuple Kichwa qui ont été en première ligne. Une fois de plus, nous sommes les Kichwas qui mettons nos corps en jeu. Ces collectifs des communautés d'Imbabura sont composés de personnes racialisées : hommes kichwas, maçons, journaliers, agriculteurs, artisans, jeunes. On y trouve également des agricultrices, des aides-soignantes, des artisans et des familles qui travaillent au quotidien pour nourrir leurs foyers. Nos corps ont été criminalisés, et ce sont ceux qui ont eu le moins de chances d'accéder à leurs droits.
Les noms d’Efraín Fuerez, de José Guamán, de Rosa Paqui qui sont morts sous la répression d'un État meurtrier, sont des corps historiquement bafoués par les structures de pouvoir, les plaçant au bas de l'échelle sociale. Il est tellement injuste que ces mêmes corps doivent élever la voix pour enseigner au reste de la population la pédagogie de la lutte pour une vie digne. Ceux qui mettent leur corps en jeu ne sont pas seulement des maçons, des artisans, des ouvriers, des étudiants ; ce sont les corps les plus vulnérables, mais porteurs de grandes leçons de lutte. Par conséquent, il ne suffit pas de dire qu'ils sont des corps kichwas, des corps racialisés, mais plutôt des corps traversés par l’histoire de pauvreté, de précarité en matière d'éducation, de santé, de logement, d'alimentation et d'emploi.
Est-il juste que seuls ces corps soient en première ligne, en deuxième et troisième lignes ? Pourquoi normaliser uniquement la résistance des communautés rurales kichwas ? Cela fait un mois que le gouvernement a entamé des négociations sans s'engager clairement à respecter ses accords. Alors que le peuple pleure nos morts, que les familles manquent de nourriture et s'endettent pour la santé des blessés de la répression gouvernementale, les familles sont abandonnées à leur sort dans une immense souffrance; et les villes crachent leur racisme pur sur nos corps meurtris.
Il est important que depuis les bases communautaires et les dirigeants, nous puissions travailler sur notre tissu social et renforcer le sens du ayllu (Sens solidaire de faire communauté). Travailler en interne. Les professionnels kichwas, les jeunes, les étudiants, les artistes et les personnes de conscience, nous devons nous unir pour continuer à alimenter la flamme de la lutte que nos leaders sociaux nous ont inculquée. Et aussi ce que nos grands-parents nous ont appris sur le respect du grain de maïs, de la terre et de la vie, la résistance avec nos savoirs et nos identités, pour faire face au néolibéralisme qui nous accapare.
Ne nous habituons pas à écouter« la grève des indigènes » en romançant ou en envoyant des messages essentialistes sur la lutte des peuples, nous devons mettre nos corps en jeu, être des acteurs, des transformateurs, nous avons besoins que le racisme soit dénoncé, que l'ethnocide néolibéral soit dénoncé. Que nos camarades détenus soient libérés. Que cesse la répression. Qu’on répondent aux blessés. Qu’on réparent la violations de nos droits et qu’on nous permette une vie digne.
*Membre de la communauté kichwa d'Imbabura, en Équateur. Écrivaine, chercheuse et chroniqueuse bilingue. Elle écrit dans une perspective de genre, interculturelle et plurinationale.