Un territoire attractif mais pauvre
La mairie l’affiche avec fierté : « le tourisme est le moteur de l’économie niçoise ». Et pour cause, avec une activité touristique qui représente 40% du PIB du département et 5 millions de visiteurs et visiteuses par an pour 340 000 habitant·es, Nice est la 2ème destination touristique de France.
Malgré cette « ressource », Nice compte 21% de sa population en dessous du seuil de pauvreté, un chiffre bien plus élevé que la moyenne nationale (14,1%). Concernant le chômage, les derniers chiffres municipaux de l’INSEE datent de 2017 : à l’époque Nice comptait 15,9% de chômage alors que la France en comptait 13,9%. Le constat est encore plus alarmant dans les quartiers les plus pauvres de Nice, c'est le cas du quartier Saint-Roch où le taux de chômage et de pauvreté sont tous deux à 42% !
C’est toute l’ambivalence de la ville : d’un côté Nice propose le second plus grand parc d'hôtels de France avec plus d’une vingtaine d’établissements de luxe à 4 ou 5 étoiles, de l’autre coté, elle laisse une partie de sa population dans la misère et la précarité. Loin d'être une solution économique miracle, comme dans beaucoup de villes confrontées au surtourisme, l'intensité de l'activité apporte son lot d'effets néfastes, en partie responsables des difficultés que rencontrent les niçois·es.
La crise du logement niçois
Avec une augmentation de 10,7% des prix de l’immobilier sur ces 5 dernières années, le mètre carré s’achète en moyenne à 4 210€. Nice est la quatrième ville la plus chère de France, c’est aussi la ville qui compte le plus de logements vacants parmi les 10 plus grandes villes de France. Avec 13,9% de logements vacants, elle est loin devant Lille et Paris qui occupent la deuxième et troisième place avec respectivement 9,3% et 8,5%.
La crise du logement s’est amplifiée avec l’arrivée d’Airbnb. On compte actuellement près de 10 000 offres de location sur Airbnb à Nice, 91% de ces locations concernent un logement entier, 67% des logements sont des studios ou des deux pièces. Pour les propriétaires de petits logements, il est plus souvent rentable de louer de manière saisonnière que de louer à l’année.
Effet pervers de cette situation, les populations les plus pauvres sont expulsées du centre-ville voire de la ville. Nice a enregistré une perte de 0,2% de sa population sur la période 2012-2017, dans le même temps des villes voisines comme Cagnes-Sur-Mer ou Villeneuve-Loubet, aux logements plus abordables, ont vu leur population progresser de 1,8% et 0,6%. L’opposition dénonce depuis des années une « ségrégation urbaine favorisée et organisée ». En plus d’une politique laxiste envers Airbnb, elle dénonce la politique municipale en termes de logements sociaux : la ville est passée entre 2002 et 2016 de 10,7% à 12,7% de logements sociaux. Pour rappel, la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU) impose 25% de logements sociaux pour 2025.
Cette « chasse aux pauvres » est encore plus flagrante quand il s’agit de la frange la plus pauvre des nicois·es. Il y a deux ans, la polémique autour de la fontaine de la Place du Pin en donnait un exemple probant. Dans ce quartier en pleine gentrification, la municipalité avait décidé, en plein été, de couper l’eau de la fontaine afin d’éloigner les sans-abris qui avaient pour habitude de se réunir sur la place. Comme l’expliquait à l’époque un hôtelier favorable à cette initiative « Une association de réinsertion pas loin accueille les SDF et cela crée des problèmes dans ce secteur à touristes. L'image est en jeu ». Puisqu'il s’agit bien de cela : les pauvres ne font pas bon effet sur la carte postale. Nice doit avant tout répondre à l’image que s’en font les touristes, c’est ce que la géographe et économiste Sylvie Brunel appelle la « Disneylandisation du monde ».
Nice, un parc d'attraction géant ?
Certains quartiers sont complètements aménagés pour le tourisme. C’est notamment le cas du Vieux-Nice et du bord de mer où les commerces de proximités ont depuis longtemps laissé place aux restaurants, bars, glaciers et autres magasins de souvenirs. Cependant, le symbole le plus criant de cette disneylandisation de Nice est son célèbre carnaval.
Fête populaire à l'origine, le carnaval s’est transformé en manifestation touristique par excellence. De 1996 à 2019 c’est d’ailleurs l’Office du tourisme elle même qui se charge de son organisation. A partir de 2017, sous couvert de mesures sécuritaires, Nice établie tout autour du tracé du défilé de hautes barrières noires et opaques pour que les passant·es ne puissent pas voir le spectacle sans payer leur billet.
Le carnaval était une fête pour les nicois·es par les nicois·es, il est devenu une manifestation qui paralyse la ville, sans que les habitant·es ne puissent en profiter librement. Pour protester contre cette évolution un carnaval indépendant et populaire est organisé chaque année.
