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Billet de blog 21 novembre 2022

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Zéro pointé pour le Vietnam sur la peine de mort

Alors que se tenait à Berlin le 8e Congrès contre la peine de mort, le Comité des droits de l’Homme de l’ONU a donné les plus mauvaises notes aux déclarations et actions du Vietnam concernant la peine capitale.

Nhat Vo Tran

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le Comité des droits de l’Homme a été constitué pour superviser l’application du Pacte international relatif aux droits civils et politique (PIDCP, 1966), l’un des piliers de la Charte des droits de l’Homme de l’ONU, et est constitué d’experts indépendants issus de toutes les traditions juridiques. Tous les États ayant accédé au PIDCP ont accepté de jure que la communauté internationale puisse juger de leur situation des droits humains et se sont engagés à produire tous les deux ans un rapport sur leurs efforts pour mettre en œuvre ce traité [1]. C’est dans ce cadre qu’intervient le dernier rapport rendu public le 11 novembre 2022 où les experts évaluent les informations fournies par le gouvernement vietnamien sur ses (non)efforts pour appliquer les stipulations du PIDCP, en somme pour respecter les droits et libertés fondamentales.

Le Comité des droits de l’Homme s’est attaché ici à trois questions brûlantes au Vietnam, à savoir la peine de mort, le droit à la liberté d’expression et la situation des défenseurs des droits humains. Ses notes s’appuient sur une évaluation des dires du gouvernement vietnamien et des informations collectées par les organisations non-gouvernementales (ONG).

Sur les trois points, les notes sont dignes des cancres de la classe : « E » et, dans le meilleur des cas, « C » (l’échelle va de « A » à « E »). Pour comprendre un peu la notation des experts de l’ONU, il faut savoir que ces notes évaluent autant la bonne volonté des États (Répondent-ils aux questions ? Écoutent-t-ils les conseils ?...) que la teneur de leur politique sur les droits humains (Bafouent-ils les droits fondamentaux ou au contraire les garantissent-ils ?).

Ainsi, pour ce qui nous intéressent, la note « E » signifie que l’État refuse, voire s’oppose aux recommandations onusiennes. Bref, il viole les droits humains et l’assume, ou s’en vante. La note « C » sanctionne l’État violateur des libertés qui prend la peine de répondre aux experts, éventuellement en faisant semblant de vouloir s’améliorer. Dans le système de notation français, on pourra dire que « E », c’est le zéro pointé et le « C », le 1/20 pour l’encre sur la copie !

Le verdict pour le Vietnam est donc accablant. Nous nous concentrerons sur la peine capitale.

La peine de mort : des morts à la pelle

S’agissant de la peine capitale, le Comité des droits de l’Homme a attribué les notes les plus mauvaises. Le Vietnam obtient un « E ». Si, sur certains points, il a pu obtenir un « C », c’est parce qu’il a répondu à certaines questions en faisant miroiter une signature au Deuxième Protocole au PIDCP (visant à l’abolition de la peine de mort) et qu’il a effectivement réduit le nombre d’articles du Code pénal prévoyant cette peine. Mais comme trop souvent avec les droits humains au Vietnam, c’est un miroir aux alouettes.

Il y a en effet un véritable paradoxe au Vietnam où le nombre des crimes passibles de mort diminue mais les condamnations à mort augmentent. Cela ruine un peu l’argument du gouvernement sur le caractère dissuasif de la peine capitale. Cela est surtout dramatique. Bien que les statistiques (et les informations en général) sur la peine de mort soient classées dans les « secrets d’État », il reste possible de s’enquérir de la situation. Le VCHR et la FIDH, par exemple, ont ainsi pu trouver des comptes-rendus sur le rapport du gouvernement à l’Assemblée Nationale vietnamienne qui montrent une augmentation significative des condamnations à mort : 440 condamnations à mort en 2020 soit une augmentation de 34% par rapport à 2019 [2].

Les comptes-rendus faisaient également état de la surpopulation dans les couloirs de la mort et de délais « extrêmement longs » pour les exécutions. Amnesty International estime à plus de 1200 détenus en 2021. Le nombre effarant de ces détentions, dans des conditions connues pour être déplorables, a sans doute été aggravé par les déboires des exécutions au Vietnam.

