Au cœur de la capitale roumaine, trois jeunes journalistes ont créé leur média indépendant, fonctionnant grâce à des dons, Casa Jurnalistului. Cette maison des journalistes accueille des visiteurs des quatre coins de la Roumanie dans une ambiance de colocation d’adolescents.

(Images : Bastien Renouil)
Clope à la main, Radu Ciorniciuc prévient ses visiteurs du jour : “excusez-moi les gars, j’ai encore un peu la gueule de bois“. Affalé dans un fauteuil à l’extérieur de la Maison des journalistes, il énumère les derniers sujets sur lesquels il a travaillé : la crise ukrainienne, le roi des égouts de Bucarest…
A 26 ans, c’est un des trois fondateurs de Casa Jurnalistului, une sorte de colocation de journalistes qui travaillent pour le site internet du même nom. “On veut sortir du schéma médiatique imposé par les grands groupes. Nous, ce qu’on aime, c’est proposer une info indépendante, creuser des sujets qui peuvent durer dans le temps contrairement aux médias mainstream où il faut faire de l’actualité instantanée souvent survolée.“
Dans la maison de deux étages, une grande pièce sombre et un peu poussiéreuse accueille les visiteurs – des journalistes venus de Bucarest ou du reste du monde -, qu’ils soient de passage ou en reportage dans la ville. Dans l’ensemble du bâtiment, il règne un capharnaüm digne des chambres d’ado.
Une image kitchissime de Jésus
Radu présente d’abord le sous-sol. Un haut lieu des nuits des journalistes du coin avec son bar et son espace “pour 150 personnes“. Au rez-de-chaussée, une pièce commune, meublée par des canapés, qui porte encore les stigmates des dernières soirées arrosées. Au dessus, trois chambres accolées à la pièce destinée aux invités. Et tout en haut, trois bureaux disposés dans une pièce décorée d’objets de récup. “Ca par exemple, on l’a trouvé dans un carton quand on a emménagé ici“, explique Radu en désignant du doigt une image kitchissime de Jésus en trois dimensions.
Aux murs, de grandes feuilles sur lesquelles sont écrits les projets d’articles. Au milieu, une cible et des fléchettes illustrent à elles seules l’ambiance du lieu. “Ca nous arrive de mettre des photos de politiques dessus quand on en a marre de bosser.”
Le cofondateur de Casa Jurnalistului affiche volontiers un aspect cool légèrement surfait. Mais n’est pas avare en heures de travail sur des sujets parfois très engagés en terme de sécurité. Comme lorsqu’il a couvert les évènements de la place de l’Indépendance à Kiev en décembre dernier.
Le site existe depuis les grandes manifestations de 2012 contre la politique d’austérité qui ont poussé le Premier ministre à démissionner. Radu et ses deux acolytes se sont rencontrés durant les protestations. De là est venue l’envie de “créer un média qui dirait la vérité“.
"Il y avait 30.000 manifestants et aucun média roumain n’en parlait"
Ce dernier prend réellement son envol en 2013 lors des protestations contre l’ouverture d’une mine d’or à Rosia Montana. “Il y avait 30.000 manifestants et aucun média roumain n’en parlait. C’est là qu’on a gagné en visibilité“, explique Radu. Le site revendique 22.000 lecteurs en moyenne par article, avec des pics allant jusqu’à 150.000 pour leurs plus gros sujets.
Parmi ceux-là, environ 150 effectuent régulièrement des dons via une plateforme payante sur le site internet. “Ca nous permet d’acheter les choses nécessaires pour vivre“. Les recettes n’étant pas suffisantes, Radu enchaîne les piges pour d’autres médias. “Là, je viens de finir d’envoyer des photos à New-York pour un journal de là-bas. Notre boulot est vraiment bien vu par les autres rédactions, à l’étranger et en Roumanie. Parfois nos collègues roumains viennent même nous voir pour s’excuser de ne pas pouvoir traiter leurs sujets de la même manière. Par exemple en période électorale, ce sont des machines de propagande qui appartiennent aux hommes politiques. Ils les utilisent uniquement pour niquer leurs adversaires.“
Pour lui, l’essence du métier, “c’est le cœur“. L’intérêt qu’il porte au sujet qu’il va traiter. Une nécessité dans un pays ou la presse est très loin d’être indépendante et où elle traite “des évènements sans intérêt, comme le mariage de la fille du président, diffusé en direct sur les chaînes d’info.” Pour toucher le plus grand nombre, Casa Jurnalistului a fait le choix du gratuit. Tous les Roumains peuvent accéder librement au site et consulter intégralement les reportages qu’il contient.
Bastien Renouil.