Nazim Mokhtari (avatar)

Nazim Mokhtari

Abonné·e de Mediapart

11 Billets

0 Édition

Billet de blog 2 juillet 2024

Nazim Mokhtari (avatar)

Nazim Mokhtari

Abonné·e de Mediapart

Historique de la banalisation du Front National, partie I

Le Front National, aujourd’hui appelé Rassemblement National, est passé d’un parti marginal, soutenu par les franges les plus racistes du pays et combattu par absolument tous les partis politiques, à un parti désormais en tête des élections législatives du 30 juin et vainqueur des élections européennes. Comment en est-on arrivés là et qui sont les principaux responsables de cette débâcle ?

Nazim Mokhtari (avatar)

Nazim Mokhtari

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pour commencer et pour que les lecteurs comprennent bien ce qu’est le Rassemblement National, il faut revenir à sa fondation.

En 1972, des pontes de l’extrême droite française issus de différentes mouvances décident de créer un parti politique ouvertement fasciste et raciste, pour rassembler l’extrême droite, c’est le parti qu’on connaîtra sous le nom de « Front National ». 

Parmi les fondateurs, il y a :

  • Jean-Marie Le Pen, qu’on ne présente plus, ex-membre d’Ordre Nouveau (un parti d’extrême droite dissous) et ex-tortionnaire pendant la guerre d’Algérie.
  • Pierre Bousquet, ex-Nazi, ex-soldat dans la Waffen-SS et trésorier du parti à sa fondation.
  • Léon Gaultier, également ancien nazi et ancien soldat de la Waffen-SS, condamné en 1946 aux travaux forcés pour indignité nationale.
  • Roger Holeindre, ancien militaire et nostalgique de l’Algérie française, ancien membre de l’OAS, vient compléter ce quator de joyeux lurons. 

Si à ses débuts, le Front National n’a que très peu de poids et est surtout soutenu dans l’imaginaire collectif par des anciens colons et les racistes les plus bêtes et immondes que l’on puisse imaginer, son succès électoral commence à s’élargir dans les années 80 (avec 9 % des voix aux élections législatives de 1986 et 1988), bien aidé par un François Mitterand, qui, stratège, utilise ce parti comme épouvantail pour récupérer des voix.

Stratégie que Macron utilisera 40 ans plus tard dans une toute autre conjoncture économique et sociale et qui s’apparente plus à une stratégie du fait accompli ou du désespoir pour pouvoir s’accrocher à la présidence, c’est selon, qu’à une réelle stratégie politique.

Dans les années 1990, le Front National continue à grappiller des voix mais reste un parti marginalisé.

Le premier coup de massue en 2002

La première incursion intervient le 21 avril 2002, quand à la surprise générale, Jean-Marie Le Pen atteint le second tour de l’élection présidentielle face à Jacques Chirac.

Cette première percée s’explique en partie par une société de plus en plus fracturée, une société « black blanc beur » mise en avant par les politiques pour botter en touche les réels problèmes qu’il y avait en banlieues et qu’ils n’ont jamais réellement réglés.

Violences policières, manque d’infrastructures, discrimination à l’emploi, discrimination au logement.

Tous ces problèmes, vécus par des jeunes issus de l’immigration déjà de deuxième génération et qui sont révoltés déclenchent pas mal d’émeutes à la fin des années 90-début des années 2000.

L’envahissement du terrain lors du match amical France-Algérie en octobre 2001 est symptomatique de cette cassure, c’est un « choc » pour beaucoup de citoyens bercés à la France « black blanc beur » vantée par SOS Racisme et des politiciens opportunistes.

Des jeunes déçus des politiques, qui commencent à s’organiser par eux-mêmes et qui pour pas mal d’entre eux, s’abstiennent de voter, considérant que voter à droite ou à gauche ne changeait au final rien à leur situation. Le premier tour de l’élection présidentielle de 2002 enregistre le plus grand taux d’abstention à l’époque.

Les problèmes de la banlieue et des jeunes issus de l’immigration ne sont plus invisibles et avec des médias déjà complices du pouvoir et dans la surenchère, ces problèmes font peur au français moyen qui allume sa télé.

À ce contexte politique tendu, s’ajoute la fin de 5 ans de cohabition entre Jacques Chirac et le gouvernement Jospin, tous les deux donnés vainqueurs au premier tour et axant leurs campagnes quasiment sur les mêmes thématiques. La gauche au sortir de la cohabition n’étant pas une gauche des plus unies, l’éparpillement des voix ne permettent pas à Jospin d’accéder au second tour, il se retirera d’ailleurs de la vie politique après sa défaite. 