Autrefois, les condamnés étaient fusillés. Mais en 2011, pour rendre ces exécutions « plus humaines » (pour les bourreaux dont beaucoup devenaient dépressifs), le Vietnam a opté pour l’injection létale mais s’est heurté au refus de l’Union Européenne de vendre les produits nécessaires aux injections. Les autorités vietnamiennes ont donc suspendu les exécutions le temps de concocter leur propre préparation létale avec ses ratés (nous évoquions ici l’agonie de 2 heures du premier exécuté vietnamien par injection létale). Le problème semblait réglé mais les révélations du VCHR et de la FIDH disent autre chose.

Ces ONG ont révélé aux experts de l’ONU le décret 43/2020/NĐ-CP, entré en vigueur en avril 2020, qui réglemente tout le processus d’exécution par injection létale avec une précision chirurgicale. Outre le type de produits à utiliser et l’ordre dans lequel il faut les utiliser, le décret veut prévoir les imprévus : Ainsi, si 10 minutes après l’injection létale, le cœur bat toujours, il faut une deuxième injection. Si celle-ci ne donne toujours pas de résultat après 10 minutes, ce sera une troisième injection. Encore dix minutes d’échec et, ordonne le décret, il faudra suspendre l’exécution et remettre à plus tard.

Ce décret est inquiétant car son existence même révèle les probables dysfonctionnements constatés au cours de la dernière décennie. Prévoir explicitement une deuxième voire une troisième injection létale laisse augurer que la première injection ne fonctionne pas toujours et peut-être rarement. Prévoir explicitement de suspendre l’exécution au bout d’une demi-heure fait comprendre qu’il n’est peut-être pas rare que l’agonie du supplicié dure plus longtemps…

Tout aussi inquiétant est, comme le note le Comité des droits de l’Homme, l’inaptitude du Vietnam à garantir des procès équitables (y compris lorsque la peine de mort est en jeu), à ouvrir à toutes les personnes concernées la possibilité de commutation des peines, et à s’attaquer à ces problèmes (mais le gouvernement veut-il ?). En somme, les condamnés à mort passé ou futurs n’ont pas les moyens de prouver leur innocence, de contrer l’erreur judiciaire et, s’ils sont effectivement coupables, de défendre au mieux leurs intérêts, leur dignité et en fin de compte leur vie.

Enfin, les experts onusiens s’inquiètent de ce qu’au Vietnam, la peine de mort ne sanctionne pas les seuls crimes les plus graves, conformément au droit international. À ce sujet, le VCHR et la FIDH leur avaient signalé que nombre des articles du Code pénal sur la « sécurité nationale » prévoyaient la peine capitale sans pour autant distinguer les actes violents du simple exercice légitime et pacifique des libertés fondamentales.

Ces articles concernent des crimes aux noms grandiloquents qui peuvent faire illusion, comme la « haute trahison » ou l’« espionnage », mais comme leur rédaction reste extrêmement vague, ils sont de véritables fourre-tout [3].

Ainsi l’article 109 sur les « activités visant à renverser l’administration du peuple » pourrait en théorie punir un citoyen se présentant aux élections contre le Parti Communiste du Vietnam au pouvoir. Bien entendu, les autorités vietnamiennes n’ont pas franchi ce pas. L’article 109 est juste largement utilisé pour réprimer la dissidence [4].

Répression de l’expression et défenseurs sans défense

D’ailleurs, le rapport du Comité des droits de l’Homme concerne deux autres questions cruciales : le droit à la liberté d’expression et la situation des défenseurs des droits humains.

En matière de liberté d’expression, le Vietnam obtient un « E » car le Vietnam s’attache plus à restreindre, et en réalité étouffer, la liberté d’expression qu’autre chose. Les Vietnamiens ne peuvent en effet pas exprimer une opinion non-conforme aux caprices du Parti unique sans risquer les harcèlements, les agressions et la prison.

La note onusienne colle bien à la réalité vietnamienne : les blogueurs, cyberdissidents ou simples netizens (citoyen du net) sont massivement réprimés, arrêtés et condamnés, et les autorités occupent une grande partie de leur temps à adopter des lois et des règlements interdisant insidieusement, parfois ouvertement, toute expression libre (loi sur la cybersécurité, loi sur la presse, décrets sur les sanctions administratives contre les journalistes (119/2020/NĐ-CP) ou dans le domaine des communications (15/2020/NĐ-CP), décret 72/2013/NĐ-CP sur l’internet…)

Sur la question des défenseurs des droits humains, les experts de l’ONU ont donné un « C » parce que le Vietnam a pris la peine de répondre aux questions. Mais les réponses du Vietnam sont jugées par les experts de l’ONU comme peu satisfaisantes et les efforts (vagues et plutôt déclaratoires, en réalité) n’améliorent en rien le sort des défenseurs des droits humains [5].

