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Billet de blog 19 décembre 2021

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La solution des camps de réfugiés

La question des réfugiés a pris une importance considérable dans le champ politique depuis la fin des années 1980 avec un retour massif à la solution des camps, mis en place dans des zones de crise, pour contenir les flux et gérer les déplacements de population à l’échelle mondiale. Comment l’utilisation des camps a-t-elle pu s’imposer comme une réponse adaptée à la question des réfugiés ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

  • Introduction

   La gestion des migrations est une préoccupation assez récente des gouvernements. Les premières tentatives datent de la première guerre mondiale. Les premiers passeports ont été instaurés en 1915 pour contrôler les déplacements entre plusieurs pays impliqués dans la guerre (France, Allemagne, Italie, etc…).

   La guerre froide débute en 1947 et met en opposition les blocs de l’Est et de l’Ouest. Le Haut-Commissariat aux Réfugiés est créé en 1951 pour accueillir les « dissidents » des régimes communistes. La convention de Genève (CDG ci-après) est signée la même année et va créer le statut de réfugié en droit international. Chacun a le désormais le droit de quitter son pays s’il est persécuté en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social.

   Les années 1980 marquent la fin de l’immigration de travail dans la plupart des pays d’Europe qui accueillaient jusqu’alors en masse. En France, cela correspond à la fin des « 30 glorieuses. » Depuis les années 1980, l’asile est devenu le moyen le plus simple pour s’établir en Europe.

   On voit apparaître d’autres catégories (Internally Displaced People, asile territorial, asile humanitaire, etc…) et cela correspond à une diminution générale de l’acceptation des réfugiés dans la même période. En 1999, ¼ des réfugiés dans le monde ne relevaient pas de la CDG. La part d’acceptation en France passe de 80% en 1981 à 20% en 1999.

   C’est le résultat d’une lutte entre les différents acteurs (ONU, gouvernement nationaux, etc…) pour produire le « périmètre » de la catégorie de réfugié.

   La question des réfugiés a pris une importance considérable dans le champ politique depuis la fin des années 1980 avec un retour massif à la solution des camps, mis en place dans des zones de crise, pour contenir les flux de réfugiés et gérer les déplacements de population à l’échelle mondiale. Cela nous amène à nous demander comment l’utilisation des camps a-t-elle pu s’imposer comme une réponse adaptée à la question des réfugiés ?

Nous répondrons à cette question par le biais d’un plan en deux parties dans lequel nous analyserons d’abord le processus qui a mené à la solution des camps, puis nous examinerons la délégation, la privatisation, et l’institutionnalisation des camps de réfugiés.

  • L’apparition de la solution des camps
  • L’évolution des pratiques guerrières

   Pour Michel Agier (le chaos et les camps, genèse du gouvernement humanitaire, 2011), le « bloc de l’Ouest » va progressivement changer    d’ennemi. On passe de l’ennemi commun communiste au « terroriste » ; catégorie « indistincte et inépuisable » puisqu’il n’y en a pas de définition officielle selon l’ONU.

   Les théâtres d’opérations changent également. Les anciennes pratiques guerrières, avec deux armées qui s’opposent sur une ligne de front, vont disparaitre et on assiste de plus en plus à des combats en plein milieu de villes et de populations civiles.

   Le déplacement des populations, déjà pratiqué par la France lors de la guerre d’Algérie, va être utilisé massivement à partir des interventions américaines en Afghanistan et en Irak. Pour Michel Agier, ces nouvelles pratiques vont conduire à une « dissémination sociale et spatiale de la violence » et à l’instauration de chaos sociaux et économiques. Des « chaos structurés » selon Alain Joxe ; une crise qui apparaît de manière fractale à toutes les échelles de la société : villes, quartiers, familles, individus, etc…

   Des interventions annoncées comme propres (avec des éléments de langages médicaux comme les « frappes chirurgicales » lors de la prise de Baghdâd) laissent place au pourrissement social et politique des pays, entrainant des situations de chaos durables.

   Pour conclure, on passe en quelques années d’une image positive associée à la figure de « l’exilé » (bonne victime du communisme, sollicitait généralement de la compassion) à la figure du « débouté » à qui on refuse le statut de réfugié, qui est réduit à une situation de clandestinité. Ce terme vient criminaliser indistinctement tout déplacement des personnes, il s’agit désormais de les chasser et de les maintenir à l’écart de la bonne société. De plus, le recours militaire aux déplacements de population va appeler à la création d’une structure à même d’organiser et de gérer ces déplacements. La gestion des flux va devenir une question essentielle et on va voir réapparaitre la solution des camps pour y répondre.

  • L’encampement du monde

   L’encampement du monde est un terme emprunté à Michel Agier. Les camps, c’est d’abord la réponse carcérale aux questions migratoires.

   Les camps s’inscrivent dans une logique de containment (Kristen McConnachie, camps of containment). Ils sont souvent situés aux frontières de pays en crise. Un camp de réfugiés, ce n’est pas vraiment pour protéger ceux qui fuient mais surtout pour les empêcher d’aller plus loin.

