L’enquête annuelle sur le sexisme en France qui vient d’être publiée par le HCE alerte sur la persistance et même l’aggravation des réflexes machistes en particulier chez les enfants et les jeunes. Elle souligne l’impact de leur éducation pornographique via internet sur leurs comportements envers les filles. Ces données méritent d’être mises en relation avec une autre donnée à savoir l’augmentation assez sidérante des demandes de changement sexes chez les filles, au niveau du collège, que ce soit en ville ou en milieu rural.
Cette augmentation ne résulte pas seulement d’un phénomène de mimétisme ou de l’accélération de l’acceptation sociale de la trans-identité. Elle est aussi fortement liée à l’augmentation des violences sexistes dès l’école et au refus des filles pubères ou pré-pubères de les subir. Les jeunes filles d’aujourd’hui éprouvent une dissonance grandissante entre leur adhésion spontanée au discours féministe et leur confrontation quotidienne à la violence effective des rapports de sexes entre les jeunes. Cette dissonance ne trouve pas à s’exprimer du fait d’une absence de lieu de parole et de personnes prêtes à les entendre et du fait plus généralement d’un processus permanent d’inconscientisation collective des rapports de sexes que j’ai analysé dans mes livres comme faisant partie intégrante du fonctionnement du système de colonisation sexiste.
En conséquence, les filles ne trouvent pas d’espace pour expliciter et symboliser leur révolte contre les agressions verbales ou physiques qu’elles endurent et cela les incite à tenter d’échapper au destin de corps violables tels que les représente la pornographie et pour ce faire elles demandent à devenir des garçons. Leur aspiration à l’émancipation se cristallise ainsi dans un passage à l’acte techno-médical synonyme de modernité, qui signifie qu’elles ne veulent pas rester des victimes, avec l’illusion qu’elles se mettront ainsi alors à l’abri des agressions. Ce qui est grave c’est que tout pousse les adultes embarrassés par cette demande à la prendre au mot, sans faire le lien entre le malaise des filles vis à vis de leur corps femelle et la violence imbécile qui intoxique les rapports sexués dès l’enfance. Le prix que paient ces filles pour échapper à l’humiliation de leur corps femelle c’est finalement une castration de leur femellité[1]. Or la castration symbolique mais aussi physique du corps sexué femelle au travers des amputations sexuelles est une des pratiques du colonialisme sexiste pour subordonner les femmes. Le paradoxe actuel, c’est que ce sont les filles elles-mêmes qui souhaitent leur castration pour clamer leur droit à choisir leur sexualité et leur droit à échapper à l’humiliation. Ce paradoxe est significatif du niveau de sexisme atteint dans notre société où chaque poussée d’émancipation déclenche une augmentation de la violence colonisatrice[2].
Face à l’accroissement de la haine antifemelle, les mouvements féministes ont le devoir de défendre la dignité femelle des filles, leur droit d’exister et leur liberté d’être. Et cela passe par un grand mouvement de décolonisation qui touche aussi bien les corps, les fécondités que les dimensions existentielles, socio-économiques, politiques et spirituelles de la vie commune.
Pour revenir au constat de l’impact de l’industrie du porno sur l’aggravation des violences contre les femmes, précisons que sa fonction dans une société sexiste est de mettre en œuvre concrètement la destruction de la dignité femelle, la falsification des interactions jouissives en pratiques coutumières du viol et finalement la sous-humanisation des personnes sexuées femelles. Bref cette industrie hautement rentable est l’instrument de ce que j’ai nommé comme le premier acte de la construction de l’hégémonie des mâles, à savoir l’éviction du corps sexué femelle hors de l’horizon humain[3] qui le prive de son humanité et le condamne au mépris. C’est assez hallucinant de voir, malgré les discours officiels contre les violences faites aux femmes, que cette industrie jouit d’une totale impunité. Faute d’analyser la production de la violence sexiste, la prévention des violences contre les femmes se réduit trop souvent à réclamer des subventions auprès de l’état pour pallier aux conséquences des agressions. C’est certes nécessaire mais tragiquement insuffisant comme le constate aujourd’hui le bilan du HCE. L’action féministe doit aujourd’hui dépasser ses limites conceptuelles en se confrontant aux obstacles réels à la libération des femmes, pour proposer une stratégie et méthodologie pour que les femmes prennent en main leur démarche de décolonisation, c’est ce que je me suis efforcée de faire dans le livre paru dernièrement : La démarche autogérée de décolonisation [4].
[1] Roelens N., La Femellité et le réel prosaïque de la vie humaine L’Harmatten 2013
[2] Roelens N., Poussées d’émancipation et violences colonisatrices , L’Harmattan 2014
[3] Roelens N., Comment se fabrique l’hégémonie de l’humanité mâle ?, L‘Harmattan 2016
[4] Roelens N., La démarche autogérée de décolonisation , L’harmattan 2002