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Les femmes dans l’histoire : absentes ou invisibilisées ?
Ce n’est pas leur absence qui marque l’histoire, mais bien l’effacement systématique de leur présence. Que ce soit dans les luttes anticoloniales, les mouvements syndicaux, les foyers ou les soins, les femmes ont toujours été là. Pourtant, leurs actions sont souvent restées en marge des récits officiels.
Refuser de reconnaître cette contribution, c’est participer à une forme de violence symbolique. Comme le rappelle la sociologue Pierre Bourdieu, cette violence douce, invisible, contribue à maintenir les inégalités en les rendant « naturelles ».
Une violence toujours actuelle
Selon l'ONU, 70 % des services de soins dans le monde sont assurés par des femmes, sous-payées et sous-représentées dans les postes décisionnels. Une femme sur trois est victime de violences physiques, sexuelles ou psychologiques, souvent au sein de la sphère familiale.
Le droit de vote ou le droit de propriété des femmes ont souvent été reconnus tardivement, seulement à la fin du XXᵉ siècle, et restent encore à conquérir dans certains pays.
Dans de nombreux pays, les droits fondamentaux comme l’éducation, la liberté vestimentaire ou la parole publique restent limités pour des millions de femmes.
Chaque jour les femmes affrontent les discriminations et les stéréotypes de genre.
Quand une femme proteste contre les inégalités salariales, elle résiste et contribue à l'évolution sociale.
Cette violence qu'elle subit n’est pas du passé ; elle est toujours là, inscrite dans les lois, les coutumes, les regards.
Figures de résistance : de Rosa Parks à Roya Heshmati
La résistance féminine prend de nombreuses formes.
Quand aux États-Unis, Rosa Parks refuse de céder sa place dans un bus en 1955, elle déclenche une vague de contestation contre la ségrégation raciale.
Quand en France, Simone de Beauvoir, philosophe et militante qui a profondément influencé la pensée féministe, théorise le Deuxième Sexe, elle libère une génération de femmes en leur donnant les mots pour penser leur oppression.
Quand au Pakistan, Malala Yousafzai, militante pour le droit à l'éducation des filles, défie les talibans pour aller à l’école malgré les menaces, elle inspire des millions de filles.
Quand au Kenya, Wangari Maathai, fondatrice du mouvement de la Ceinture Verte, défenseuse de l'environnement, lie écologie et droits des femmes, elle obtient le prix Nobel de la paix.
Et quand en Iran, Narges Mohammadi, prix Nobel 2023, activiste et militante des droits humains, continue à dénoncer la répression malgré l’emprisonnement et la torture, elle devient le symbole d’une lutte sans compromis.
En Iran, depuis des années, les femmes résistent aux structures patriarcales et au régime islamique, affrontant quotidiennement menaces et violences. Parmi les figures emblématiques de cette résistance, Roya Heshmati, étudiante et activiste des droits des femmes arrêtée en 2022, incarne une génération qui refuse le silence et se bat pour qu'un jour chaque fille puisse marcher librement, sans contrainte de port du voile. À travers sa voix, c’est toute une jeunesse qui réclame le droit de vivre librement, d’aimer sans peur, de parler sans trembler.
Je te porterai, tant que je vis, pour que tu résistes. Tu ne t'éteindras pas derrière ces murs...
Elle le tenait, les mains collées à son utérus. Elle résistait aux médicaments abortifs. Depuis son enfance, elle se battait pour rester en vie, avec la voix d’une mère torturée qui enseignait la résistance et la vie, elle grandissait dans l’art d’exister :
"Je te porterai, tant que je vis pour que tu résistes. Tu ne t'éteindras pas derrière ces murs..." Extrait d’une lettre de Pakhshan Azizi depuis la prison d’Evin, après avoir reçu la sentence de mort.
Dans la soirée du vendredi 28 juillet 2023 (6 Mordad 1402), les femmes détenues du quartier des femmes politiques de la prison d’Evin ont brisé le silence imposé par le régime à travers une grève sans précédent. Elles protestaient contre la condamnation à mort de Varisha Moradi et de Pakhshan Azizi, assistante sociale kurde et journaliste emprisonnée à Evin, de Sharifeh Mohammadi, activiste ouvrière indépendante détenue à la prison de Lakan à Rasht.
Ce geste symbolique n’est pas seulement une protestation contre les exécutions politiques, mais aussi la continuité d’une résistance féminine qui a toujours été en première ligne des luttes contre les politiques répressives de la République islamique, surtout depuis l’émergence du mouvement "femme, vie, liberté" qui a ravivé cette lutte.
