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Billet de blog 14 février 2022

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Le domino macabre de la guerre contre le terrorisme. Partie III : Libye et Syrie

Dans une chronologie meurtrière débutée en 1979 en Afghanistan, les Etats-Unis et ses alliés occidentaux ont laissé un Moyen-Orient et un monde musulman dans sa globalité chaotiques 40 ans plus tard.

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Retour étapes par étapes sur les interventions des gendarmes du monde, toutes liées entre elles, qui ont par la suite débouchées à la «guerre contre le terrorisme» pour des intérêts purement économiques et stratégiques. Dans cet article, nous nous attarderons aux interventions en Libye et en Syrie qui font suite au printemps arabe en 2011. 

Les prémisses de l'intervention en Libye

En dehors de George W. Bush aux Etats-Unis, la France, autre grand gendarme du monde et exportateur de démocratie, nous sort du chapeau en 2007, un équivalent version française, le dénommé Nicolas Sarkozy. Comme le monde ne doit pas non plus être détruit illico presto, on a au moins eu l'infime chance de ne pas avoir eu les deux gâchettes faciles au pouvoir en même temps trop longtemps de part et d’autre de l’Atlantique.

Sarkozy, issu de la droite dure, ancien ministre de l'intérieur aux déclarations incendiaires notamment sur les jeunes de banlieues et les jeunes issus de l'immigration. Personne n’a oublié son tristement célèbre «nettoyer au karcher» et encore moins Valérie Pécresse qui l’a ressorti récemment pendant sa campagne présidentielle mais sans atteindre le niveau d’infamie de la prestation originale, l’imitation étant souvent moins efficace. Pour en revenir à Sarkozy, cet ancien avocat est en dehors de sa politique intérieure ultra-sécuritaire, un atlantiste convaincu.

Féroce, n'hésitant pas à monter au créneau et sans foi ni loi, sa campagne électorale de 2007 a été financée par Mouammar Kadhafi, le dirigeant libyen, hantise des gouvernements occidentaux mais qui tente depuis le tournant des années 2000 de se refaire une place dans le concert des nations.

4 ans plus tard, en 2011, c'est le début du printemps arabe, entamé en Tunisie, suivie par l'Egypte. Occasion idéale pour Sarkozy de contenter tout le monde occidental en :

- se débarrassant pour son compte de son ancien financier, devenu beaucoup trop gênant

- se débarrassant pour le compte de l'OTAN et donc des Etats-Unis d'un ennemi en vie depuis bien trop longtemps et qui va à l'encontre de leurs intérêts stratégiques et économiques depuis plus de 40 ans.

Dans le sillage donc du printemps arabe, la machine médiatique de l’exportation de démocratie s'enclenche et on ressort le scénario classique qui consiste à dire que les libyens en ont marre de Kadhafi, qu'il est temps de les aider, que c'est le devoir de la France de soutenir les populations souhaitant la démocratie et tout le package du sauveur. On ne va pas revenir point par point sur le script, on l'a déjà tous lu.

Aidé de Bernard Henry-Lévi, scénariste en chef de l’exportation de la démocratie française à travers le monde et faiseur de guerres professionnel, Sarkozy et l’OTAN attaquent donc la Libye de Kadhafi le 19 mars 2011 pour en finir définitivement avec lui le 20 octobre de la même année, l'ex dirigeant libyen tombant dans une embuscade de la "rébellion" suite à un tir de l'OTAN. Les images de son lynchage ont rapidement fait le tour du monde. Les conséquences de la destruction de la Libye sont désastreuses, même pour l'Europe.

Avec la chute de la puissance Libyenne et la guerre civile dans laquelle le couple morbide Sarkozy-BHL l'y a plongé, l’ex-puissance régionale est devenue un cauchemar à ciel ouvert. Esclavage, trafic d'êtres humains, explosion de l'immigration clandestine vers l'Europe, les conséquences sont une fois de plus incontrôlables. Mais qui dit anarchie dit facilités à piller les ressources.

Mais ça ne s'arrête pas là, quitte à profiter du printemps arabe, autant en profiter jusqu'au bout et il y a un autre vieil ennemi qui n'a pas encore subi le courroux des gendarmes mondiaux. Ce vieil ennemi se nomme Bachar Al-Assad, fils de Hafez Al-Assad, cette dynastie règne sur la Syrie depuis les années 70.

Dans la foulée de l'intervention Libyenne, l'OTAN et l'Occident ont immédiatement bifurqué vers la Syrie

Allié entre autre des grands méchants loups russes et iraniens ainsi que farouchement anti-israélien, Bachar Al-Assad jouit d'une certaine popularité dans la région du fait de son soutien à la Palestine mais son despotisme et la brutalité de son gouvernement font des mécontents en Syrie.

Assez de mécontents pour que nos gendarmes préférés puissent trouver l'excuse du "soutien à la rébellion syrienne".

Le hic, c'est que la rébellion syrienne est vaste et qu'outre de réels syriens démocrates voulant la chute du régime de Bachar, elle est aussi composée d'islamistes pur jus, de terroristes en puissance et d'organisations comme Al-Nosra, branche d'Al-Qaïda en Syrie.

