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Au lendemain de la première guerre mondiale, dans une Allemagne vaincue et meurtrie, Anna (Paula Beer) se rend chaque jour sur la tombe de Frantz, son fiancé mort au combat. Jusqu’au jour où elle aperçoit un jeune français, Adrien (Pierre Niney), s’y recueillir également. Qui est donc ce jeune homme qui semble cacher un si lourd secret ? Mensonge, amour et passion jalonnent ce film. Nous avons « consulté » le réalisateur et son interprète principal.
Interview sans spoilers…
NC : Je crois savoir que pour réaliser Frantz, vous vous êtes librement inspiré de « Broken Lullaby », un film mis en scène par Ernst Lubitsch en 1932. Comment vous êtes vous emparé de ce sujet pour le faire vôtre ?
FO : Dans le film de Lubitsch, le spectateur connaît le secret d’Adrien dès le début de l’histoire car elle est racontée de son point de vue. Je trouvais plus intéressant d’adopter celui de cette jeune allemande qui ne sait pas qui est ce jeune français et pourquoi il vient se recueillir sur la tombe de Frantz. Cela amène un mystère, un suspens et une narration complètement différente. Et puis il y a aussi le fait que Lubitsch a tourné son film dans les années 30 où, dans un élan pacifiste, il a mis en scène une « happy end » qui ne serait plus du tout crédible aujourd’hui puisque l’on sait que la seconde guerre mondiale a éclaté peu de temps après. Ce qui m’a amené à transformer toute la narration de la seconde partie.
NC : Vous êtes reconnu comme un cinéaste plus que cinéphile…Oui on le sait et on sent beaucoup d’influences et de références dans chacune de vos œuvres et pourtant, on a l’impression de ne les avoir jamais vus auparavant… Comme si vous vous nourrissiez de tout ce qui vous inspire pour mieux le réinventer…
FO : Il est très difficile aujourd’hui, pour un cinéaste, de faire table rase de tout ce qui a été fait avant lui. Tellement d’histoires ont déjà été racontées par tellement de cinéastes dans tellement de films… Il y a une mémoire autour de tous ces films qui fait que le public peut toujours penser qu’il a déjà vu tel sujet dans tel film. Il est donc intéressant de se nourrir de tout ce que ces cinéastes ont pu faire tout en essayant de s’en démarquer. D’ailleurs, même si ils ont un tronc commun, le film de Lubitsch et le mien sont très différents l’un de l’autre. Je n’essaie jamais de faire un film « à la manière de… » mais je m’inspire de ce qui a été fait tout en essayant d’aller ailleurs et sans oublier de raconter les histoires qui me touchent.
NC : Pierre Niney, je ne vais rien vous demander sur votre personnage pour ne surtout pas dévoiler son secret mais j’aimerais savoir, compte tenu des rôles exigeants sur le plan émotionnel que vous interprétez généralement, si vous n’avez vous pas peur d’être trop marqué par ces personnages complexes et si oui, comment faites vous pour vous protéger ?
PN : Je pense que lorsque j’ai commencé à jouer dans des films, j’avais peut être moins de filtre et de technique qu’aujourd’hui. À cette époque là, il m’arrivait effectivement de me faire peur sur le fait d’être plus marqué physiquement et psychologiquement par les rôles que j’interprétais. Mais avec le temps, on acquiert de l’expérience et on apprend à se mettre des limites et à se détacher du rôle une fois la journée de travail achevée. Interpréter un personnage, c’est lui donner un peu de soi et il nous donne également en retour. Dès lors, il restera toujours une part de lui en moi. C’est quelque chose d’inévitable mais c’est aussi l’un des nombreux plaisirs de ce métier. Il faut juste ne pas se laisser dépasser.
NC : Pierre est une fois de plus excellent dans la peau de ce personnage tourmenté Vers François Ozon : Ça devait être une évidence pour vous, François, que de choisir Pierre…
FO : Sa formation théâtrale m’intéressait car il a l’habitude de travailler sur des textes complexes. Cette capacité de travail me rassurait car peu d’acteurs français savent parler l’allemand. J’ai très vite compris qu’il travaillerait et s’approprierait cette langue. J’avais également vu toute sa palette de jeu au cinéma aussi bien dans « 20 ans d’écart » que dans « Yves Saint Laurent » où il avait un vrai rôle de composition. Ce qui m’a définitivement convaincu puisqu’Adrien compose lui aussi tout au long du film. Je savais que Pierre aurait cette capacité de travail, de composition et de distanciation par rapport aux choses.
