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Billet de blog 11 août 2023

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En Palestine avec ISM : l'arrivée dans les territoires occupés

[27/07-03/08] Cet été, pour la première fois, je pars aux côtés de l'International Solidarity Movement (ISM) en Palestine occupée afin d'agir en solidarité avec les mouvements de résistance palestiniens contre l'occupation israélienne.

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Après avoir longtemps fréquenté des cercles militants pro-Palestine dans diverses villes d'Europe où j'ai habité, l'opportunité d'aller sur place s'est présentée de manière inattendue à travers une présentation d'ISM par une distante amie qui a entraîné une décision collective de mon groupe d'ami.e.s de partir ensemble pour un mois en août. Pendant quelques mois, je me suis préparée avec eux, mais nous partons tous au compte-goutte : un groupe trop nombreux est susceptible d'éveiller des soupçons à l'entrée au territoire. Je pars donc seule depuis Paris. C'est un petit saut dans le vide : je connais le contexte politique et n'ai aucun doute quant au bien fondé de mes actions, mais je n'ai jamais mis les pieds au Moyen-Orient et mon arabe est plus qu'approximatif, et je sais que mon expérience des contacts avec les forces de l'ordre en France, pour violentes qu'elles soient, est à des années lumières de la brutalité meurtrière de l'État d'Israël.

L'arrivée à Tel-Aviv-Jaffa se fait dans une rapidité inattendue. À l'aéroport, un garde frontière souriant me demande si je suis là pour du tourisme et pour combien de temps, me rend mon passeport et me laisse passer avec un signe de tête. J'atterris à peine avant le coucher du soleil : je découvre Tel Aviv de nuit, son air chaud et lourd, ses quartiers neufs et ses pelouses arrosées. Mes quelques premiers jours sont réservés au tourisme. Le lendemain de mon arrivée, je dîne avec mon amie Layla, palestinienne d'origine venue passer un mois de vacances ici pour fêter son anniversaire, par hasard en même temps que moi. Elle est heureuse d'apprendre que je n'ai pas eu à subir la sécurité des frontières. Quand je lui retourne la question, elle me répond que cette année était le pire de ses trois séjours. Elle me décrit la file de personnes (toutes arabes) arrêtées à l'aéroport, dont elle, les vieilles femmes et les familles qui s'y trouvaient, son interrogatoire de trois heures par la police israélienne qui refusait de croire qu'elle venait pour du tourisme et lui a répété jusqu'au bout qu'elle n'aurait pas l'entrée. Elle ajoute que son autre amie qui l'a rejointe par la suite, britannique et blanche, a pu rentrer sans accroc comme moi. Le ton est donné pour mon séjour en Palestine.

Trois jours plus tard, j'arrive à Ramallah, capitale de la Cisjordanie. L'air y est tout aussi chaud mais mille fois plus respirable que sur la côte méditerranéenne, la nourriture y est trois fois moins chère, et délicieuse. À Ramallah, je rencontre quatre autres volontaires d'ISM, trois internationaux et un local, et je les accompagne pour rendre visite à la mère de Mohammed Fouad Atta al-Bayed, adolescent tué dix jours plus tôt par un soldat israélien durant une manifestation pacifique. Selon Israël, Mohammed jetait des pierres mettant en danger la vie des soldats lorsqu'il a été abattu : dans les faits, il a été tué d'une balle à l'arrière de la tête à 40m de distance. Lorsque je me présente et que je mentionne que je suis française, sa mère tire immédiatement un parallèle avec Nahel, assassiné par les forces de l'ordre à 17 ans, comme son fils. Elle commente sur la différence de traitement médiatique à l'internationale, sur les similitudes entre les mouvements populaires que la mort de Nahel a entraînés en France et la résistance Palestinienne.

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Naifa, 8 ans, posant devant une bannière en l'honneur de son frère Mohammed tué par l'armée Israélienne © International Solidarity Movement

Pendant toute la conversation, sa fille Naifa, 8 ans, nous sert du café et de l'eau fraîche en continu. Sa mère nous avoue s'inquiéter pour sa santé mentale après la perte violente de Mohammed, son frère, qui suit celle de leur grand-père, vingt jours plus tôt, que la famille suppose liée au fait qu'il ait inhalé de grandes quantités de gaz lacrymogène juste avant son décès. Nous promettons à la famille de revenir leur rendre visite rapidement.

