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Billet de blog 25 juin 2014

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Ma réponse à une amie opposée à la grève des intermittents

Bonjour M.Comme tu peux t’en douter, je ne partage pas entièrement  ton avis, même si je ne suis sûr de rien, et que je me fourvoie peut-être joliment dans l’errer. je ne sais pas trop.Je pense que les résultats de l’annulation des festivals de 2003 sont bien plus importants que ce que l’on pense.

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Bonjour M.
Comme tu peux t’en douter, je ne partage pas entièrement  ton avis, même si je ne suis sûr de rien, et que je me fourvoie peut-être joliment dans l’errer. je ne sais pas trop.
Je pense que les résultats de l’annulation des festivals de 2003 sont bien plus importants que ce que l’on pense. Certes le protocole a été appliqué en 2003, avec un fond qui permet de « repêcher » ceux qui sont censés ne plus avoir droit à rien, un peu le même pansement qu’ils veulent nous « offrir » cette année. Mais surtout, surtout, depuis 2003, donc surtout durant les 5 années de Sarkosy et les 8 années de Parisot au MEDEF, on n’a plus ressorti le dossier des intermittents, et il valait mieux ne pas le toucher.
Parisot l’a affirmé, tant qu’elle serait au MEDEF, elle préfèrerait ne pas s’attaquer à cet épineux dossier. Bien sûr ce n’était pas un avenir, juste un état stationnaire. Mais pourquoi? Parce que les institutions avaient  pris enfin, et peut-être pour la première fois, l’ampleur de ce secteur de la culture, et surtout de toute cette économie parallèle liée à notre monde (les fournisseurs, restaurateurs, SNCF, sous-traitants, etc.). Je ne dis pas qu’il fallait en rester là, mais juste rappeler à quel point ces événements de 2003 ont eu un impact.
Si les festivals n’avaient pas été annulés, avec toute la tristesse que cela représente, il n’y aurait peut-être (certainement) plus d’intermittents aujourd’hui. Pour eux, bien sur que l’accord de 2003 ne devait pas en rester là. Il était censé être un premier pas, avant une refonte totale su système, et la suppression de ces régimes « privilégiés ». Je pense sincèrement que sans les évènements dramatiques de 2003 nous aurions été passés à la moulinette par Sarkosy et Parisot depuis longtemps. Et que peut-être à l’heure des évènements actuels, il n’y aurait plus d’intermittents du spectacle.
Ils ont maintenant peur de nous. Peur de ce que nous représentons, et c’est déjà énorme!!
Alors oui, ces annulations de festivals sont un déchirement, oui il y a des effets contre-productifs (il y en a toujours), mais nous sommes entendus, et contre l’avis partagé par certains, nous sommes maintenant identifiables par l’opinion publique, non plus comme une fraction de fumeurs de haschich saltimbanques, mais comme de véritables travailleurs, avec leurs droits, leurs revendications, et l’intérêt que nous représentons pour la France (au moins économique, puisqu’il n’y a que cela qui semble intéresser le monde d’aujourd’hui).
Il y a également la douloureuse question de tous ceux qui ont déjà fait grève. De ces dizaines de spectacles annulés cette année, de créations répétées pendant plusieurs mois et annulées, à Montpellier, à Uzès, à Marseille, …
On leur dit quoi?  "C’est gentil d’avoir fait grève contre cet accord infâme, mais en fait on va tous retourner au travail, le texte va être signé, et on va négocier un de ces quatre. »  J’aurais personnellement honte, après l’énorme prise de risque que consiste d’être les premiers à lancer un mouvement, de les lâcher maintenant. Tant d’argent perdu, d’énergies, de tristesses, pour arriver à ces quelques déclaration de Valls qui suffiraient à justifier leurs grèves. "Vous n’avez pas fait grève pour rien, le gouvernement nous a entendu (il serait temps depuis 11 ans) et on va maintenant négocier." Mais cela fait 11 ans maintenant que le "comité de suivi des intermittents" propose des choses concrètes. De négociations, il n’y an a jamais eu, et il n’y en aura pas plus suite aux déclarations de Valls. Ces annulations n’auraient alors servi à rien!
Le gouvernement ne veut que deux choses, et ils sont très clairs là-dessus :
- 1° Avignon et Aix sont un symbole de la Gauche Bourgeoise, et de la culture à l'étranger. Il ne faut pas aller jusqu’à l’annulation.
- 2° Diviser pour mieux régner. C’est un grand classique, monter les uns contre les autres. Et c’est aussi comme cela qu’on fait monter l’extrême droite dans un pays. Valls n’a affirmé entre les lignes que cela: j’apporte, en grand Seigneur, des améliorations au texte (ce qui est faux bien entendu), et maintenant c’est aux intermittents de prendre leurs responsabilités si ils veulent continuer leurs conneries d’annulation. Ils seront alors anti-démocratiques, et donc contre le Peuple.