NC : Et une fois de plus, après Ludivine Sagnier dans « Huit Femmes » et « Swimming Pool » ou encore Marine Vacth dans « Jeune et Jolie », vous révélez à nouveau une comédienne très prometteuse, Paula Beer, qui vous permet de faire un travail très intéressant sur la langue allemande qui, dans sa bouche, ne m’a jamais semblé aussi belle et agréable au cinéma.
FO : J’aime beaucoup la langue allemande. C’est même la première langue étrangère que j’ai apprise à l’école. Ça m’intéressait d’en montrer toute la musicalité, le rythme et de casser les clichés que l’on peut voir dans de nombreux films français ou américains où la plupart des personnages allemands sont des nazis qui parlent d’une manière très agressive. Même si il faut reconnaître que c’est une langue beaucoup plus agréable dans la bouche d’une femme que d’un homme. C’est vrai que rien qu’avec sa voix, même quand elle parle français avec son léger accent allemand, Paula apporte à son personnage un charme, un mystère, une douceur et une sensualité tels que lorsque je la dirigeais sur le tournage, j’avais l’impression d’avoir Romy Schneider sur le plateau.
NC : D’ailleurs, on se rend compte qu’elle est le personnage majeur du film… C’est son parcours, son émancipation que l’on suit… Elle devient une femme. Ce qui était déjà le cas avec Anaïs Demoustier dans « Une Nouvelle Amie ».
FO : Je me projette toujours plus facilement dans les personnages féminins parce qu’étant un homme, je me sens moins pudique et plus lucide avec les actrices. Alors qu’avec les acteurs, c’est plus compliqué pour moi… Mais pas avec Pierre qui est comme une actrice (rires). Plus sérieusement, ce que je veux dire c’est que, selon moi, les grands acteurs sont des actrices. Ils acceptent la femme qui est en eux. Une femme a l’habitude, dans son éducation, d’être regardée, d’être désirée alors qu’un acteur supporte moins le regard d’un autre homme ou d’une femme sur lui. C’est plus complexe à gérer et j’ai eu pas mal de conflits par rapport à ça alors que des acteurs comme Pierre Niney ou Gérard Depardieu acceptent la femme qui est en eux. J’aime travailler avec les acteurs qui ont cette facilité là.
NC : On ne peut évidemment pas ne pas parler de l’esthétisme très abouti du film et bien sûr, du noir et blanc… J’ai cru comprendre qu’à l’origine, vous avez choisi ce procédé pour des raisons économiques…
FO : Vous n’êtes pas sans savoir que lorsque l’on fait un film d’époque, il faut des moyens importants. Autant vous dire que la production du film a été très complexe car les producteurs étaient inquiets à l’idée que je veuille tourner le film en Allemagne et en langue allemande. On a réussi à mettre en place un montage financier à hauteur de 8 à 9 millions d’euros et le budget alloué à la décoration était très élevé car pour tout ce qui concerne l’aspect esthétique du film et la reconstitution de l’époque, j’avais mis la barre vraiment très haut puisque j’avais évoqué à mon équipe des films comme « Tess » de Roman Polanski ou encore du « Ruban blanc » de Mickael Haneke et de « Barry Lindon » de Kubrick. A l’origine, je pensais faire le film en couleur mais en visitant des petites villes allemandes de l’ex Allemagne de l’est, nous nous sommes aperçus, avec mon chef décorateur, que tout était très coloré au point de devenir trop lisse et propret. Mais en regardant des photos d’époque de ces villes, je me suis aperçu que rien n’avait fondamentalement changé sauf que ces photos étaient en noir et blanc, ce qui donnait à ces décors, cet aspect justement moins clinquant que je recherchais. Voilà pourquoi nous avons opté pour le noir et blanc et je ne le regrette pas car c’était, selon moi, la meilleure solution pour le film. Ce qu’il faut retenir de cette expérience, c’est que les contraintes peuvent vous amener à faire les bons choix artistiques car si j’avais eu un budget de 20 millions d’euros, j’aurais fais le film en couleur, avec des acteurs anglophones et il ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui.