Deux de mes ami.e.s britanniques arrivent le lendemain. Nous prenons ensemble un service (taxi partagé) pour traverser le sud de la Cisjordanie et rejoindre Yatta, où un ISMer local nous récupère pour nous conduire jusqu'à Khallet al Deba, un petit village au sud des collines d'Hébron. J'y découvre des maisons aux murs couverts de slogans de résistance peints l'année précédente par des ISMers en anglais, arabe et même gaélique. Comme dans tous les villages avoisinants, la communauté de Khallet al Deba est menacée d'expulsion car située dans une zone qu'Israël a déclarée "zone de tir" dans les années 1980. Les colonies israéliennes environnantes, elles, sont bien sûr autorisées à rester. Certains avant-postes que l'on aperçoit sur les collines autour du village ont même été établis il y a moins de deux ans.

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Des peintures murales sur les maisons du village de Khallet al Deba © International Solidarity Movement

Il y a un an, le village entier a reçu un avis de démolition, avec ordre de raser leur village d'ici septembre 2022, après quoi la tâche reviendrait à l'armée. C'est un moyen de pression efficace pour pousser les Palestiniens à démolir eux-même leurs villages car dans l'éventualité d'une destruction par l'armée, Israël requiert des villageois qu'ils financent l'opération, souvent largement hors de leurs moyens. Malgré tout, Khallet al Deba a résisté à la pression et vit désormais dans l'anticipation d'une intervention de l'armée qui pourrait survenir à tout moment. La présence d'internationaux est quasi constante dans le village depuis l'automne dernier, afin de documenter et filmer les agissements de l'armée et la potentielle expulsion. Nous venons en renfort à trois ISMers déjà sur place depuis une semaine, qui nous racontent la vigilance constante et l'angoisse de la journée rythmée par le bruit des avions militaires qui les survolent. Dans la journée que je passe à Khallet al Deba, entre deux instants passés avec les enfants du village et leur troupeau de chèvres, nous photographions un bulldozer et des jeeps rodant sur la colline d'en face. La maison de l'un des villageois a déjà été détruite par l'armée cinq fois dans les années qui précèdent, reconstruite cinq fois.

Dans l'après-midi, nous rejoignons le village avoisinant d'At-Tuwani, où nous nous séparons en deux groupes. Quatre d'entre nous rejoignent Tuba, un village anciennement à 2km d'At-Tuwani – aujourd'hui, suite à la construction d'une colonie israélienne sur la route entre les deux villages, les Palestiniens doivent faire un détour de 15km pour relier les deux villages. Les enfants de Tuba traversent la colonie pour rejoindre leur école à At-Tuwani. La violence des colons n'épargne pas les enfants : le risque d'attaque est si élevé que l'armée israélienne elle-même doit accompagner les enfants chaque matin. Les soldats étant eux-mêmes peu dignes de confiance, la présence d'internationaux est également requise quotidiennement. Pourtant, cette fois-ci, ça n'est pas la raison pour laquelle une partie de notre groupe se dirige vers Tuba : le matin même à 9h, neuf colons ont lancé leur troupeau de moutons sur la ferme et bouché le puits du village avec une bâche, sous l'œil goguenard des deux jeeps remplies de soldats qui les accompagnaient "pour leur protection". Un activiste israélien anti-sioniste présent dans le village pour la protection des habitants a été arrêté pendant l'altercation. Mes ami.e.s rejoignent le village après le départ des colons vers 17h et le trouvent dans un état de tension palpable. Ils me racontent que l'un des jeunes enfants pleure dès qu'il voit des personnes blanches, parce qu'il les associe instinctivement à des colons, source de terreur. La nuit est passée auprès des familles et dans des postes d'observation, encore une fois sous le signe de la vigilance.

