Avant-propos : Toutes les statistiques présentes dans cet article proviennent du livre "Le paysage associatif français" [Tchernonog et Prouteau, 2018].
En passant de 51% en 2005 à 45% en 2017, la part du financement public des associations n’a cessé de reculer depuis la crise économique de 2008 et les politiques d’austérité qui se sont succédées. Ce constat est encore plus sévère pour les associations sportives pour lesquelles la part du financement public est faible (23% en 2017).
Pour combler le retrait du financement public qui s’accélèrent d’années en années, les clubs peuvent augmenter le montant de leurs cotisations, diversifier leurs recettes ou encore tenter d’attirer des dons. Décrocher et conserver des dons d’entreprises n’a rien d’une sinécure pour les associations : des centaines de prises de contact pour très (très) peu de réponses, une compétition importante entre les associations d’un même tissu local, des sponsors à contenter, des contrats courts à renégocier en permanence… Tant d’énergie et de travail à fournir en grande partie par des bénévoles, puisqu’on ne compte que 12% d’associations employeuses dans le sport en 2018.
Avec la crise sanitaire et économique, cette mission déjà compliquée va se transformer en mission impossible. Pour les entreprises le budget sponsoring n’est clairement pas une priorité (c’est encore moins le cas pour le mécénat), lorsqu’il va falloir faire des arbitrages, ce budget va clairement jouer le rôle de variable d’ajustement. Pourtant, dans de nombreux cas, ces dons sont vitaux aux associations. C'est particulièrement le cas pour les associations sportives où la part des dons dans le financement global est la plus élevée du milieu associatif (8% en 2017).
De plus, la crise sanitaire a mis un terme aux saisons sportives de manière prématurée, les associations ont été contraintes d’annuler les événements de fin d’année souvent synonymes de rentrées de trésoreries. Quant à la rentrée, le contexte sanitaire incertain fait craindre une baisse du nombres de licencié·e·s. Pour pallier ces problèmes, le Ministère des Sports a lancé le 19 mai l’opération solidaire « Soutiens Ton Club » avec sa plateforme éponyme.

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Faire du neuf avec du vieux
La plateforme « Soutiens Ton Club » permet de faire des dons aux associations qui ont fait la démarche de s’y référencer. On distingue deux types de dons :
- Le don de particulier·e·s, qui offre une déduction fiscale de 66% sur l’impôt sur le revenu dans la limite de 20% du revenu imposable.
- Le don d’entreprise (mécénat ou parrainage) qui offre également une déduction fiscale, de 60% sur l’impôts sur les sociétés dans la limite d’un plafond de 0,5% du CA ou de 10 000€ HT.
Présentée comme une nouveauté par Le Figaro, L’Obs ou L’Equipe, il n’en n’est rien. Ces dispositions ne sont pas nouvelles, les lois qui encadrent les dons de particulier·es et les dons d’entreprises n’ont quasiment pas évolué depuis 2004. Derrière cette opération de communication on retrouve donc des avantages fiscaux en place depuis des années. Les associations vont devoir affronter la crise avec des dispositifs qui leur permettent à peine de survivre en temps normal.
Si on peut toutefois saluer l’initiative d’offrir aux associations une plateforme pour récupérer les dons de leurs membres ou d’entreprises, on ne peut que déplorer que son utilisation ne soit pas gratuite. La plateforme prend 5% de tous les dons pour « frais de fonctionnement ». Quand on sait que de nombreuses associations luttent pour parvenir à l’équilibre, prendre 5% des dons qu’elles peinent déjà à décrocher est le meilleur moyen de condamner cette plateforme à l’échec.
Seule nouveauté, la création d’un « Fonds de solidarité » : en plus des 5% ponctionnés par la plateforme, 10% du don partent dans un fonds dédié à l’aide des clubs sportifs les « plus en difficulté ». Peu de précision quant aux critères retenus pour juger de la « difficulté », il est seulement précisé que les « dossiers dont les cagnottes seront les plus faibles seront étudiées pour bénéficier dudit fonds de solidarité ».
En plus de la charge de travail administratif imposée à ces associations en difficulté on ne peut que regretter que cette solidarité se fasse entre associations. Perdre 10% de ces dons est un luxe que la très grande majorité des associations ne peuvent pas se payer, même au nom de la solidarité. De plus, les associations sont par définition à but non lucratives, prélever 10% d’un don c’est forcement amputer une association d’une somme qui aurait été investie dans son intégralité afin d’améliorer la qualité du service. On pourrait espérer plus ambitieux que ce jeu à somme nulle pour ce secteur qui donne accès au « sport » à 16 millions de personnes avec si peu de moyens.
En un mois et demi c’est 4 507 clubs qui ont fait l’effort de s’inscrire sur la plateforme, soit environ 1,24% des 364 000 associations sportives françaises. Sur les 437 000€ de dons, 21 850€ partent pour la plateforme : « le pot commun » détenu par le groupe BPCE par sa filiale Natixis. 43 700€ partent dans le fonds de solidarité, et 371 450€ parviennent directement aux clubs, soit 82€ en moyenne par associations référencées sur la plateforme, l’opulence…
Malgré une campagne de communication relayée par le Ministère des Sports, le Comité olympique et paralympique, la Fondation du sport français, les médias et de nombreux et nombreuses sportifs et sportives (Teddy Riner, Martin Fourcarde, Estelle Yoka Mossely, Eugènie Le Sommer…) la plateforme reste confidentielle et les sommes récoltées dérisoires.
Avec pour seule réponse une plateforme qui ponctionne 15% des dons et qui n’apporte aucune aide supplémentaire par rapport aux dispositifs déjà en place, on ne peut que regretter que le monde du sport associatif soit laissé seul face aux grandes difficultés à venir. A l’image de la culture et de son « été apprenant et culturel », de la santé où les soignant·es ont le droit à une médaille, la politique du gouvernement en la matière n'est rien d'autre qu'un nouveau coup de communication.
En attendant, pas de « soutiens ton actionnaire » de plateforme ou de médailles, Air-France-KLM a obtenu un prêt de 7 milliards d’euros de l’Etat français, Renault un prêt de 5 milliards, le tout sans contrepartie et tout en annonçant dans les deux cas des plans sociaux massifs.