La sentence est tombée comme un couperet le matin du 4 février 2013 : 22 personnes, dont le procès avait débuté une semaine plus tôt dans la province de Phu Yen (sud du Vietnam), ont été condamnées à de très lourdes peines d’emprisonnement, une à perpétuité (pour le chef du groupe, M. Phan Van Thu) et les autres allant de 10 à 17 ans. La raison ? Elles auraient eu des « activités visant à renverser le gouvernement » au terme de l’article 79 du Code pénal vietnamien.
A lire la presse officielle vietnamienne, c’est une véritable association de malfaiteurs qui a été démantelée et la « sécurité nationale » sauvegardée par le travail des policiers et des juges. On aurait même pu parler de « rebelles » ou de « terroristes » mais, comme le soulignent les journalistes d’Etat, l’organisation « avait choisi la méthode de la non-violence » pour « essayer de gagner la confiance des masses contre le leadership du Parti et de l’Etat » ! Sous d’autres cieux, comme le note Vo Van Ai, Président du Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme, « cela s’appelle la démocratie », mais pas au Vietnam.
En réalité, ce procès est un autre exemple de procès inique, parmi d’autres (et qui ont tendance à se multiplier ces derniers temps), dont le rôle est de faire peur au reste de la population et lui montrer ce qu’il en coûte de ne pas penser comme le Parti au pouvoir ou, du moins, de ne pas se taire. On ne sait pas grand-chose de ce qui s’est dit au cours des cinq jours de procès à huis-clos. Juste que les accusés se sont montrés particulièrement doux, auraient reconnu leurs fautes et que leur avocat, désigné par la cour, n’a pas bronché face aux peines demandées par le ministère public et qu’au contraire, il a jugé les sentences « appropriées » aux faits reprochés.
Quels sont les faits reprochés ? Les 22 condamnés appartiennent à une organisation dénommée « Conseil Bia Son pour la loi et les affaires publiques », groupe mi-écologiste mi-religieux qui rêve d’une utopie mêlant harmonieusement science, nature et humanité, et qui se réfère au pays merveilleux imaginé au XVIème siècle par Nguyen Binh Khiem, une sorte de Nostradamus vietnamien. Bref, des gens un peu farfelus qui n’en œuvrent pas moins pour l’environnement, la reforestation et l’écotourisme notamment, et diffusent leurs idées de manière pacifique au moyen de prospectus et de conférences.
Les autorités vietnamiennes prétendent que lesdits prospectus « [défiguraient] les options et politiques du Parti et de l’Etat, dans le but de perturber l’opinion publique », ce qui en langage clair (et en l’absence des textes incriminés pour juger) signifie qu’ils critiquaient l’Etat-Parti, crime très grave dans le régime de propagande qu’est le Vietnam actuel. En outre, il est noté, dans la presse officielle, que l’organisation avait ouvert des branches dans plusieurs localités du sud du pays, recruté 293 membres et reçu des financements de Vietnamiens à l’étranger. Or être organisé et s’étendre (en dehors du Parti communiste, cela s’entend) constitue une des grandes craintes du gouvernement et donc un crime particulièrement grave. Par ce procès, ce régime qui a peur veut donc instaurer la terreur.
L’arbitraire légalisé
Outre le nombre des condamnations simultanées, ce procès est marquant car il constitue un cas d’école de la répression « légale ». Le Vietnam, comme d’autres dictatures, utilise la force policière brute pour écraser ceux qui le gênent, mais comme il a besoin des capitaux des donateurs et des investisseurs, il recouvre ses exactions d’un vernis de « légalité ».
Lorsque les 22 ont été arrêtés au début l’année 2012, les autorités vietnamiennes les ont d’abord inculpés d’« abus des libertés démocratiques pour nuire aux intérêts de l’Etat » (article 258 du Code pénal), un crime passible de 7 ans d’emprisonnement au maximum, qui sert dans son essence à réduire à néant la déclaration des droits fondamentaux présente dans la Constitution vietnamienne de 1992. Le ministère public a finalement choisi de les poursuivre pour « activités visant à renverser le gouvernement du peuple » (article 79), improprement résumé en « subversion », crime qui prévoit l’emprisonnement de 12 à 20 ans, la détention perpétuelle et la peine capitale.
Cet article 79 relève du chapitre sur les atteintes à la « sécurité nationale », concept qui a remplacé dans les années 1980 celui de crimes « contre-révolutionnaires » parce que cela était acceptable aux oreilles des bailleurs de fonds occidentaux, et dont la définition est si vague que l’ont peut y incriminer à peu près tout ce que l’on veut (dans le passé, on a considéré comme « atteinte à la sécurité nationale » le fait de distribuer des prospectus en faveur des droits de l’Homme ou le fait d’agiter un petit drapeau du régime sud-vietnamien disparu !).
En 1995, à la suite de sa visite au Vietnam, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire avait critiqué cet article (il s’agissait alors de l’article 73) parce qu’il « ne fait pas de différence […] entre ceux qui utilisent la violence pour arriver à leurs fins et ceux qui se placent uniquement dans le cadre d'une action politique, essentiellement pacifique, qui n'est que la manifestation, en définitive, des libertés d'opinion et d'expression, d'association et de réunion ». La critique a été reprise, entre autres, par le Rapporteur spécial de l’ONU sur l’intolérance religieuse après son voyage au Vietnam en 1997, et par le Comité des Droits de l’Homme de l’ONU en 2002. Le Vietnam n’a tenu aucun compte des recommandations onusiennes, au contraire.
Jusque-là, la critique n’avait été que théorique parce que le Vietnam avait peu utilisé l’article 79, préférant aux grands procès politiques (qui font de la mauvaise publicité sur la scène internationale) les « détentions administratives » (sans procès, voire sans motif) qui attirent moins l’attention. Elle devient une triste réalité avec ce procès où la croyance en un pays utopique et le choix de la non-violence sont punis le plus durement imaginable.
L’agence de presse note, dans son compte-rendu du 4 février 2013, que « grâce à ses dénonciations sincères [=il a reconnu ses fautes, NdA], la peine de Phan Van Thu […] a été condamné à la prison à vie ». On n’ose imaginer quelle peine il aurait eu s’il n’avait pas fait amende honorable…