NC : Malgré tout, vous vous accordez le plaisir de revenir à la couleur lors de quelques moments clés du film…
FO : Je ne voulais qu’il n’y ait rien de véritablement logique ou rationnel dans ce choix, contrairement à ce que l’on peut voir dans des films américains où les flashs back sont en noir et blanc, le réel en couleur… Je souhaitais que ce soit plus diffus, que ce soit de l’ordre de la sensation et que le spectateur ne s’en aperçoive même pas. Surtout qu’avec le numérique, vous pouvez faire venir la couleur progressivement alors qu’il y des années, ce genre de procédé était vraiment grossier.
NC : C’est un film intime mais pas intimiste . Il y a beaucoup de souffle et de respiration dans votre cadrage souvent assez large qui permet d’apprécier et de ressentir l’époque du film… Comment avez vous procédé pour mettre en place une reconstitution si minutieuse avec des moyens financiers raisonnables ?
FO : La ville allemande où nous avons tourné était très bien telle qu’elle était alors nous n’avons pas eu à y apporter d’importantes modifications. En revanche, il y a eu un important travail de reconstitution, qui nous a d’ailleurs demandé beaucoup de réflexion, pour tout ce qui concernait Paris. Je tenais à montrer des monuments typiques lors de l’arrivée de Paula, comme la gare de l’est ou l’opéra. Pour cela, le noir et blanc nous a beaucoup servi, surtout pour l’opéra qui a été complètement rénové par rapport à l’époque. D’une manière générale, je voulais être authentique sans être trop spectaculaire. Je n’avais pas envie de ces grands plans larges sur fonds verts où l’on sent que tout est en numérique et où on ne croit à rien. Il n’y a quasiment aucun trucage dans le film.
NC : Justement Pierre, pour en revenir à vous, le fait de tourner au milieu de ces décors impressionnants vous aide -t-il à vous imprégner de votre personnage et avez vous également fait des recherches personnelles plus avancées en amont du tournage ?
PN : Quand on joue dans un film d’époque, la préparation consiste surtout à se replacer dans le contexte historique. En l’occurrence, ici, il s’agissait pour moi de comprendre ce que c’était que d’être un jeune homme qui a survécu à cette guerre et quelles ont pu être les séquelles physiques et psychologiques que cela a pu engendrer. Mon personnage est aussi un pacifiste, ce qui m’a également amené à me renseigner sur les nombreuses trêves spontanées qu’il y a pu avoir entre tranchées sur les champs de bataille pendant 14-18. Mais incontestablement, c’est vrai que les décors et les costumes facilitent le fait de se glisser dans la peau d’un personnage quand on arrive sur le plateau tous les matins.
Pour conclure, deux dernières choses, c’est un film qui traite de nombreux sujets… Le mensonge, la guerre, l’amour mais aussi peut être le transfert… ?
FO : Bien sûr. Au delà de tout ce que vous venez de dire, je pense que le thème général du film est le deuil. Comment on le vit et comment on répare la souffrance qu’il a pu causer ?
Et enfin, vous évoquez tout au long du film, une peinture de Manet, « Le Suicidé », qui provoque une certaine fascination chez les différents personnages. En quoi ce tableau résonne –t-il avec les différents thèmes du film ?
FO : C’est une mort. Il s’agit d’une période de deuil, où il y a eu trois millions de morts en Allemagne, en Autriche mais aussi deux millions en France puis encore davantage dans le reste de l’Europe. Les gens vivent avec des morts. Les survivants étaient eux mêmes comme des morts vivants. J’avais besoin d’un tableau qui représente une image de mort et qui puisse symboliser toute cette histoire.
Et pourtant, voila un film loin d’être morbide.
Au contraire, plein d’espoir et d’amour. A ne pas manquer.
Lien youtube de la bande annonce :