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Billet de blog 15 avril 2024

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Les pays arabes et Israël, à la croisée des chemins diplomatiques

Les pays arabes et plus globalement les pays du Sud sont à la croisée des chemins dans leur diplomatie depuis que Gaza est assiégé et que l’armée israélienne multiplie les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Depuis les accords d’Abraham fin 2020 et une Égypte depuis longtemps réconciliée avec Israël, les pays arabes sont plus désunis que jamais.

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Si de base, l’opinion publique des signataires des accords était tiède mais pas franchement ravie, celle-ci est depuis la « réplique israélienne » ouvertement contre la normalisation, c’est notamment le cas au Maroc où les manifestations en faveur de la Palestine et contre la normalisation continuent à avoir lieu dans la plupart des grandes villes, où le record a eu lieu à Rabat, le 11 février, avec un rassemblement de plus de 10 000 personnes pour dénoncer le génocide à Gaza et demander la fin de la normalisation.

Les accords d’Abraham sont de moins en moins acceptés par les populations arabos-musulmanes  

Pour rappel, les accords d’Abraham sont des accords de normalisation diplomatique signés le long de l’année 2020 entre Israël et respectivement les Émirats arabes unis puis le Bahreïn, rejoints ensuite par le Soudan et le Maroc, à l’initiative des États-Unis et de Donald Trump. 
Ces traités de paix se matérialisent concrètement par des accords commerciaux, militaires et logistiques entre les pays concernés. 

Au Bahreïn, des manifestations ont eu lieu pour soutenir les palestiniens et dénoncer la normalisation du gouvernement, surtout dans la capitale Manama. Notamment en décembre où a eu lieu une manifestation devant l’ambassade israélienne. 

Les émirats Arabes Unis, terre d’expatriés, vit le problème autrement, sa population locale étant peu nombreuse et les manifestations souvent durement réprimées. Mais son rôle dans la région est mal vu par la plupart des autres pays arabes, de par son financement de toutes les guerres récentes dans la région, main dans la main avec l’occident, que ce soit en Syrie, en Libye ou au Yémen.

Les gouvernements marocains et émiratis se murent dans le silence - même si les premiers ont timidement déclaré qu’Israël ne respectait pas le droit international - mais ont opté pour une stratégie agressive sur les réseaux sociaux pour essayer de faire passer la normalisation, en multipliant les financements de comptes et médias pro-gouvernementaux qui s’attaquent violemment et sans relâche à quiconque oserait remettre en cause les accords d’Abraham, encore plus s’il s’agit de citoyens de leurs pays respectifs. 

Au Soudan, dernier pays à avoir rejoint les accords et en proie à une guerre civile, les voix contre la normalisation sont rares étant donné la situation déjà difficile du pays qui doit avant tout retrouver une stabilité et mettre fin aux troubles internes.

De l’autre côté, la ligne dure des pays arabes qui ne reconnaissent pas l’état d’Israël comme l’Algérie, la Tunisie ou encore le Qatar, sont par ricochet au pic des tensions avec leurs voisins normalisateurs. 

Le Qatar, en guerre diplomatique ouverte avec les Émirats même avant la normalisation, ne reconnaît toujours pas l’état d’Israël.

Que ce soit au Maghreb ou au Moyen-Orient, les normalisateurs sont au final isolés par rapport aux autres pays de la région.

Les gouvernants signataires des accords d’Abraham se retrouvent dans une situation de grand écart et têtes baissées face à leur population qui est ultra majoritairement pro-palestinienne et les manifestations qui se font généralement rares grondent sans que les états ne puissent les réprimer comme à l’accoutumée, la honte les empêchant aussi de procéder à un matraquage en règle des contestataires, surtout à l’ère des réseaux sociaux. 

La plus grande hantise des gouvernants arabes considérés comme traîtres à la cause palestinienne serait que la Palestine arrache son indépendance car ils savent mieux que quiconque que l’histoire avec un grand H les oubliera encore moins que les gouvernants occidentaux si ce jour venait à arriver. 

En attendant, c’est profil bas et condamnations en catimini, en espérant que les gens « oublient » et que la situation se calme sans pour autant que la colonisation cesse.

Pendant que le « tiers- monde », maintenant appelé le Sud Global se réorganise et que les cartes ne sont plus les mêmes qu’il y a 10 ou 20 ans, l’Afrique du Sud a donné le coup d’envoi du ras-le-bol généralisé en déposant une requête devant la cour internationale de justice fin décembre 2023 pour accuser Israël de génocide.