 Ce sont les seules choses qu’il fallait entendre dans le discours de Valls.
Si l’intérêt avait été celui des bénéficiaires, les travailleurs, alors il aurait commencé par ne pas signer ce texte.
Comment pouvoir croire à une mince, très très mince, once de sincérité d’un gouvernement qui peut accepter qu’un texte est mauvais, mais qui commence d’abord par le signer??
Puisqu’on doit le re-discuter, c’est bien qu’il est mauvais, et puis il ne faut quand même pas ignorer le nez, que dis-je le pif énorme au milieu de la figure: LE ministre qui doit signer ce texte est cet homme qui disait que ce texte était mauvais quelques jours avant d’être ministre. Et on devrait croire ces gens-là?
On parle de confiance. Nous ne leur faisons pas confiance, et ils ne nous font pas confiance. Normal. Donc, commençons par ne rien signer, et on pourra alors en effet discuter.
« Bonjour Madame, alors voilà comment nous procédons chez nous pour acheter une voiture: vous nous faites le chèque, on signe le contrat, et ensuite on négociera ce que l’on écrit sur le chèque, le modèle, la marque, la couleur, en espérant que cela vous convienne. On arrivera bien à trouver un terrain d’entente… mais d’abord, on signe. » Tu signerais?
Alors oui, je pense qu’il faut continuer ce combat. Et quel autre moyen d’être entendu que la grève?
La Culture ne représente RIEN pour ce monde où seule l’économie est entendue. Hollande devait être le Président de l’Education, de la Culture donc aussi (quelle meilleure éducation de l’âme humaine que la culture?). Il n’en est rien. Tout est massacré, et ses promesses ne sont pas tenues.
Alors que nous reste-t-il? Comment se faire entendre? Il n’y a que deux choses qui les intéressent: l’économie et la communication (l’image).
C’est là que, malheureusement, la grève prend tout son sens:
- Economiquement, nous imposons à quel point nous sommes importants dans ce pays. Je n’aurais jamais cru me battre un jour pour la Culture sur ce terrain là. Mais si c’est le seul terrain sur lequel nous pouvons les blesser, alors pourquoi pas. L’économie est Reine, alors ils sont bien obligés (et en cela 2003 est un tournant majeur) d’avoir peur de nous, de nos annulations, et des répercussions terribles pour l’économie d’une ville, d’une région.
- En terme de communication, les conseillers doivent avoir du travail car jamais un Président n’a été aussi peu aimé dans la 5ème République. Donc les conflits doivent être évités, peu importe lesquels. Et le contexte actuel joue pour nous. Les Cheminots, les agriculteurs, les intermittents, les postiers… le gouvernement craint une montée en puissance et une généralisation de la grogne. Donc, nous pouvons encore être écoutés, parce qu’ils ont besoin de notre silence.
Et puis, autant parfois les conflits sont complexes, et les issues compliquées, car les revendications sont difficiles à comprendre; autant, rarement une demande n’a été aussi simple: IL SUFFIT QUE LE GOUVERNEMENT NE SIGNE PAS CE TEXTE. C’est très très simple. Surtout quand le GOUVERNEMENT LUI MEME N’EST PAS D’ACCORD AVEC LE DIT TEXTE:
- La Ministre de la Culture a clairement dit que ce texte n’est pas bon
- Le Ministre du Travail soutenait les intermittents contre ce texte (avant de rentrer au Gouvernement).
- Des dizaines de parlementaires ont écrit au Gouvernement pour dire que ce texte n’est pas bon
- Le Premier Secrétaire du Parti Socialiste (faut-il rappeler que c’est le Parti du Gouvernement en place??) a demandé de ne pas signer ce texte
- …
Alors, je pense que ce combat, et ces grèves dépassent de très loin notre combat. Si ce texte passe, avec tout ce que je viens de dire et d’énoncer… je ne trouve pas mes mots. Ce n’est plus de la trahison auprès d’un peuple qui a voté. Ce n’est plus la porte ouverte aux Extrêmes qui vont récupérer les abasourdis qui voient un Gouvernement dire quelque chose et faire le contraire (l’Extrême Droite, le Djihadisme, l’anarchisme, …). C’est tout cela à la fois, et bien pire encore.
Oui, Edwy Plenel a raison. Ce combat est idéologique. Il oublie juste de dire qu’il est idéologique des deux côtés:
- On se fout bien dans le Gouvernement des 180 millions d’Euros que ce texte pourrait faire économiser. On sait bien que 180 Millions c’est une goutte d’eau. On veut juste ne pas se mettre le MEDEF à dos, alors que des dossiers brulants sont sur le feu.
