C’est vrai qu’il est plutôt réussi Le Monde Magazine. Derrière son affreuse couverture, il est plutôt joli. Mais un peu inquiétant aussi.

Le Monde Magazine est le nouveau supplément au numéro du quotidien daté du samedi (celui du vendredi soir, donc). Il remplace Le Monde 2, né en 2001, et systématisé en supplément week-end à partir de 2004. Cinq ans de bons et loyaux services pour un objet hybride, plus qu’un supplément, et pas tout à fait un magazine. Le Monde 2 était surtout un moyen peu cher de voir de la très belle photo de presse. De ce fait, l’affreuse couverture du Monde Magazine faite en 11 minutes sur Photoshop, présentant cet arrogant smiley et ce mot BONHEUR en caractères de 3cm de haut, d’entrée de jeu, suscite la méfiance. Ça fait pas un peu New-Age, ce truc ?
Didier Pourquery, le rédacteur en chef avait prévenu la veille dans une interview au quotidien : « (Le Magazine) est un complément du quotidien, mais ne doit pas être un doublon (…) il communique peut-être une vision plus positive. Par exemple, le portrait est celui d’une personnalité qui se bat pour trouver des solutions, pour améliorer le monde. Un magazine de week-end doit être plein d’idées et d’énergie, quelque chose qui donne la pêche à son lecteur ».
Du bonheur, pas de problèmes, vous allez en bouffer : 10 pages sur les Danois, ces gens heureux, 4 pages sur ces élèves heureux, ceux qui obtiennent le Bac avec une note supérieure ou égale à 20, et 10 pages de photos du ministère de l’économie, ce chef d’œuvre de l’architecture. Assurément conçu par, et pour des gens épanouis.Bien sur, il serait injuste de ne pas faire mention du reportage au Zimbabwe (5 pages).
Evidemment, les écrits sont de grandes qualités, les photos, tout aussi belles que dans Le Monde 2, et la maquette vraiment très agréable (celle du Monde 2 avait finit par vieillir) En cela, l’objectif d’être à la fois identifiable au Monde (pour la qualité) et à un magazine (pour le confort de lecture) est atteint. Je n’ai aucun reproche journalistique à formuler à l’encontre du Monde Magazine. Je m’inquiète juste de ce foisonnement d’enthousiasme. Et ne peux m’empêcher de le rapprocher, voir de l’inclure dans la rhétorique officielle desortie de crise (Est-ce un hasardsi le ministère qui fait l’objet d’un portfolio est celui de l’économie et des finances ?). Pourquery l’explique, en édito : Depuis le rapport Stiglitz, le bien-être est devenu un paramètre économique et politique. Inquiétude encore, paranoïa diront certains, mais le traitement politique du bonheur individuel, ça me renvoi à Brave New World1. Je trouve ce discours dangereux, et son relai dans ce magazine, maladroit. Pourquoi ne pas inclure directement une bonne dose de soma2 en supplément du journal ?
1 : Aldous Huxley, 1931
2 : voir note 1