En plus de la crise du logement et de la disneylandisation de la ville, le tourisme participe à la crise des déchets à Nice tout comme à la crise de la circulation. 5ème ville qui compte le plus de bouchons en France, les niçois·es perdent en moyenne 138h par an dans les transports. Le bilan écologique est désastreux : Nice est classée 11 des 12 plus grandes agglomérations françaises dans la lutte contre la pollution de l’air.

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Alors que les effets d’annonces se sont multipliés à l’approche des municipales, les actions ne suivent pas. La métropole niçoise se dit par exemple « Terre de Vélo », c’est pourtant la seule ville où la part modale des déplacements domiciles-travail à vélo a diminué sur la période 2015-2017. Un exploit, sachant que la ville se classe déjà à l’avant dernière place de ce classement. La mairie a également annoncé à grand frais de communication l'opération « La nature au cœur de Nice », le résultats : des arbres en pots sur les lignes de bus, un bel exemple d'écologie de façade. En attendant de vrais changements, le collectif « Citoyen 06 » estime que la pollution est responsable chaque année de la mort prématurée de 500 personnes à Nice.
Si l'intensité du tourisme finit par apporter plus de désagréments que de bénéfices à l’ensemble de la population niçoise, c'est en plus un pari risqué qui ne peut supporter aucune contrariété.
Un secteur d'activité hypersensible
Nice est un territoire qui subit durement les crises. C’est le jeu du tourisme. A chaque crise économique l'activité touristique niçoise ralentit drastiquement. Cependant, les dangers pour cette industrie ne proviennent pas exclusivement du contexte économique. En 2016, l’attentat du 14 juillet avait fait fuir les touristes. En 2017, dans son rapport d’activité annuel, l’office du tourisme et des congrès de Nice se réjouissait alors que la multiplication des attentats dans les autres capitales d'Europe ait « contribué à diluer la perception du risque sur les marchés extérieurs et lisser son impact sur le grand public, rétablissant mécaniquement la hiérarchie habituelle des destinations. Nice, compte tenu de sa notoriété et du travail constant effectué depuis dix ans maintenant, a ainsi très rapidement regagné sa place légitime sur l’échiquier des grandes destinations européennes. », bonne nouvelle…

La crise sanitaire actuelle n’échappe pas à la règle, on estime à trois milliards d’euros les pertes dans le tourisme niçois depuis le début de la crise. Crise sanitaire ou non, la ville ne peut pas se permettre de perdre des touristes. C’est dans cette optique que la municipalité a organisé l’opération « Mon été à Nice ». Le but : convaincre les français·es de venir en vacances à Nice à défaut de pouvoir partir à l’étranger. L’opération s’affiche jusque dans le métro parisien. En pleine crise sanitaire, l’opération interroge, voir sa ville envahie de touristes ne semble par être le meilleur moyen de respecter les gestes barrières...
Que la crise soit économique, sécuritaire, sanitaire ou écologique, quand l’aménagement et l’économie d’un territoire reposent en très grande partie sur des touristes qui ne sont plus là, la crise s’amplifie. Les choix enfermement la ville dans cette stratégie : c’est le tourisme ou la mort. Si le tourisme pèse lourdement sur la vie des nicois·es sans pour autant pouvoir leur offrir une solution réelle et viable à la pauvreté et la précarité, la municipalité s’engage dans une fuite en avant dans le but d’attirer toujours plus de touristes.
Une fuite en avant mortifère
Ces dernières années le grand chantier de l’office du tourisme était d'attirer la population chinoise. C'est chose faite, depuis 2019 trois lignes directes effectuent la liaison entre Nice et la Chine (Pekin, Shangaï et Canton). Toute la ville doit se mettre au pas, la CCI niçoise a publié un guide pratique pour « bien comprendre la clientèle chinoise » pour nous expliquer que les niçois·es manquent de flexibilité, de sourires ou encore que les commerces niçois ont des plages horaires d'ouvertures trop étroites.
Nouveau projet, au cœur de la dernière campagne municipale : l'extension de l’aéroport niçois. Alors que les nicois·es souffrent de la crise du logement, de réseaux de transports saturés, d’une ville qui leur échappe et de tant d'autres méfaits du surtourisme, la mairie souhaite passer de 13,25 millions de passager·es en 2018 à 18 millions en 2022 puis 21 millions en 2030… Une augmentation de 40% puis 60% de la fréquentation, pour un aéroport qui est déjà le deuxième aéroport de France.
Que ce soit sur le plan économique, social ou écologique vouloir intensifier encore plus l'activité touristique c’est exacerber ses effets néfastes sans aucunes garanties économiques et c’est renfermer un peu plus le territoire dans sa dépendance au tourisme. Nice et ses habitant·es méritent mieux qu’une ville transformée en parc d’attraction et qu’une économie qui ne vit que sous perfusions de touristes qui peuvent disparaître du jour au lendemain.