On ne voudrait pas que les Cultureux donnent trop d’idées à d’autres. Il ne s’agit pas d’économie, il s’agit d’Idéologie.
- De notre côté, laisser signer ce texte, c’est accepter que le MEDEF dicte ses lois. Qu’il est donc maintenant plus fort qu’un Etat tout entier, que des élections, que le peuple.
Ce serait accepter qu’un Gouvernement puisse faire n’importe quoi en opposition même aux idées de ceux qui l’ont élu, contre le Peuple.
Pour finir, toujours cette idée de contre productivité. Toujours cette peur de se mettre l’opinion à dos. Mais ce serait encore une fois donner raison aux gouvernants, et aux communicants. C’est leur cheval de bataille, le dernier qu’il leur reste. Monter les uns contre les autres. Il ne faut pas rentrer dans leur jeu.
Et puis, la situation n’est plus la même qu’en 2003. Nous avons la chance, depuis cet automne que des chiffres jouent pour nous (puisque, encore une fois, il n’y a que les chiffres qui comptent, l’économie).
L’opinion peut enfin savoir (pour peu qu’on leur dise, encore et encore) que la Culture rapporte plus que l’industrie automobile. Nous ne sommes plus un groupe de clowns fainéants, mais une industrie rentable, inimaginable il y a encore quelques années.  Annuler des spectacles, ce n’est pas priver des spectateurs d’une bonne soirée, c’est priver des retombées économiques parallèles de plusieurs dizaines de millions d’Euros. Le bois des décors, les clous, les vis, le transport, le restaurant, l’hotel, la peinture, les costumes, les projecteurs, les micros, la SNCF, le pain des sandwiches, l’eau, l’électricité, le tapis de danse… ce sont des travailleurs français qui sont derrière tout cela, des spectateurs potentiels. Ce sont donc eux aussi, les spectateurs, qui ont besoin de notre manne financière, de nos commandes, de notre consommation. Je ne parle pas seulement de spectacles qu’on leur « confisque » comme voudrait le faire croire les communicants (la presse en premier lieu).
Encore une fois, c’est un grand classique: tout le monde par exemple en ce moment peste contre les prix déments des billets de train en France; et pourtant le jour où les cheminots descendent dans la rue, pour nous avertir des conséquences d’une privatisation déguisée de la SNCF, le démantèlement du service public, la recherche de bénéfices pour des sociétés privées, donc la montée inéluctable du prix des billets, les communicants ne montrent que des Français exaspérés contre ces cheminots « toujours en grève » et « qui m’ont fait rater mon train ce matin pour aller au boulot ».
L’arabe contre le Juif, l’ouvrier contre le patron, le cheminots contre le transporté, l’intermittent contre le spectateur, le privé contre le public, le médecin contre le malade, le gréviste contre le non-gréviste…
C’est leur seule arme. Et malheureusement le seul angle de vision d’une presse majoritairement feignante.
Encore une fois, je me trompe peut-être, et j’aimerais croire qu’il existe encore d’autres moyens pour arriver à des résultats démocratiques… mais je dois avouer mon pessimisme.
Je ne vois pas trop d’autre moyen que de faire grève, nous faire entendre. Utiliser leurs propres armes: l’économie et la communication. L’argent et le bruit.
De toute manière… on en fera quoi de notre image le jour où il n’y aura plus d’intermittents?
Quelques personnes nous prendront toujours pour des bons à rien, et pas seulement à droite. Mais je jour où il n’y aura presque plus de Culture en France, tu crois qu’on aura une meilleure image? Inversement, si on défend l’Art dans notre pays, tu crois qu’on peut vraiment avoir une mauvaise conscience, avoir « honte" d’avoir privé quelques spectateurs, et conforté l’idée de quelques-uns que nous sommes des minables?
Pour tous ceux qui ont déjà fait grève.
Pour défendre la culture dans ce pays.
Pour ne pas céder à cette peur de nous « monter » les uns contre les autres.
Par idéologie. Par combat. Par vigilance.
Pour ne pas donner un chèque en blanc à l’Etat.
Pour ne pas donner un chèque en blanc au MEDEF, au capitalisme, à l’Economie toute puissante.
Par indignation, et pour faire comprendre aux autres qu’il n’est jamais bon de baisser les bras.
Parce que la culture est un symbole, et que les grands changements de société passent bien souvent par elle.
Parce que ce n’est pas grave de ne pas être compris sur le coup.
Je ne vois pas grand chose d’autre que la grève. Malheureusement.
J’espère que tu auras compris, maintenant, pourquoi je ne partage pas ton avis de ne pas faire grève.
Nicolas Barrot

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