Si vous commencez à comprendre le scénario (qui est toujours le même, suivez un peu !), vous vous doutez bien que les gendarmes n'ont pas sélectionné les factions à qui ils allaient apporter de l'aide, l'objectif de la chute de Bachar Al-Assad primant sur tout le reste.

Bien évidemment, la Syrie regorge de pétrole et de ressources naturelles (phosphates, gaz, minerais de manganèse, minerais de chrome) et comme expliqué plus haut, qui dit anarchie dit facilités à piller ou à maintenir/exporter ses activités.

Preuve en est, avec l’entreprise française Lafarge, qui en 2014 est prise la main dans le sac pour avoir ni plus ni moins passé un accord avec Daesh. En échange de millions d’euros versés au groupe terroriste via des intermédiaires, le groupe s’assurait de maintenir son activité en Syrie.

Accusée aussi d’avoir vendu du ciment au groupe terroriste, l’entreprise est mise en examen en 2018 pour «complicité de crimes contre l’humanité», «financement du terrorisme», «violation d’un embargo» et «mise en danger de la vie d’autrui».

Cette affaire, qui a évidemment fait grand bruit, n’est pas le fruit d’une politique d’entreprise isolée, l’enquête ayant prouvé que l’état français était totalement au courant des agissements de Lafarge.

Ce n’est que la cruelle réalité des tenants et aboutissants de ces guerres économiques déguisées en «guerre démocratique», oxymore tellement grossier qu’il devrait à lui seul nous faire comprendre la mascarade.

Revenons donc à l’État Islamique, abrégé "Daesh". Souvenez vous, pendant la guerre d'Irak, des centaines de prisonniers, qui souffraient le martyr sous le règne de Saddam Hussein le dictateur, ont soit été libérés ou ont soit profité du chaos pour s'évader. Dans ce beau tas de joyeux lurons, un certain Aboubakr Al-Baghdadi.

Comme il y a souvent des coïncidences dans la vie, le hasard a fait qu’Al-Baghdadi, libéré de prison en 2004, est devenu l’émir de Daesh.

Et ce que veut Daesh, mis à part absolument tout interdire exceptée la barbarie au nom d’un islam qu’ils ont appris sur une autre planète, c'est la destruction et de Bachar Al-Assad et de l'Occident.

Dans le même temps, en Europe, le ver du terrorisme islamiste étant déjà dans le fruit depuis des années, des combattants venus de toute l’Europe s’envolent pour aller rejoindre Daesh.

Le syndrome de Frankenstein

Ayant soutenu des mouvements se revendiquant du terrorisme islamiste pour déstabiliser des états qui ne s'alignaient pas à leurs intérêts et notamment pour combattre l'URSS dans les années 80, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France et les autres états occidentaux qui ont suivi aveuglement l'Oncle Sam se réveillent des années plus tard dépassés par un monstre qu'ils ne peuvent plus contrôler et qui se reproduit à une vitesse spectaculaire partout dans le monde, plus uniquement au Moyen-Orient ou en Afrique comme ils l’espéraient.

C'est la période des attentats en France et en Belgique perpétrés par des belges et des français nés et ayant grandi sur le sol européen. Cette période, avec les tensions qu'elle a impliqué entre les gouvernements français et belges, les premiers reprochant aux seconds d'avoir été trop laxistes, n'était qu'un exemple affichant au grand jour les graves erreurs de l'occident dans leur lutte contre le terrorisme.

Comme les gens ne sont pas aussi débiles que les gouvernants le pense, il est évident que certaines personnes ne comprennent pas comment on peut dans le même temps combattre Daesh et soutenir des factions terroristes qui combattent Bachar Al-Assad dont Daesh? Oui, vous avez mal à la tête. C'est normal, prenez un Dafalgan, c'est bientôt fini.

A partir d'août 2014, la coalition internationale décide donc de combattre dans le même temps Daesh et Bachar Al-Assad. La guerre s'éternise, le gouvernement syrien est plus solide que prévu, notamment grâce aux soutiens de la Russie, de l'Iran et du Hezbollah et les atrocités commises pendant cette guerre sont légions.

Ne trouvant pas d'issue favorable, ayant à peu près vaincu Daesh et achevé la destruction de la Syrie, l'Occident décide de quitter le bourbier qu'ils ont crée de toute pièce en 2020.

Laissant une Syrie complètement détruite et frappée de plein fouet par une flambée de l'islamisme radical et d'attentats partout en Europe, le bilan de l'intervention occidentale en Syrie est catastrophique, tout comme en Afghanistan, tout comme en Libye, tout comme en Irak. La « guerre contre le terrorisme » amorcée en 2001 suite au 11 septembre n’a fait qu’empirer les choses en 20 ans.

L’impérialisme occidental et le terrorisme islamiste se nourrissant mutuellement pour devenir tous les deux de plus en plus en monstrueux, il est évident que la stratégie occidentale depuis des décennies n’est pas la plus adéquate pour stopper l’engrenage de violence dans lequel le monde est plongé.

Le domino s'arrêtera-t-il pour autant? Ma foi en l'humanité espère que oui, mon pragmatisme est sûr que non. Les récents événements au Yémen complétant encore un peu plus ce domino macabre de gouvernements prêts à absolument tout pour maintenir ou élargir leurs intérêts.

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