La Roumanie n’hésite pas à communiquer sur son activité de surveillance des frontières. Son but : convaincre ses partenaires européens de la laisser entrer dans l’espace Schengen.
“Bonjour, bienvenue à Sighet Marmatiei ! Cette nuit, on a intercepté cinq contrebandiers !” Radu Lungu, porte-parole des gardes-frontières du Maramures, région frontalière au nord-ouest du pays, est heureux d’accueillir un journaliste, en ce matin du mois de mai. Pendant toute une journée, il va pouvoir lui montrer le travail de la “Politia de Frontiera Romana“, le corps chargé de garder les frontières du pays.
Radu Lungu est en poste dans la ville de Sighet Marmatiei depuis 2001. L’unité pour laquelle il travaille compte 2.000 hommes, et assure la protection de 464 kilomètres de frontière, dont 366 avec l’Ukraine. Une frontière active, à en juger par le nombre d’infractions constatées en 2013 : 2024. “C’est nous qui avons le plus grand nombre de constations“, se rengorge fièrement le porte-parole.
La zone est particulièrement exposée à la contrebande de cigarettes. Selon Radu Lungu, un paquet coûte trois euros en Roumanie, pour 50 centimes en Ukraine. D’où de gros profits en perspective pour les contrebandiers suffisamment habiles pour déjouer le surveillance des gardes-frontières.
Autour de Halmeu, une frontière haute-technologie
Premier stop : le checkpoint de Halmeu, à une cinquantaine de kilomètres à l’est de Sighet. 200 véhicules traversent chaque jour ce poste. Mais le plus intéressant ne se trouve pas dans la file de camions, que deux douaniers contrôlent méthodiquement. Mieux vaut entrer dans le bâtiment anodin, situé sur le côté de la route.
Dans l’une de ses pièces – où les photographies sont interdites -, cinq hommes sont penchés sur des ordinateurs. Avec leur écran, ils peuvent contrôler la quarantaine de caméras qui entoure le checkpoint. “Homme ou animal, rien de ce qui passe la frontière ne nous échappe !“, s’enflamme le chef de service, en montrant un oiseau qui se détache nettement sur l’un des écrans.
Autre fierté de l’équipe : un câble souterrain, qui court sur 30 kilomètres, et détecte tous les passages. A chaque traversée, un signal se déclenche dans la petite pièce du checkpoint, et une équipe d’intervention est envoyée intercepter le contrebandier.
Une visite sur le terrain permet de confirmer la sûreté de la frontière : elle se trouve sur une plaine, et est entourée de peu de végétation. Côté roumain, une bande de terre labourée recueille les empreintes. “Ce n’est pas un endroit très dur à surveiller“, résume le chef de service.

Dans les montagnes, un défi pour les gardes-frontières
Une quinzaine de kilomètres plus à l’est, le paysage est bien différent, et l’avantage revient cette fois aux contrebandiers. La plaine cède la place à une montagne, haute et escarpée, couverte d’une végétation touffue. La visibilité, par conséquente, est très réduite. La frontière, elle, n’est marquée que par une double rangée de pylônes, marqués des couleurs roumaines et ukrainiennes. A cet endroit, les gardes ne disposent ni de caméras, ni de câbles enterrés. Ils ne peuvent que patrouiller à longueur de journée, à pied ou en voiture.
Vasile Arba et Adrian Crisan, par exemple, y passent dix heures par jour. “J’ai déjà attrapé six contrebandiers“, insiste Vasile. “Et moi, un seul ! Mais, plusieurs fois, j’ai apporté une aide cruciale à Vasile“, complète Adrian. Tous deux affirment que les jumelles infrarouge leur suffisent pour contrôler les mouvements humains. Mais ils reconnaissent que leur tâche est ardue. “Surtout que les contrebandiers connaissent les moindres recoins du terrain…“, admet Radu Lungu.
Du matériel de pointe, en partie financé par l’Union européenne
Vasile et Adrian peuvent aussi compter sur l’aide du matériel technologique entreposé à Sighet. Les gardes-frontières y possèdent plusieurs caméras mobiles, montées sur des remorques, qui peuvent s’élever jusqu’à six mètres de haut. Elles peuvent voir jusqu’à 40 kilomètres.
Ces équipements ont été, en partie, financés par l’Union européenne, à travers le fond pour les frontières extérieures. Ainsi, en 2011, 12 millions d’euros ont été versés à la Roumanie.

L’enjeu : l’entrée dans l’espace Schengen
La visite guidée de Radu Lungu a évidemment un but : la Roumanie essaie de convaincre ses partenaires européens de la fiabilité de ses frontières. Pour être, enfin, admise dans l’espace Schengen. Malgré un avis favorable de la Commission européenne, elle essuie encore le refus de plusieurs pays, dont la France, les Pays-Bas et l’Allemagne.
Sur ce sujet sensible, les gardes-frontières ne sont pas autorisés à s’exprimer. Ils ne font que répéter en boucle qu’ils sont “fiers” de garder la frontière extérieure de l’Union européenne, un travail qui est “très difficile“, mais qui “[leur] plaît beaucoup.”
“Nous sommes prêts“, assure Radu Lungu, en rappelant les 2.000 infractions constatées par son équipe en 2013. Mais combien d’infractions non constatées ? “Je ne sais pas, avoue-t-il, avant d’insister : pas beaucoup, soyez-en sûr !” Des mots qui rappellent une nouvelle fois la volonté de communiquer sur la supposée fiabilité des frontières roumaines.
Jean Comte.