Nous avons lutté ensemble, à défendre nos châteaux de sable, les fesses mouillées, contre les assauts de la marée montante, sous le regard vaguement soupçonneux de la vieille aubergiste, en haut de la plage. Nous lui achetions souvent des Carambars, et nous avons débordé de ses perpétuelles histoires ressassées de sous-marins allemands qui faisaient glouglouter ses lavabos lorsqu’ils passaient dans le chenal qui sépare l’île de la terre ferme. Alors elle savait qu’ils étaient là…
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                    Nous avons passé, la petite bande que nous étions, des après midi entières à égrainer les « Milles Bornes » les jours de pluie dans le minuscule salon vitré à petits carreaux ; à cache-cache derrière les grands pins de la côte de Ker Huel les jours de soleil; et campé sous ceux ténébreux du « tennis », un peu inquiets des bruits du ressac et du grincement des lourdes branches noires.
Nous avons ramassé, mollets rayés, en fin de saison, lorsque l’île se vidait, les mûres de ronces, dans les landes du Nord pour garnir les tartes que nous préparait sa grand mère.
Nous avons tant ri, avec sa mère et ma grand mère, regroupés autour de la cheminée lors des sombres et froides soirées des vacances de Pâques, où nous faisions bloc contre le crachin. Son père me faisait un peu peur. Son oncle nous faisait rire.
Puis nous avons eu dix huit ans, nous avons fait nos vies, nos amours, nos enfants. Le temps a passé, et chaque été depuis 70ans, nous sirotions d’abord la grenadine, puis le blanc-cass, les soirs de beau vent d’Est, sur sa terrasse qui domine le Ferlas, irrémédiablement ébahis des éclats du coucher de soleil sur le clapot de courant.
Hier, il faisait soleil sur les colonnes peintes de rouge de St Germain des Près à l’enterrement de Marie Jeanne. Toute une partie de notre enfance s’est fissurée, partie avec elle, emportée par le courant. Les musiciens et les peintres, les vieux voileux, les constructeurs de châteaux de sable et autres pêcheurs étaient là. Les yeux de la petite bande étaient rouges. Aussi.