Le Comité des droits de l’Homme avait recommandé d’une part de les protéger contre toute forme de menace, d’intimidation et d’agression physique, d’autre part de poursuivre et condamner les auteurs de ces harcèlements. Le Vietnam a répondu, comme à son habitude, que la loi interdisait déjà de tels agissements, sans dire que c’était l’État-Parti lui-même qui attaquait les défenseurs. Pour lui, si par hasard des actions des défenseurs étaient entravées ou réprimées c’est parce qu’elles étaient « illégales » [6].

Au-delà de la peine de mort

Outre la situation de la liberté d’expression et des défenseurs des droits humains, la peine de mort est un vrai problème au Vietnam parce que se jouent la vie de citoyens parfois innocents et la dignité humaine en général, mais également parce qu’elle est révélatrice d’un implacable régime qui n’a que faire de la personne humaine, qui n’a rien compris aux droits humains et ne se soucie aucunement de ses obligations internationales. Le fait qu’un tel État ait été élu au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, cet automne, montre que le Vietnam reste un maître dans l’art de la propagande et que la lutte pour les droits humains est encore long.

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[1] Le Vietnam a accédé au PIDCP en 1982. Le rapport du Comité des droits de l’Homme du 11 novembre 2022 concerne le troisième rapport du Vietnam sur le PIDCP.

[2] Du fait du classement dans les « secrets d’État », en 2004, des informations sur la peine de mort, les ONG ont du mal à déterminer le nombre de condamnations à mort et d’exécutions au Vietnam. Mais les estimations jugées raisonnables tournent autour de 100 condamnations par an. En 2021, Amnesty International a comptabilisé 119 condamnations.

[3] Informer des ONG à l’étranger sur les manifestations paysannes contre les confiscations des terres a été assimilé au fait d'« envoyer des informations à l’étranger pour nuire à la République Socialiste du Vietnam » et donc à l’espionnage. L’ancien soldat Nguyễn Khắc Toàn, qui aidait les paysans à rédiger leurs plaintes et en avait communiquées certaines à l’étranger, a ainsi été condamné à 12 ans d’emprisonnement pour espionnage le 20 décembre 2002.

[4] Signalé par des ONG comme le VCHR, cet article est considéré depuis des décennies par l’ONU comme particulièrement préoccupant. Le Groupe de travail sur la détention arbitraire de l’ONU s’exprimait déjà en 1995 sur « l’article 73 (actuel article 109, NdA) qui traite des ‘activités visant à renverser le pouvoir du peuple’. Cet article a été souvent critiqué parce qu’il ne fait pas de différence, du point de vue du modus operandi, entre ceux qui utilisent la violence pour arriver à leurs fins et ceux qui se placent uniquement dans le cadre d’une action politique, essentiellement pacifique, qui n’est que la manifestation, en définitive, des libertés d’opinion et d’expression, d’association et de réunion » (Visite au Viet Nam, Groupe de travail sur la détention arbitraire, 18 janvier 1995, réf. E/CN.4/1995/31/Add.4, §35)

[5] Il faut noter que le régime vietnamien ne reconnaît aucun statut aux défenseurs des droits humains. En 2014, le Vietnam, avec d’autres États comme la Russie, Cuba, l’Arabie Saoudite ou la Chine, avait tenté d’affaiblir le mandat du Rapporteur spécial de l’ONU sur les défenseurs des droits de l’Homme. À cette occasion, un diplomate vietnamien à Genève avait expliqué : « Les soi-disant défenseurs des droits de l’Homme ne constituent pas un groupe vulnérable. Le mot ‘défenseur des droits de l’Homme’ n’existe pas dans mon pays » (voir The Death of Vietnam’s Teacher Dinh, par Vo Van Ai, The Wall Street Journal, 14 avril 2014)

[6] Exemple de dispositions légales liberticides parmi d’autre mais particulièrement éclairant, l’article 331 du Code pénal interdit l’« abus des libertés démocratiques pour nuire aux intérêts de l’État », sachant que dans les faits l’« abus » consiste à juste faire valoir ces libertés.

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