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Billet de blog 8 novembre 2021

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Réfugiés au Gymnase Joliot-Curie : entre misère, solidarités et résistances

Depuis bientôt deux semaines, des migrants, en famille ou isolés, campent dans le Gymnase Joliot-Curie d'Ivry-sur-Seine, après avoir été expulsés d'un squat situé rue Marceau le 26 octobre. La mairie a annoncé la réquisition du gymnase pour 20 jours supplémentaires. Des solutions de relogement viables et adaptées sont attendues.

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Des enfants courent après un ballon, leurs baskets crissent sur le lino vert. La scène a lieu au Gymnase Joliot-Curie d’Ivry-sur-Seine. Elle semblerait banale si un chauffe-terrasse entouré de sacs de linge et de nourriture ne trônait pas au milieu du terrain.

Ici campent, depuis le 26 octobre, une quinzaine de familles tchétchènes, et quelques hommes venus d’Afrique de l’Ouest. Tous vivaient au 37 rue Marceau, ancien siège de la Mutuelle des Étudiants, racheté par le Crédit Mutuel, géré par le promoteur immobilier Nexity et squatté depuis 2017. La même année, le Tribunal avait ordonné à l'État d'évacuer le site. Depuis une décision de juin 2021, la préfecture payait d'importantes sommes d'astreintes quotidiennes au propriétaire, en l'absence d'exécution de la décision de justice par l'État. Les habitants du 37 ont finalement été expulsés par les forces de police le 26 octobre à quelques jours de la trêve hivernale. Certains sont réfugiés, d’autre demandeurs ou déboutés du droit d’asile. On compte parmi eux une quarantaine d’enfants, dont une vingtaine scolarisée dans des établissements de la commune.

La Mairie d’Ivry-sur-Seine (PCF) a fourni la solution du Gymnase dans l’urgence, face à la pression d’une manifestation organisée à l’hôtel de ville dans les heures qui ont suivi l’expulsion. La solution ne devait durer qu’une nuit, puis la date de fin des vacances de la Toussaint a été mentionnée. Le 5 novembre, la municipalité a annoncé la réquisition du gymnase pour 20 jours de plus. 

« Un truc de fou, comme une aventure... »

Mariya*, la cinquantaine, visage pâle et cheveux voilés, évoque déjà le squat avec nostalgie : « On y avait trouvé le calme, on l’avait décoré, ça nous suffisait. » Pour celle qui, comme beaucoup de Tchétchènes exilés, a subi les persécutions du gouvernement Russe, l’expulsion a convoqué un imaginaire douloureux : « Les militaires, les policiers, en Russie, j’y ai beaucoup été confrontée… Mais en France, je n’aurais jamais imaginé en voir autant. Pour nous mettre dehors, trois policiers attendaient devant chaque chambre… ». 

Le Gymnase dispose d’un vestiaire et d’une douche, dont la réserve d’eau chaude ne tient que quelques minutes par jour. En cette journée pluvieuse, la grande salle vrombit sous les averses. Des tapis de sport longent les murs. Couverts de plaids ou posés contre des radiateurs électriques, ils servent de literie et de paravents de fortune.

« C’est la galère pour les devoirs ! » en rient Maryam, Yasmina et Lena*, toutes scolarisées dans des collèges de la commune. « C’est un truc de fou, comme une aventure ! On est même sur Telegram ! », s’exclame Maryam. « Au collège, tout le monde est au courant », ajoute Léna. Les trois amies racontent l’expulsion sur le ton du dernier ragot mais se jettent des regards inquiets. Aucune ne sait où et quand elles seront relogées. Il leur importe avant tout de rester à Ivry, proches les unes des autres, et de ne pas changer de collège. À ce sujet, Mickael Mirzaev, le père de Maryam, s’indigne : « Mes enfants ont changé d’école dix fois d’école ces dernières années ! »  Dans un français impeccable, il explique avoir reçu une proposition d’habitation située à une dizaine de kilomètres, s’y être rendu et n’avoir rien trouvé sur place.

Tout sauf des entêtés 

Depuis le mois de juillet, la Mairie d’Ivry et la préfecture du Val-de-Marne ont travaillé conjointement pour proposer des solutions de rechange à chacun des résidents du 37 rue Marceau, en prévision de l’expulsion. Certains ont obtenu des logements sociaux, ou des places au Centre d’hébergement d’urgence pour migrants d’Ivry. Suite à l’opération d’expulsion par la police, la mairie d’Ivry et la préfecture ont pointé les nombreux refus opposés par les ex-habitants du squat, qui se retrouvent de ce fait à dormir au gymnase.

