Notre travail est de rendre visible les mécanismes comptables qui « commodifient » les plus vulnérables, et en particulier celles et ceux qui se trouvent à l’intersection de plusieurs systèmes d’oppression.
Mais là c’est trop.
Ce qui se passe à Gaza, dépasse notre entendement. Alors maintenant, nous crions, avec notre cœur, nos sentiments, notre imagination, notre rationalité et ce qui reste de notre plume.
Ils nous disent que dans l’Homme germe la graine de la haine de l’autre. Ils nous disent que la nature est compétitive et la raison du plus fort fait foi de vérité. Qui sont-ils eux qui décident pour tou.te.s? Qui sont-ils pour nous infantiliser contre un discours qui ne supporte plus la réplique ? Leur conte aux apparences empiriques démontre encore et tous les jours que la science, dure soit-elle ou molle, est un champ politique. Je (derrière ce jeu se cache le nous) n’ai plus de mots. Je peine à les trouver. Et pourtant, trouver les mots, c’est ma vie. Je suis chercheuse.
Mais là c’est trop.
Je regarde mes enfants prendre leur petit déjeuner à l’instant même où j’écris ces mots. Ils sont dans leur monde, protégés, paisibles. Ne me méprenez pas. Le racisme, l’islamophobie, ils les ont déjà rencontrés plusieurs fois sur leur route car oui, leurs corps portent une histoire de plusieurs peuples colonisés. Mais j’arrive encore à les protéger, comme je peux. A ce stade, les missiles qu’ils se prennent ne sont encore que symboliques.
Mais là c’est trop.
Faire des enfants des relais de la rage, c’est inscrire dans leurs gènes traumatisés la haine de l’autre. Stigmatisés dans le mépris de leur valeur, incapable de comprendre leur propre corps et encore moins celui de l’autre, appelé ennemi. Je pense aux enfants de celles et ceux qui meurent sans être comptés, leurs cœurs brisés, déchiquetés sous les bombes. Ils ne peuvent même pas être enterrés, accompagnés, pleurés dans des conditions dignes. Comment le faire dans une terre violée… Ils nous disent encore que l’autre est diable car sa foi porte une nuance (politique) d’un même Dieu. Le bilan est écrit par celui qui tient les pouvoirs de cette sombre entreprise. Jamais un promesse n’a fait autant de dégâts dans cette ère qu’on nomme moderne. Quels chiffres sont mis dans le panier des négociations si cette modernité ne nous apprend pas la paix. Quels marchés sont créés et démontés autour des contes identitaires ?
Dans cette masculinité des plus toxiques, comptabiliser c’est mettre à son actif des corps colonisés, silenciés, brisés et, en quelques tonnes d’aciers, les déprécier en masse. C’est rire au nez de celles et ceux qui demandent des comptes et c’est dynamiter tous les réseaux de soutien, humains et non humains, encore en capacité de porter la contre-comptabilité des Gazaoui.e.s. C’est cela le patrimoine de notre Humanité ?
Là c’est trop.
A-t-on besoin de plus pour comprendre l'entrelacement complexe de la comptabilité avec nos corps, avec nos relations envers la politique, la nature, les marchés, les traumatismes et la manière dont nous organisons nos espaces de vie et de mort. Le calcul dilue le corps politique et nous prive de notre complexité avec laquelle nous pouvons comprendre et sentir que 1 est supérieur à 100, que 1+1 est supérieur à 2, que 1 avec 1,000,000,000 peut mourir seul. Pourquoi veut-on additionner les rancœurs et soustraire l’autre qui veut rester différent ? Pourquoi cette voie divine supposée créatrice de vie est-elle encore traduite en cycles binaires de morts ?
Mais voulant jouer aux tables de soustractions, le dominant emploi toujours la même recette, détruire pour mieux régner. Le roi, le général, le dirigeant, le chef, des figures de calcul, sans recul terrien. Il est surprenant que l’humain déploie une énergie incommensurable pour combattre les maladies et les injustices d’un côté, et de l’autre, ne fait qu’assoir une économie de guerre qui ne cesse de se répandre.
Gaza est visible actuellement par les media globaux, mais toutes les autres guerres sanglantes, meurtrières, dévastatrices, restent encore tues, car n’intéressent, peut-être, que les personnes qui pleurent leurs morts. Le Soudan, la Somalie, le Yemen, les Ouighours, Les Mapuché, Les Rohingyas, …. Nous avons honte de ce classement par ordre de souffrance.
Là c’est trop.