La révolte des femmes détenues dans le contexte sécuritaire et répressif des prisons politiques est un exemple manifeste de la lutte contre la stratégie de « musellement » que le régime a appliquée pendant des années. La voix de ces femmes, qui résonne des profondeurs des cellules, porte un message clair : l’époque de la tolérance face à la pression et aux menaces sécuritaires est révolue. Ces femmes longtemps reléguées en marge se retrouvent désormais en première ligne pour la liberté et la justice.
Sharifeh Mohammadi, Varisha Moradi et Pakhshan Azizi ne sont pas seulement des représentantes des mouvements ouvriers et des droits humains, mais aussi des symboles de la résistance féminine face à la violence d’État, à la discrimination de genre et à la censure politique. Leurs slogans tels que « Par la sentence de mort, nous resterons debout jusqu’à la fin » et « Les prisonniers politiques doivent être libérés » expriment une volonté collective de changement structurel que le régime islamique a ignoré pendant des années.
La protestation au quartier des femmes d’Evin, qui a duré jusqu’à l’aube, n’est pas uniquement un cri contre les exécutions politiques, mais aussi une dénonciation de la négation des droits humains des femmes et des tentatives d’effacer leur histoire de la mémoire officielle de la société iranienne.
Cet événement doit être compris dans le cadre d’une lutte globale des femmes pour être vues, entendues et avoir droit à la vie, aux droits humains.
Le quartier des femmes d’Evin a toujours été en première ligne de la résistance féminine contre la répression et la discrimination. Ce rôle est devenu encore plus crucial et visible après le mouvement Jina Mahssa Amini dans un lieu où les femmes détenues ne se considèrent pas seulement comme des victimes de l’oppression, mais comme des actrices du mouvement, portant la voix de la résistance féminine iranienne au monde entier.
Le silence contre lequel ces femmes se dressent est celui imposé par le régime. En brisant ce silence, elles posent une question sérieuse à la société et aux politiques : combien de temps encore accepterons-nous cette injustice, et quand la voix des femmes, au lieu d’être supprimée et réprimée, deviendra-t-elle une force décisive pour bâtir l’avenir de l’Iran ?
Changer le récit collectif pour une société égalitaire et respectueuse
L'histoire que nous connaissons est incomplète. Elle doit être réécrite, non pas pour effacer ce qui a été, mais pour inclure ce qui a été délibérément oublié.
Il est temps de finir avec les préjugés et le sexisme envers les femmes, et de respecter leur différence. Personne n’a le droit de juger ou d'humilier une autre personne et toutes les violences envers les femmes constituent une forme de sexisme qu’il faut combattre.
Nous devons tirer des leçons de nos erreurs passées, apprendre, prendre conscience et respecter les droits de tous — femmes, personnes LGBT et minorités — pour construire une société égalitaire et humaine.
Dans ce combat, il est important de se rappeler que la résistance et le progrès des droits des femmes ne sont pas seulement une affaire de femmes. Les hommes et tous les membres de la société doivent jouer un rôle actif et solidaire pour lutter contre les inégalités et remettre en cause les structures patriarcales.
L'égalité ne se décrète pas ; elle se construit en déconstruisant les récits dominants, en revalorisant les voix marginalisées et en s'engageant concrètement par l'éducation, les médias, la politique.
Être femme, c’est résister
Être femme n’est ni un fardeau, ni une menace. Être femme, c’est résister, tenir debout, continuer à exister dans un système qui cherche à faire taire ta voix.
Toute femme a le droit de vivre en sécurité, sans peur, et d’être considérée avec respect et parité, comme tout être humain.
Et si le vrai combat ne résidait pas seulement dans ce que l’on subit, mais dans ce que l’on finit par tolérer ?
Combien de récits manquants faudra-t-il encore pour que l’histoire devienne enfin complète ?
Peut-on vraiment parler d’égalité quand certains corps sont toujours contrôlés, certaines voix toujours censurées, et certaines douleurs toujours niées ?
Et si l’invisibilité n’était pas un oubli, mais une stratégie de domination ?
Quand les murs sont faits de silence, de qui vient la première brèche ?
Et surtout, à quoi ressemblerait notre monde si l’on osait écouter, non pas ce qui est dit, mais ce qui a toujours été tu ?
Car au fond, la vraie question n’est peut-être pas : “Sommes-nous prêtes à résister ?” mais : “Sommes-nous prêtes à exister pleinement, même si cela dérange ?”
Et vous, maintenant, que pensez-vous faire du silence ?