 « La préfecture et la mairie décrivent les ex-habitants comme des entêtés ! », s’agace Daniel Mihailovic, travailleur de l’association Habitat-Cité, qui suit l’affaire de près. « La vérité, c’est que la plupart des solutions qui ont été proposées sont inadaptées... et il y a des preuves ». À l’instar des papiers qu’agite furieusement Mariya*, sexagénaire malade allongée sur tas de couverture : une proposition de relogement immédiatement comptabilisée comme un refus émise en octobre… alors qu’elle était hospitalisée, et incapable de se rendre sur le lieu qui lui avait été proposé. Quelques semaines avant cela, celle qui se déplace l’aide d’une chaise roulante avait aussi accepté de loger dans un hôtel sans ascenseur, avant d’en être congédiée trois jours plus tard et de rentrer au squat.

« L'unité fait la force »

Çà et là, les récits et les motifs des rejets se ressemblent : le ras-le-bol du système du 115 et de l’errance entre des hôtels quasi-insalubres, dont on congédie les occupants au bout de quelques jours ; le besoin de continuité scolaire pour les enfants. Et surtout, le refus d’éparpillement d’une communauté précaire mais soudée. Le squat de la rue Marceau offrait un relatif confort et un peu de stabilité, et a permis le tissage de solidarités fortes. Le 5 novembre, la Mairie a annoncé par communiqué la réalisation d'un diagnostic social par l'association Alteralia, missionnée par l'État pour poursuivre la recherche de solutions adaptées aux situations des familles et des individus. 

Aux alentours de 18h, alors que se replient les tapis après la prière du crépuscule, trois Tchétchènes venus de Rouen bavardent avec Mariya. Ils ont eu vent de l'évacuation du squat sur les réseaux sociaux, et sont venus manifester leur soutien à leur compatriotes. « Dans cette situation, nous sommes tous frères », commente Nabi Gueye, membre de la minorité sénégalaise qui cohabitait au squat avec les Tchétchènes, également réfugié au gymnase. Il affirme n’avoir aucun passé politique, mais manie lestement les éléments du langage militant. « L’unité fait la force. Cette expulsion est une histoire d’économie et d’immobilier. Tout ça est politique... » À l’entendre, culture mobilisationnelle du squat n’est pas à étrangère à ses origines : « Les anarchistes ont ouvert le squat en 2017 pour y loger des migrants. Ils ont finit par partir car il y avait trop de divergences culturelles avec eux (...). Mais ils ont laissé des habitudes, et ils ont soutenu la mobilisation le jour de l’expulsion, ce qui a permis d'obtenir l'ouverture du Gymnase. »

La mairie en porte-à-faux, le gouvernement dans le viseur

 Au cabinet de la mairie communiste, on reconnaît d’ailleurs aux ex-habitants du squat un sens de l’action collective « certes louable ». On entend aussi les limites des dispositifs temporaires du 115… en rétorquant que cette problématique échappe toutefois à la compétence de la Ville. La municipalité affirme avoir fait tout son possible pour garantir la dignité des individus, dans le champ de ses compétences et même au-delà. Elle met en avant les négociations avec l'huissier de justice, qui ont permis aux habitants  de récupérer leurs affaires après la condamnation du squat. Elle rappelle aussi avoir fourni du matériel de nécessité - chauffage, sanitaires, électricité...-. 

« La mairie prétend faire ci et ça, mais on voit bien que cette expulsion par un promoteur, avec l’augmentation du foncier, ça participe d'un système d'exclusion des pauvres de la ville. », analyse Nabi Gueye. Un reproche injuste, selon les interlocuteurs du cabinet du maire, qui mettent en avant « une politique active de lutte contre l'augmentation des loyers et la gentrification ». « Vous voyez bien que les squats sont nombreux à Ivry. Ce n'est pas un tout à fait étranger à la politique accommodante de la municipalité » , ajoute t-on. On mentionne aussi les efforts déployés pour repousser l'évacuation ordonnée par le Tribunal depuis 2017, le soutien apporté aux mobilisations des résidents au cours des années précédentes, ainsi que les trois millions d'euros d'astreinte payés par la Préfecture au propriétaire du 37 rue Marceau depuis juin 2021.

Dans le communiqué municipal du 5 novembre, la faute est finalement rejetée sur l'action gouvernementale. On y déplore  « la pauvreté des politiques d’accueils mobilisées par le Gouvernement, qui ne se donne pas les moyens de faire respecter le droit à la dignité de toutes celles et ceux qui fuient la pauvreté, les conflits, les répressions et les discriminations subies dans leurs pays d’origine ».

*Les prénoms ont été modifiés 

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