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La porte du magasin de Mahmoud, condamnée car donnant sur une rue interdite aux Palestiniens © International Solidarity Movement

De mon côté, accompagnée de mes ami.e.s Pietro et Anastasia, je rejoins la capitale industrielle de la Cisjordanie : Hébron. Cette ville est un cas unique d'occupation, puisque depuis 1997, quatre colonies israéliennes ont été implantées directement à l'intérieur de la ville. La vieille ville, la rue du marché, le centre ville sont désormais des zones dites "stériles", dont l'accès est interdit aux 250 000 habitants palestiniens de la ville. Les portes des maisons donnant sur ces rues ont été soudées et condamnées. Un commerçants dont c'est le cas que nous rencontrons, Mahmoud, nous explique que certains Palestiniens sont même obligés de passer par les toits pour sortir de chez eux et accéder à la ville sans passer par ces rues. Il nous montre les rues stériles depuis son toit, bien qu'il ne puisse pas rester longtemps avec nous : ses yeux ne peuvent supporter la lumière du soleil plus de quelques minutes, séquelle d'un passage à tabac par des colons israéliens il y a dix ans. Il ajoute que les colons, libres de se déplacer comme il leur plaît partout dans la ville, ont coutume de venir tous les samedis dans les rues du marché, ce qui pousse beaucoup des commerçants à fermer échoppe. Ça n'est pas son cas : "S'ils veulent me tuer, ok, qu'ils me tuent, c'est ma ville." Il est très heureux de répondre à nos questions, nous offre café sur café, thé et cigarettes. Un autre commerçant de la rue nous montre spontanément des vidéos de son magasin incendié par des colons un an auparavant et de l'appartement de ses voisins récemment envahie par des colons. De boutique en boutique, nous passons sous un filet surplombant la rue, installé car les colons israéliens vivant en amont des rues arabes ont l'habitude de déverser leurs ordures sur les habitants palestiniens.

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Les habitants des colonies israéliennes à Hébron jettent des ordures sur les filets qui protègent les rues palestiniennes en contrebas © International Solidarity Movement

De contact en contact, nous rencontrons également l'un des membres du conseil de Human Rights Defenders, une association palestinienne proche d'ISM qui documente les violences israéliennes à Hébron et éduque les Palestiniens sur leurs droits. Je lui pardonne son attitude peu souriante quand il nous raconte ses multiples arrestations et ses trois ans passés en prison. Il raconte que deux des colonies dans Hébron étaient autrefois une école et un hôpital palestinien, désormais agrandis et améliorés par l'occupation israélienne, mais dont l'accès est interdit aux Palestiniens. Hors ces quatre colonies, la partie palestinienne de la ville est divisée en deux zones : H1 sous autorité palestinienne, et H2 sous autorité israélienne. Dans H2, les ambulances palestiniennes n'ont pas le droit de circuler, et les services israéliens sont techniquement responsables des habitants — pourtant, les ambulances israéliennes refusent habituellement de pénétrer dans H2.

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Checkpoint à l'intérieur de Hébron, équippé d'un "Smartshooter" © International Solidarity Movement

Étant européens sous un visa de touristes, Pietro et moi pouvons traverser l'un des checkpoints de la ville sans trop de souci, sous le regard inquiétant des 'smartshooters', des équipements militaires dotés d'une intelligence artificielle capable d'identifier des personnes jugées dangereuses et d'ouvrir le feu sans aucune intervention humaine. Nous découvrons une rue vide et silencieuse. Seuls 400 colons israéliens vivent dans ces quatre zones, pourtant capables d'accueillir largement plus de population. Pour leur protection, 5 000 soldats sont stationnés à Hébron et un dense réseau de caméras de surveillance est installé dans la ville. Le contraste avec les quartiers bondés et l'hospitalité ambiante en dehors est choquant. Pour la première fois depuis mon arrivée en Palestine une semaine plus tôt, dans cette rue désertée dont le silence est d'une brutalité impensable, je suis prise d'une pressante envie de pleurer. Nous ne restons pas longtemps.

Le soir même, comme tout le reste de l'équipe éparpillé en Cisjordanie, nous retournons à Ramallah pour préparer les manifestations coutumières du vendredi. Ça sera ma première manifestation en Palestine.

[Certains prénoms cités dans cet article ont été modifiés pour des raisons de sécurité]

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