Cette percée électorale d’un parti tout de même encore considéré comme fasciste en 2002 est un électrochoc pour un bon nombre d’habitants français, toutes couches sociales confondues.

Le deuxième tour est sans appel, Chirac remporte les élections présidentielles avec 82 % des voix grâce à un « front républicain ».

L’entrée en scène du très à droite Nicolas Sarkozy 

Mais le gouvernement Chirac d’après 2002, pris au dépourvu par la victoire de Jean-Marie Le Pen au premier tour, se droitise de plus en plus.

On peut rétrospectivement considérer que  les prémisses de la situation que l’on vit aujourd’hui commence quand un certain Nicolas Sarkozy, ancien maire de Neuilly-Sur-Seine et membre de plus en plus influent du RPR, est parachuté ministre de l’intérieur en 2002.

Avec une ligne sécuritaire dure et des déclarations incendiaires « nettoyer au Karcher », « on va vous débarrasser de ces racailles », « La France tu l’aimes ou tu la quittes » une présence policière et des contrôles au faciès accentués, Nicolas Sarkozy ne règle absolument aucun problème et rajoute de l’huile sur un feu déjà très très brûlant.

Ce feu culmine lors des émeutes de 2005, après la mort de Zyed et Bouna le 27 octobre de la même année à Clichy-sous-bois, électrocutés dans une centrale électrique après avoir fui un contrôle de police.

À noter que la police connaissait leurs positions et n’a rien fait pour les sortir de là, sachant qu’ils risquaient de mourir.

La jeunesse des victimes (15 ans pour Bouna Traoré et 17 ans pour Zyed Benna) et l’accumulation de bavures policières depuis des années fait basculer d’abord les banlieues aux alentours dans des émeutes, qui, bientôt, se propagent dans toute la France et sont d’une ampleur inédite.

Le 8 novembre, le gouvernement déclare l’état d’urgence dans toutes les banlieues françaises et prend des mesures d’exception. Avec plus de 2000 arrestations et 3 morts pendant la durée des émeutes, cette épisode reste douloureux pour énormément de gens issus de l’immigration et/ou des banlieues, qui commencent à se résigner et a considérer que leur sort est scellé qu’importe le gouvernement en place.

Avec un Nicolas Sarkozy qui flirte déjà avec les électeurs d’extrême droite, cette période coïncide avec la droitisation de la société française de manière générale et c’est logiquement qu’il remporte l’élection présidentielle de 2007 face à Ségolène Royal.

Les thèmes de prédilection de l'extrême droite sont repris par la droite classique sous le quinquennat de Sarkozy  

Arrivé au pouvoir, Sarkozy continue sur sa ligne politique dure et de « tolérance zéro » et crispe les tensions dans le pays.

Après un mandat marqué en politique intérieure par une hausse du chômage et de l’inflation, une augmentation drastique des effectifs policiers dans les quartiers populaires, le débat sur « l’identité nationale » et en politique extérieure par l’intervention en Libye pour tuer et déloger Kadhafi, Nicolas Sarkozy quitte le pouvoir en 2012, battu par François Hollande, au sommet de sa popularité, bien aidé par le mandat catastrophique de son concurrent.

Sarkozy qui a tout fait pour attirer les électeurs d’extrême droite et qui fut le premier politicien de la « droite classique » à reprendre ouvertement les thèmes de prédilection de l’extrême droite, notamment avec son projet de loi sur « l’identité nationale » et les nombreux propos virulents qu’il a pu avoir envers les français issus de l’immigration et les habitants de banlieue, a mâché le travail de Marine Le Pen.

Cette dernière, a pris la présidence du Front National en 2011 à la place de son père, avec pour stratégie de le dédiaboliser et de le rendre présidentiable et elle réussit une seconde percée historique en 2012 en se plaçant troisième avec 17,9 % des suffrages.

C’est le début de la normalisation de l’entrée du Front National dans le champ médiatique français

Le parti fasciste commence à donner le tempo du débat public et surtout médiatique en France (immigration, fermeture des frontières, port du voile, burkini, interdiction de l’abattage rituel, quartiers considérés comme islamisés, etc).

Pendant le quinquennat de François Hollande, tous les sujets liés à l’islam et aux musulmans commencent petit à petit à phagocyter le débat public.

C’est à cette période que s’opère ce qu’on pourrait appeler « la translation vers la droite » du champ politique. La gauche tend vers le centre-droit, le centre-droit vers la droite dure et la droite dure vers l’extrême droite. Translation qui va continuer à vitesse grand V sur les dix prochaines années. 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.