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Billet de blog 26 mars 2025

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Cécile Kohler : Une otage française dans l'enfer du 209 d'Evin

Téhéran, célèbre section 209 de la prison d’Evin – La première fois que je l’ai vue, elle était terrifiée. Deux cellules, deux destins. J’étais enfermée dans la cellule 23, elle dans la cellule 12, d’où elle avait entendu ma voix. Je veux le dédier à #Cécile_Kohler.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cécile Kohler : Une otage française dans l’enfer du 209 d’Evin

Téhéran, célèbre section 209 de la prison d’Evin – La première fois que je l’ai vue, elle était terrifiée.

Elle craignait nos cris de liberté, mais surtout, elle s’inquiétait du sort que les agents pourraient me réserver – moi, une inconnue pour elle.

Deux cellules, deux destins. J’étais enfermée dans la cellule 23, elle dans la cellule 12,

d’où elle avait entendu ma voix.

Cet article n’est pas un témoignage personnel. Je ne veux pas parler de ce que j’ai vécu.

Je veux le dédier à Cécile Kohler.

Une nuit dans la cellule 12

Après plusieurs heures, pieds et mains liés dans la cour du 209, les gardiens ont décidé de me transférer dans une autre cellule.

Cette fois, la cellule 12.

Dès mon entrée, j’ai aperçu une femme extrêmement maigre, recroquevillée dans un coin, tremblante comme un chat sous la pluie.

Je ne l’ai pas reconnue.

Cécile ne ressemblait plus à ses photos

Ni son sourire, ni son apparence !

Amaigrie !

Fragile !

Mais emplie d’espoir.

Elle s’est levée, m’a prise dans ses bras et m’a demandé en anglais :

“Are you okay ?”

J’ai compris sa peur.

Je lui ai dit que j’allais bien.

Mais elle, non.

Elle était pétrifiée.

“Ne me pose aucune question”

Dès notre premier échange, elle s’est penchée vers moi et m’a chuchoté :

“Je t’en supplie, ne me pose aucune question sur mon dossier.”

“J’ai peur.”

“Ils entendent tout.”

“Ils voient tout.”

“Ils savent même ce que je pense.”

“Ne me demande rien. Je ne répondrai pas. Ils comprendront.”

Mais qui étaient “ils” ?

Les agents des services de renseignement iraniens, formés à l’extorsion d’aveux sous la torture psychologique et physique.

Les mêmes qui brisent des vies, qui obligent des innocents à confesser des crimes qu’ils n’ont pas commis, et qui instrumentalisent des étrangers pour négocier avec l’Occident.

Dans un prochain article, je reviendrai en détail sur leurs méthodes.

Un silence chargé de peur

Elle ne parlait à personne.

Elle redoutait tout.

Assise dans un coin sombre de la cellule, elle essayait presque de disparaître.

À ses côtés, un paquet de dattes.

Son voyage en Iran lui avait fait découvrir cette douceur…

Mais à quel prix ?

Parfois, elle tentait de faire du yoga.

D’autres fois, elle fixait le mur, immobile.

Pourquoi ne faisait-elle rien d’autre ?

Parce que rien d’autre n’était possible.

Parce que le 209 est un endroit où l’on vous prive de toute humanité.

Une lueur d’espoir

Le lendemain matin, avant mon transfert à la prison de Gharchak, les gardiens sont venus chercher Cécile.

Ils l’ont emmenée à l’aube.

Dans notre section, toutes les femmes emprisonnées pour avoir scandé “Femme, Vie, Liberté” attendaient son retour.

Nous ne connaissions ni sa langue, ni son histoire. 

Mais nous savions qu’elle était, comme nous, une victime du régime.

Quelques heures plus tard, Cécile est revenue.

Son regard était différent.

Elle s’est précipitée vers moi, m’a serrée dans ses bras et a murmuré :

Tu m’as porté chance.”

Depuis des mois, je n’avais pas pu appeler ma famille en France. Mais ce matin, après ton arrivée, ils m’ont laissée passer un appel.”

Nous l’avons toutes serrée dans nos bras.

Puis, elle s’est repliée dans son coin.

Quelques heures plus tard, on m’a transférée à la prison de Gharchak.

Je n’ai plus entendu sa voix jusqu’à l’été 2023. 

209 Evin : une prison ou un centre de torture ?

Les autorités iraniennes veulent faire croire que le quartier 209 d’Evin est un simple centre de détention.

C’est faux.

C'est un centre de torture et une horrible prison.

Un endroit où vous devez sonner une alarme pour toute demande,

Où vous devez porter un bandeau sur les yeux.

Où vous ne pouvez même pas aller aux toilettes sans permission.

Où vous devez sonner une alarme.

Où vous devez porter un bandeau sur les yeux.

Où vous cessez d’être un être humain.

Des otages à des fins politiques.

L’histoire de Cécile Kohler n’est pas un cas isolé.

Elle fait partie de ces otages diplomatiques que l’Iran utilise comme monnaie d’échange.

Un régime qui ne se contente pas d’opprimer son propre peuple. 

Un régime qui prend en otage des citoyens étrangers pour asseoir son pouvoir.

Un régime qui fait du chantage politique avec des vies humaines.

Cet article est le reflet d'une parcelle d'émotion que j'ai pour mes camarades de prison et d'une forte pensée que j'ai souvent pour Cécile Kohler et son compagnon Jacques Paris.

Pour que personne n’ignore ce qui s’y passe.

Pour que #Cécile-Kohler, et toutes les autres victimes, ne soient pas oubliées.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.