   Les camps opèrent également sous un régime administratif d’urgence. Paradoxalement, les camps qui sont d’abord des solutions temporaires sont souvent amenés à devenir des structures durables, pérennes.

   Par exemple certains camps de réfugiés palestiniens, crées dans les pays limitrophes (Jordanie, Liban, Cisjordanie, etc…) depuis 1948, sont encore actifs à ce jour et hébergent plus d’un million de personnes.

   Pour le dire autrement, il y a des personnes qui ont vécu toute leur vie dans des camps de réfugiés. Cela concerne environs 5 millions de personnes réparties dans des camps qui peuvent accueillir plusieurs centaines de milliers de personnes.

  • Délégation, privatisation, et institutionnalisation des camps de réfugiés
  • La gestion des camps : délégation, dépendance et dérives

   Les camps sont administrés à l’origine par le UNHCR (Haut-Commissariat aux Réfugiés de l’Organisation des Nations Unies) à l’exception des camps de palestiniens.

   Les agences onusiennes vont, dans un principe de délégation et de privatisation, déléguer une grande partie de l’organisation de ces camps à des ONG.

   Par exemple le camp de Boreah en Guinée, crée dans les années 1990 dans le cadre des conflits du fleuve Mano, était administré par le UNHCR qui faisait intervenir des dizaines d’ONG extérieures. Chaque ONG était chargée d’un pan particulier de l’administration du camp. Le PAM (Programme Alimentaire Mondial) pour l’alimentation, le IRC (International Rescue Committee) pour l’éducation, MSF (Médecins Sans Frontières) pour la santé, etc…

   Quand on est réfugié dans un camp, on est privé de ses droits économiques et politiques. On ne bénéficie d’aucune protection juridique : ni celle de son pays d’origine, ni celle du pays dans lequel est situé le camp. On n’a ni le droit de travailler, ni le droit de sortir du camp. On se retrouve dans une situation de dépendance très forte vis-à-vis des ONG qui prennent en charge tous les aspects de notre vie.

   Pour Michel Agier « les réfugiés ne relèvent d’aucun droit, à part celui de ceux qui détiennent le pouvoir sur leur vie. »

   Naturellement, ce terrain est propice au développement de pratiques abusives de la part des individus qui détiennent le pouvoir au sein du camp. C’est la « domination d’exception. »  Les ONG vont souvent déléguer à leur tour la gestion du camp à des acteurs locaux. Michel Agier va suivre un de ces agents, mandaté par une ONG pour faire régner l’ordre dans le camp. Il relève un usage récurrent de la violence, des menaces, une situation de « pouvoir sur la vie » où le HCR va déléguer à une ONG, qui va déléguer à un « homme de terrain » qui finira par appliquer sa loi.

   En conclusion, pour Michel Agier, les camps « ne sont pas des zones de non droits mais des zones de droits et de pouvoirs d’exception. »

  • La formation du gouvernement humanitaire

   Michel Agier va parler de « main gauche de l’empire. » Face à l’évolution des pratiques militaires qui impliquent désormais d’énormes déplacements de populations, les gouvernements vont chercher à « atténuer les dégâts humains de l’intervention militaire » en organisant un système d’intervention humanitaire à l’échelle mondiale. « Une main qui frappe, l’autre qui soigne. »

   Par exemple, en Afghanistan en 2001, les distributions aériennes de vivres et de médicaments succèdent et accompagnent les largages de bombes. On met rapidement en place plusieurs camps dans la région pour anticiper les effets de l’opération militaire.

   Le terme « gouvernement » renvoie au « sens concret et précis de l’organisation du pouvoir, de la gestion matérielle et sociale de la vie dans des espaces localisés, dans des situations délimitées et observables dans le temps et dans l’espace. »

   Jean-François Bayart parle d’un « gouvernement du monde » à analyser comme un secteur spécialisé. Parmi les principaux acteurs ont peut citer le HCR (rôle central sur le plan politique et économique), OCHA (au sein de l’ONU, coordonne l’action humanitaire entre les différentes branches) ou ECHO en Europe (finance et pilote l’action des ONG sur le territoire européen).

   Pour Michel Agier, c’est dans la gestion des camps que le gouvernement humanitaire est le plus visible. C’est l’entité qui « construit, gère et contrôle » les camps pour y garder « des populations considérées alternativement comme vulnérables, indésirables, victimes ou dangereuses. »

   Il parle d’un triptyque « extraterritorialité, relégation, exception » qui identifient un espace commun à l’échelle mondiale où le dispositif humanitaire se déploie.

   Ce dispositif est « multi situé, constitué d’un ensemble d’organisations, de réseaux, d’agents et d’argent répartis dans différents pays. » Il se déploie avec souplesse et institue ses propres espaces d’exception pour un temps donné. Ils créent une « souveraineté mouvante » (Maria Pandolfi, 2000).

   En conclusion, les interventions humanitaires vont recréer à chaque nouvelle action leurs espaces propres de structures et de gouvernement.

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