L’Algérie, membre provisoire du conseil de sécurité de l’ONU pendant 2 ans, multiplie les résolutions appelant à un cessez-le-feu immédiat, au nom des pays arabes, résolutions bloquées par 3 fois par le droit de veto des États-Unis. Avec finalement un coup de théâtre en date du 25 mars, où les États-Unis se sont abstenus, fait assez rare pour être souligné et qui montre que même l’Oncle Sam met la (mini) pression sur Israël. 

L’Arabie Saoudite qui était sur le point de suivre les Abrahamistes mais qui se rapprochait aussi de l’Iran, a reculé depuis le siège de Gaza par l’armée israélienne, montrant que même parmi les alliés de l’Oncle Sam, il y a des limites à ne pas franchir et sachant que stratégiquement, rejoindre les accords d’Abraham pendant qu’Israël commet un génocide serait impossible à faire passer auprès de leur population. 

L’Iran, le Liban, la Syrie et avec eux le Hezbollah sont toujours les pires ennemis d’Israël dans la région, avec une escalade entre Israël et l’Iran depuis qu’Israël a bombardé l’ambassade iranienne de Damas le 1er avril, attaque à laquelle l’Iran a répliqué le 13 avril en envoyant des centaines de drones vers Israël.
À l’heure où ces lignes sont écrites, le risque d’escalade entre les deux pays est à son comble.

Du côté des soutiens de la Palestine hors de la région MENA, le Brésil et les pays d’Amérique latine sont historiquement et depuis toujours contre la politique coloniale d’Israël.
En témoigne la crise diplomatique que Lula a initié après ses propos sur Israël le 18 février 2024, qui l’ont rendu « persona non grata » en Israël, selon les mots du ministre des affaires étrangères israélien, Israël Katz. 

Sa déclaration au 37ème sommet de l’Union Africaine, où le Brésil était invité montre à quel point le président du plus grand pays d’Amérique Latine veut se positionner farouchement contre Israël. 

« Ce qui se passe dans la bande de Gaza avec le peuple palestinien ne s’est produit à aucun autre moment de l’histoire. En fait, cela s’est déjà produit : lorsque Hitler a décidé de tuer les Juifs »

Déclaration de Lula, le 18 février 2024 au 37ème sommet de l’Union Africaine.

Et pour couronner le tout, même l’opinion publique israélienne veut la peau de Benyamin Nentayahu, coupable pour beaucoup d’avoir poussé au 7 octobre par sa politique extrémiste. 

Du côté de l’occident, la malheureuse France de Macron, puissance mondiale en déclin, qui perd de son influence partout en Afrique et dans le monde depuis l’avènement du (très) mauvais diplomate qui est à la tête de l’Etat et les impérialistes en chef Etats-Uniens continuent malgré vents et marées de soutenir un monstre génocidaire qui a épuisé toutes ses ruses et tous ses mensonges. 

Deux pays qui n’ont eu de cesse de détruire la planète depuis un siècle au nom de la démocratie et de « valeurs supérieures » et qui ont nourri des rancœurs extrêmement tenaces partout sur le globe.


On observe de plus en plus de pays du Sud qui n’hésitent plus à les critiquer en bonne et due forme et à s’allier pour créer des contre-pouvoirs à l’hégémonie occidentale comme c’est le cas avec les Brics+ et comme ça commence à être le cas en Afrique de l’Ouest, où le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Sénégal ne veulent plus du modèle France-Afrique devenu obsolète.

Cet affranchissement envers les anciennes puissances coloniales se ressent aussi en politique extérieure où la plupart des états africains, constamment sommés de condamner la Russie sont majoritairement abstentionnistes voire contre les résolutions de l’ONU qui vont dans ce sens.

Le refus, en février 2024, d’accueillir Israël comme membre observateur de l’Union Africaine après un lobbying intense du Maroc et du Rwanda, contré par un lobbying intense de l’Algérie et de l’Afrique du Sud en faveur du non montre bien les axes qui se dessinent en Afrique pour les prochaines années.

Pour en revenir à la Palestine en elle-même, la solution à deux états, prônée depuis des années même par les plus grands propagandistes de guerre comme BHL semble de plus en plus compromise depuis le siège de Gaza.

Les normalisateurs et l’occident ont perdu toute crédibilité à cause de l’ampleur de l’ignominie dont Israël se rend coupable et sont entourés de pays qui ne suivent pas du tout la même ligne politique qu’eux concernant le règlement du conflit.

En ce sens, les pays arabes signataires des accords d’Abraham sont à la croisée des chemins entre reculer par rapport à leur soutien à Israël quitte à se rapprocher au final de leurs voisins avec qui ils ne s’entendent plus ou continuer la politique du fait accompli qui pour l’instant ressemble plus à un feu vert des pays arabes envers Israël pour leur faire comprendre qu’ils peuvent tuer impunément qu’à une réelle tentative diplomatique d’apaiser les tensions en faveur des palestiniens.

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