C'est un scandale, disent les uns.
Une véritable honte ! clament les autres.
Quelle vulgarité, et quelle bêtise ! pavoise un courtisan en culottes bouffantes.
Nous sommes contre l'exclusion de nos amies ! hurlent ces justes, en montrant d'un doigt rageur la suposée cause de tous leurs soucis.
Haro sur la momie ! dit encore une autre, sans savoir vraiment pourquoi, mais il est si tentant de suivre le mouvement...
Elle manipule les Maîtres, les tient dans sa main ! crache un gentilhomme.
Elle décide de qui sera exclu ! affirme un autre.
Elle jette de l'huile sur le feu, répète pour la cent cinquantième fois un justicier loué par ses pairs, des fois qu'on ne l'entende pas. Et des fois que le feu s'éteigne.
Elle ne respecte même pas les morts, reprend la culotte bouffante.
Elle est chef de bande, et ses esclaves lui obéissent aveuglément ! s'indigne un orateur truculent devant ses ouailles dociles prêtes à le suivre dans sa croisade.
Mais non, elle les terrorise, elle a la langue pleine de poison ! affirme le seigneur d'une lointaine contrée.
De poison ? Du poison au poisson, il n'y a pas grand pas ! Une vile poissonnière je vous dis ! se gausse un mignon.
Des rires fusent çà et là. Est-il drôle le mignon !
Figurez-vous qu'elle m'a proposé de la rencontrer ! lâche culotte bouffante.
Non !!! souffle le choeur de ses amis. Quelle outrecuidance !
Si, me mettant au défi de lui dire son fait de vive voix ! Vous me connaissez, non pas que je cherche à fuir cette rencontre...
Bien sûr ! Quel honnête homme pourrait croire cela ? tonitrue l'orateur truculent.
Mais pourquoi irais-je perdre mon temps avec cette femme de ménage, je vous le demande un peu ?
Gloussements et approbation de la noble assemblée.
Et son amie chasseresse, reprend culotte bouffante, même pas capable de se payer une collation dans les beaux quartiers ! Mais qu'attendre d'autre de la fille d'une boniche ?
Un ange passe.
Bien que je respecte le petit personnel hein ? Je l'ai toujours dit d'ailleurs !
Aaaahhh ! reprend l'auditoire, soulagé.
Tout le monde a le droit de s'exprimer, mais cela n'empêche.... reprend l'orateur truculent. Prenez mon exemple, moi qui n'hésite pas à caresser les côtes des faquins qui osent me faire front....
Légère vague d'admiration dans l'assistance.
... Et bien, je le fais ouvertement ! Et je ne traite pas l'autre d'antisémite. Juste de connasse. Ou d'enc... Ca dépend.
Bravo ! Quel homme tu fais ! roucoule une voix proche de la pâmoison.
Sur le seuil d'une pyramide émoussée par les millénaires, une vieille chose bandelettée sourit dans les volutes de son narguilé.
L'air est doux, et le printemps n'est plus loin.
Caressant machinalement le museau d'un hippopotame tout à sa sieste, elle regarde ses fils grandir.
Et le monde tourner comme il peut.
Puis, se penchant vers l'oreille de son amour, elle lui murmure :
Il rêve d'elle, elle rêve d'île...
D' une île de lumière et d'ombre, rien que pour leurs jeux.
Elle rêve de lui, il rêve d'ailes...
D'ailes pour l'entourer, pour la protéger et enfin pouvoir l'aimer.
Elle bat des cils, il regarde celle... celle qui lui dit "je t'aime, je t'adore, je te veux."
Elle caresse sa lèvre, il écrit un livre,
Elle effleure ses rêves, il est un bateau ivre.
Il est le souffle, elle est la flamme,
Il est sa vie, elle étincelle, celle qui lui dit "viens, viens mourir en moi..."
Elle est plaisir, il est désir,
Il est passion, elle est le fruit,
Il est magie, elle l'ensorcelle, celle qui se glisse sous lui...
Il embrasse un sein, elle embrase ses reins,
Elle sourit à la nuit, il renaît à la vie.
Il est en elle, elle qui ferme les yeux et gémit,
Il ne voit plus qu'elle, elle qui ne croit qu'en lui.
Il est la vague, elle est la dune,
Elle est le sable, il est l'écume...
Il a tant rêvé d'elle, elle qui ne songe qu'à lui,
Qu'il a refermé ses ailes sur l'amour de sa vie.
Le vieux pharaon sourit.
Sa grande main vient délicatement saisir la main plus petite, la porte à ses lèvres frémissantes.
Et le monde continue de tourner comme il peut.
Néfertari.